Je ne fais plus partie du groupe fabriquant et éditant La Lanterne Noire et la raison n’est pas géographique (Paris-Toulouse). Si je ne me trompe pas, sur huit ou neuf camarades ayant participé en écrivant, c’est-à-dire en prenant des positions politiques, à La Lanterne Noire (cinq premiers numéros), trois ont cessé de participer à la revue, je suis le quatrième. Ça fait quand même un vide ! Ça vaut la peine d’être dit, vous ne trouvez pas ? Vous faites le numéro spécial « organisation », la moitié des copains s’étant tirés — pas par hasard quand même ! — et vous ne dites rien là-dessus : la première victime du débat sur l’organisation a été la Lanterne elle-même. Le groupe a changé, s’est modifié politiquement. Je regrette que les camarades qui ont quitté le groupe n’aient pas précisé par écrit, et dans la Lanterne, les raisons de leur départ, c’est pourquoi je veux expliciter mes critiques en prenant comme cible les articles sur l’organisation.
Nicolas cite Joseph Déjacque [[Utopiste, anarchiste et fouriériste, textes choisis dans « À bas les chefs ».]] en exergue et termine ses considérations sur une attaque contre l’utopie : « Dans les périodes de reflux de l’action le contenu utopique du projet révolutionnaire détermine l’isolement, l’ésotérisme et le millénarisme des groupes ». Merci pour l’auteur de l’Humanisphère !
Dans ces deux articles « L’anarchie et l’organisation » et « L’organisation anarchiste spécifique » [[La Lanterne Noire, n° 6 – 7.]], toutes les citations (Déjacque, Berneri, Bakounine, Grave, Malatesta…) interviennent pour fonder le point de vue anarchiste de l’auteur, et il faut bien ça : Nicolas sait bien que son discours pour l’organisation rencontre essentiellement de l’opposition chez les anarchistes (ce n’est pas chez Jules Guesde ou Lénine qu’on trouvera une critique de l’organisation).
Voilà donc le projet : ramener les brebis égarées vers le spontanéisme, l’individualisme, les groupes affinitaires, etc, dans la bonne voie de l’organisation. Donc la Lanterne, par les textes de Nicolas, a pris parti dans le malheureux débat qui déchire les anarchistes : elle est organisatrice. Comme quoi la Lanterne a tranché dans son propre groupe : la moitié des copains sont partis…
Passons sur cette fameuse division historique entre les affinitaires et les organisateurs ; qui veut-on manipuler avec cette querelle des grandes têtes de l’anarchie ? La citation de Malatesta sur l’autorité et l’organisation est un poème : je récite « si nous croyions qu’il ne peut y avoir d’organisation sans autorité, nous serions autoritaires, car nous préférions l’autorité qui entrave et assombrit la vie à la désorganisation qui la rend impossible ». Elle a bon dos la vie ! mais comme il le dit lui-même, ce camarade, tout cela n’est qu’affaire de croyance. D’ailleurs, un peu plus loin, de la plume de Nicolas lui-même, « Et c’est cela que l’anarchie nie. Pour les anarchistes, etc. » c’est les fondements du dogme, de la foi anarchiste. Nicolas remet à jour les pires aspects de l’anarchisme, ses aspects non critiques, son affirmation humaniste. Il vient nous rappeler, malgré lui, que l’anarchisme est une critique encore idéologique des idéologies.
Mais là, où même les pires côtés de l’idéologie anarchiste ne suffisent plus ; pour critiquer le groupe affinitaire, Nicolas va chercher les secours d’un grand savant, Sigmund Freud : « la structure propre au groupe affinitaire… où le contenu fantasmatique (inconscient, refoulé) se structure sur la domination patriarcale ». Voilà où commence le mal, le pouvoir : dans les affinités, l’amour… mais dites donc, camarades qui en avez tant contre les groupes affinitaires, vous pourriez commencer par dissoudre vos propres familles ! Ne sont-elles pas les pires de ces groupes ? Un fait, au moins reconnu, les groupes affinitaires ont la possibilité de se dissoudre, d’éclater, ce que vous considérez comme leur faiblesse me semble au contraire leur plus grande force.
Je relève encore : « Les difficultés de chaque petit groupe… où les décisions sont prises à l’unanimité (il n’y a pas de majorité et de minorité)… comme à La Lanterne, par exemple » ! ! ! sacré menteur !
Et ça : « C’est surtout grâce à la critique de la vie quotidienne et en particulier grâce à l’action des différents mouvements de libération des femmes, que la signification profonde de la domination devient évidente et commence à faire partie du projet révolutionnaire ». Foutre démagogue ! Mais où avez-vous été chercher ça ? En plus, le M.L.F. n’est pas formé de groupes affinitaires peut-être ? Pensez-vous vraiment que l’élimination des mâles de ces groupes résout le problème de la domination ?
Un peu plus loin, suprême casuistique, « Le choix n’est pas entre l’Organisation avec un grand O et le groupe affinitaire… » alors à quoi servaient toutes ces démonstrations ?
Et « celui qui s’installe dans l’attente du mouvement réel qui passerait par là », les discussions d’I.C.O. vous sont restées en travers de la gorge, voilà la source réelle de ce texte, et voilà ce que l’on veut camoufler, ce qui s’oppose au projet organisationnel, les dangereux tenants du mouvement réel, ceux qui pensent qu’une organisation politique, même anarchiste, défend toujours dans une lutte son intérêt propre et séparé, son projet révolutionnaire et organisateur.
Au fait (je continue ma lecture), qu’est-ce que signifie « La vie quotidienne est réformiste. » C’est encore du Malatesta ?
Nous voilà au bout à « l’organisation possible », là on apprend qu’il y a des organisations syndicales réformistes — parce que d’autres sont révolutionnaires ? — on devient bien prudent avec le syndicalisme dans la Lanterne, maintenant que la C.N.T. se restructure en Espagne… Mais on apprend surtout que ces organisations « devront suivre » à la remorque des grèves sauvages ! comme pendant la révolution allemande, Nicolas ? Elles ont eu une drôle de manière de suivre, les organisations réformistes, et il n’y avait pas encore les Staliniens !
Les maîtres mots terminent cet article : Efficacité et Stratégie, les deux mamelles de l’organisation. Nicolas se fait réaliste : « l’organisation spécifique n’est pas adéquate, au degré de structuration du mouvement révolutionnaire » ! Ouf ! ce n’est pas pour tout de suite. Et ce qui suit toujours, en politique, une pensée réaliste : l’opportunisme, tout cela c’était pour proposer « une liaison entre les groupes… information », échanges, etc.
Camarades, refusons toute liaison, toute vague coordination avec des gens qui n’ont pas fait la critique radicale de l’organisation spécifique, leur projet s’oppose à l’autonomie ouvrière comme aux groupes autonomes révolutionnaires, leurs visées sont celles de politiciens anarchistes.
La fin de l’article est prometteuse : l’insurrection, la nouvelle société non répressive mais d’abord l’organisation, le projet…
Tout est dans cet expressif futur : « La libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Et maintenant, que vais-je faire… disparaître dans la nuit des sans-parti.
« Savez-vous pourquoi le fait révolutionnaire se trouve aussi fort en dissidence avec l’idée ? Rien de plus simple : en théorie, la révolution doit se faire elle-même, c’est-à-dire que chaque intérêt social doit lui fournir sa part d’action ; en pratique, la Révolution a été faite par une poignée d’individus et soumise à l’autorité d’un groupe de rhéteurs. »
Anselme Bellegarrigue.
À bon entendeur…
Belial