La Presse Anarchiste

Efficacité et stratégie à … La lanterne

« Quoi que vous fas­siez, quoi que nous fas­sions, le prin­cipe même de ce que j’ap­pelle, pour sim­pli­fier, « l’or­ga­ni­sa­tion des hommes », sup­pose abso­lu­ment une doc­trine ache­vée, un dra­peau, des ancêtres, des racines ima­gi­naires dans une tra­di­tion… » [[Car­los Sem­prun-Mau­ra, « Les révo­lu­tions mortes et les autres » in Inter­ro­ga­tions n° 2, je ren­voie à tout le reste de cet article, sur la ques­tion de l’organisation.]]

Je ne fais plus par­tie du groupe fabri­quant et édi­tant La Lan­terne Noire et la rai­son n’est pas géo­gra­phique (Paris-Tou­louse). Si je ne me trompe pas, sur huit ou neuf cama­rades ayant par­ti­ci­pé en écri­vant, c’est-à-dire en pre­nant des posi­tions poli­tiques, à La Lan­terne Noire (cinq pre­miers numé­ros), trois ont ces­sé de par­ti­ci­per à la revue, je suis le qua­trième. Ça fait quand même un vide ! Ça vaut la peine d’être dit, vous ne trou­vez pas ? Vous faites le numé­ro spé­cial « orga­ni­sa­tion », la moi­tié des copains s’é­tant tirés — pas par hasard quand même ! — et vous ne dites rien là-des­sus : la pre­mière vic­time du débat sur l’or­ga­ni­sa­tion a été la Lan­terne elle-même. Le groupe a chan­gé, s’est modi­fié poli­ti­que­ment. Je regrette que les cama­rades qui ont quit­té le groupe n’aient pas pré­ci­sé par écrit, et dans la Lan­terne, les rai­sons de leur départ, c’est pour­quoi je veux expli­ci­ter mes cri­tiques en pre­nant comme cible les articles sur l’organisation.

Nico­las cite Joseph Déjacque [[Uto­piste, anar­chiste et fou­rié­riste, textes choi­sis dans « À bas les chefs ».]] en exergue et ter­mine ses consi­dé­ra­tions sur une attaque contre l’u­to­pie : « Dans les périodes de reflux de l’ac­tion le conte­nu uto­pique du pro­jet révo­lu­tion­naire déter­mine l’i­so­le­ment, l’é­so­té­risme et le mil­lé­na­risme des groupes ». Mer­ci pour l’au­teur de l’Hu­ma­ni­sphère !

Dans ces deux articles « L’a­nar­chie et l’or­ga­ni­sa­tion » et « L’or­ga­ni­sa­tion anar­chiste spé­ci­fique » [[La Lan­terne Noire, n° 6 – 7.]], toutes les cita­tions (Déjacque, Ber­ne­ri, Bakou­nine, Grave, Mala­tes­ta…) inter­viennent pour fon­der le point de vue anar­chiste de l’au­teur, et il faut bien ça : Nico­las sait bien que son dis­cours pour l’or­ga­ni­sa­tion ren­contre essen­tiel­le­ment de l’op­po­si­tion chez les anar­chistes (ce n’est pas chez Jules Guesde ou Lénine qu’on trou­ve­ra une cri­tique de l’organisation).

Voi­là donc le pro­jet : rame­ner les bre­bis éga­rées vers le spon­ta­néisme, l’in­di­vi­dua­lisme, les groupes affi­ni­taires, etc, dans la bonne voie de l’or­ga­ni­sa­tion. Donc la Lan­terne, par les textes de Nico­las, a pris par­ti dans le mal­heu­reux débat qui déchire les anar­chistes : elle est orga­ni­sa­trice. Comme quoi la Lan­terne a tran­ché dans son propre groupe : la moi­tié des copains sont partis…

Pas­sons sur cette fameuse divi­sion his­to­rique entre les affi­ni­taires et les orga­ni­sa­teurs ; qui veut-on mani­pu­ler avec cette que­relle des grandes têtes de l’a­nar­chie ? La cita­tion de Mala­tes­ta sur l’au­to­ri­té et l’or­ga­ni­sa­tion est un poème : je récite « si nous croyions qu’il ne peut y avoir d’or­ga­ni­sa­tion sans auto­ri­té, nous serions auto­ri­taires, car nous pré­fé­rions l’au­to­ri­té qui entrave et assom­brit la vie à la désor­ga­ni­sa­tion qui la rend impos­sible ». Elle a bon dos la vie ! mais comme il le dit lui-même, ce cama­rade, tout cela n’est qu’af­faire de croyance. D’ailleurs, un peu plus loin, de la plume de Nico­las lui-même, « Et c’est cela que l’a­nar­chie nie. Pour les anar­chistes, etc. » c’est les fon­de­ments du dogme, de la foi anar­chiste. Nico­las remet à jour les pires aspects de l’a­nar­chisme, ses aspects non cri­tiques, son affir­ma­tion huma­niste. Il vient nous rap­pe­ler, mal­gré lui, que l’a­nar­chisme est une cri­tique encore idéo­lo­gique des idéologies.

Mais là, où même les pires côtés de l’i­déo­lo­gie anar­chiste ne suf­fisent plus ; pour cri­ti­quer le groupe affi­ni­taire, Nico­las va cher­cher les secours d’un grand savant, Sig­mund Freud : « la struc­ture propre au groupe affi­ni­taire… où le conte­nu fan­tas­ma­tique (incons­cient, refou­lé) se struc­ture sur la domi­na­tion patriar­cale ». Voi­là où com­mence le mal, le pou­voir : dans les affi­ni­tés, l’a­mour… mais dites donc, cama­rades qui en avez tant contre les groupes affi­ni­taires, vous pour­riez com­men­cer par dis­soudre vos propres familles ! Ne sont-elles pas les pires de ces groupes ? Un fait, au moins recon­nu, les groupes affi­ni­taires ont la pos­si­bi­li­té de se dis­soudre, d’é­cla­ter, ce que vous consi­dé­rez comme leur fai­blesse me semble au contraire leur plus grande force.

Je relève encore : « Les dif­fi­cul­tés de chaque petit groupe… où les déci­sions sont prises à l’u­na­ni­mi­té (il n’y a pas de majo­ri­té et de mino­ri­té)… comme à La Lan­terne, par exemple » ! ! ! sacré menteur !

Et ça : « C’est sur­tout grâce à la cri­tique de la vie quo­ti­dienne et en par­ti­cu­lier grâce à l’ac­tion des dif­fé­rents mou­ve­ments de libé­ra­tion des femmes, que la signi­fi­ca­tion pro­fonde de la domi­na­tion devient évi­dente et com­mence à faire par­tie du pro­jet révo­lu­tion­naire ». Foutre déma­gogue ! Mais où avez-vous été cher­cher ça ? En plus, le M.L.F. n’est pas for­mé de groupes affi­ni­taires peut-être ? Pen­sez-vous vrai­ment que l’é­li­mi­na­tion des mâles de ces groupes résout le pro­blème de la domination ?

Un peu plus loin, suprême casuis­tique, « Le choix n’est pas entre l’Or­ga­ni­sa­tion avec un grand O et le groupe affi­ni­taire… » alors à quoi ser­vaient toutes ces démonstrations ?
Et « celui qui s’ins­talle dans l’at­tente du mou­ve­ment réel qui pas­se­rait par là », les dis­cus­sions d’I.C.O. vous sont res­tées en tra­vers de la gorge, voi­là la source réelle de ce texte, et voi­là ce que l’on veut camou­fler, ce qui s’op­pose au pro­jet orga­ni­sa­tion­nel, les dan­ge­reux tenants du mou­ve­ment réel, ceux qui pensent qu’une orga­ni­sa­tion poli­tique, même anar­chiste, défend tou­jours dans une lutte son inté­rêt propre et sépa­ré, son pro­jet révo­lu­tion­naire et organisateur.

Au fait (je conti­nue ma lec­ture), qu’est-ce que signi­fie « La vie quo­ti­dienne est réfor­miste. » C’est encore du Malatesta ?

Nous voi­là au bout à « l’or­ga­ni­sa­tion pos­sible », là on apprend qu’il y a des orga­ni­sa­tions syn­di­cales réfor­mistes — parce que d’autres sont révo­lu­tion­naires ? — on devient bien pru­dent avec le syn­di­ca­lisme dans la Lan­terne, main­te­nant que la C.N.T. se restruc­ture en Espagne… Mais on apprend sur­tout que ces orga­ni­sa­tions « devront suivre » à la remorque des grèves sau­vages ! comme pen­dant la révo­lu­tion alle­mande, Nico­las ? Elles ont eu une drôle de manière de suivre, les orga­ni­sa­tions réfor­mistes, et il n’y avait pas encore les Staliniens !

Les maîtres mots ter­minent cet article : Effi­ca­ci­té et Stra­té­gie, les deux mamelles de l’or­ga­ni­sa­tion. Nico­las se fait réa­liste : « l’or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique n’est pas adé­quate, au degré de struc­tu­ra­tion du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire » ! Ouf ! ce n’est pas pour tout de suite. Et ce qui suit tou­jours, en poli­tique, une pen­sée réa­liste : l’op­por­tu­nisme, tout cela c’é­tait pour pro­po­ser « une liai­son entre les groupes… infor­ma­tion », échanges, etc.

Cama­rades, refu­sons toute liai­son, toute vague coor­di­na­tion avec des gens qui n’ont pas fait la cri­tique radi­cale de l’or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique, leur pro­jet s’op­pose à l’au­to­no­mie ouvrière comme aux groupes auto­nomes révo­lu­tion­naires, leurs visées sont celles de poli­ti­ciens anarchistes.

La fin de l’ar­ticle est pro­met­teuse : l’in­sur­rec­tion, la nou­velle socié­té non répres­sive mais d’a­bord l’or­ga­ni­sa­tion, le projet…

Tout est dans cet expres­sif futur : « La libé­ra­tion des tra­vailleurs sera l’œuvre des tra­vailleurs eux-mêmes ». Et main­te­nant, que vais-je faire… dis­pa­raître dans la nuit des sans-parti.

« Savez-vous pour­quoi le fait révo­lu­tion­naire se trouve aus­si fort en dis­si­dence avec l’i­dée ? Rien de plus simple : en théo­rie, la révo­lu­tion doit se faire elle-même, c’est-à-dire que chaque inté­rêt social doit lui four­nir sa part d’ac­tion ; en pra­tique, la Révo­lu­tion a été faite par une poi­gnée d’in­di­vi­dus et sou­mise à l’au­to­ri­té d’un groupe de rhéteurs. »

Anselme Bellegarrigue.

À bon entendeur…

Belial

La Presse Anarchiste