La Presse Anarchiste

Les anarchistes de Hongrie depuis la fin de la guerre

« Le Liber­taire » publiait dans ses numé­ros du 8 et du 22 sep­tembre 1950 une étude de l’a­nar­chiste hon­grois. G.A. sous le titre : « De la ter­reur blanche à la ter­reur rouge avec la fédé­ra­tion anar­chiste de Hon­grie ». Le cama­rade G.A. avait quit­té la Hon­grie après avoir par­ti­ci­pé à la réor­ga­ni­sa­tion du mou­ve­ment anar­chiste au moment de la « Libération ». 

Voi­ci résu­mé pour ceux qui ne pour­raient se réfé­rer à ces deux numé­ros du « Lib » quelle était alors, selon le cama­rade, la situa­tion du mouvement : 

1. Le mou­ve­ment anar­chiste de Hon­grie n’exis­tait pas jus­qu’en 1944. Les rares sur­vi­vants des anciens groupes anar­chistes liqui­dés par Bela Kun puis Hor­ty étaient grou­pés autour du vieux cama­rade Toro­ckoi (80 ans en 1945). 

Les aris­to­crates roya­listes et anglo­philes menaient la résis­tance la plus effi­cace contre les Alle­mands. Les com­mu­nistes mal­gré leur orga­ni­sa­tion et leurs moyens finan­ciers se bor­naient à la pro­pa­gande dans les autres groupes de résis­tance et se pré­pa­raient à sor­tir intacts de cette période pour se jeter après la libé­ra­tion contre les autres par­tis affai­blis par leurs pertes. 

2. La pre­mière action liber­taire n’est sur­ve­nue qu’en juin 1944 orga­ni­sée par un groupe d’é­tu­diants anar­chistes, conduit par le sur­nom­mé Christ, poète de 15 ans, dans une petite ville du nord.

3. Empri­son­né, Christ prend contact avec Aton M. du groupe anar­chiste hon­grois et you­go­slave de la Bacs­ka (au sud) comp­tant une cen­taine de membres et l’un des deux plus impor­tants groupe de résis­tance du pays avec celui « Géné­ral de Gör­gey » opé­rant dans les forêts de la Bako­ni (dans le centre). 

4. Sor­tis de pri­son à la faveur du putsch fas­ciste anti hor­tyste de Sza­la­zi (octobre 1944) Christ et l’a­nar­chiste d’o­ri­gine russe Alexei Kor­sa­kine se mettent en rap­port avec Toro­ckoy et avec P. M., étu­diant ayant for­mé un groupe anar­chiste sou­te­nu par les com­mu­nistes. Ils com­mencent immé­dia­te­ment à har­ce­ler les troupes de l’Axe, Christ avec le groupe Sz. F. (Jeu­nesse liber­taire), Kor­sa­kine et les mili­tants anar­chistes, tous ayant adop­té la cein­ture rouge, deve­nue légen­daire, de Korsakine. 

5. Après que l’offre d’u­ni­té d’ac­tion sous l’é­gide du P.C. fut repous­sée, celui-ci dénon­ça le mou­ve­ment anar­chiste aux Alle­mands qui arrê­tèrent 67 mili­tants dont P. M. por­teur de l’offre (7 et 9 décembre 1944). Le groupe de P. M. scis­sion­na et les 23 de ses membres pas­sèrent au P.C.

6. Les mili­tants anar­chistes de Kor­sa­kine pro­vo­quèrent le seul sou­lè­ve­ment popu­laire de la résis­tance signa­lé d’ailleurs par toutes les radios alliées, Radio Mos­cou fai­sant pas­ser l’ac­tion pour com­mu­niste. Dans le quar­tier cen­tral de Buda­pest une petite foule conduite par les mili­tants anar­chistes arbo­rant les cein­tures rouges enva­hit et détrui­sit deux uni­tés de la marine flu­viale hon­groise (dont une appar­te­nait au chef de l’État). 

7. La nuit sui­vante le groupe Sz.F. fai­sait sau­ter un dépôt de muni­tions dans les cata­combes du mont Varhe­gy au des­sus du fort et du palais royal. 

8. Ce troi­sième groupe du mou­ve­ment fut arrê­té et pas­sé par les armes, ten­tant un assaut contre une rési­dence du par­ti nazi. 

9. Le groupe Sz.F. avec Christ conti­nue les sabo­tages jus­qu’au com­men­ce­ment de la bataille de Buda­pest qui dura 6 semaines et fit 200 000 vic­times. Puis le mou­ve­ment anar­chiste décide (Kosr­sa­kine votant seul contre) de sau­ve­gar­der ses forces pour la lutte poli­tique à pré­voir après là libé­ra­tion. Les hommes aux cein­tures rouges appa­raissent cepen­dant dans les bri­gades de tra­vail, les hôpi­taux, par­tout où ils pou­vaient se rendre utiles. 

10. En juillet 1945 se regroupent les mili­tants du mou­ve­ment anar­chiste. Trois ten­dances se firent jour : ― Celle de P.M. grou­pant ceux qui pré­fé­raient tra­vailler en accord avec les com­mu­nistes, espé­rant dévier le P.C. après la chute de la bour­geoi­sie Celle de Toro­koy par­ti­san d’une léga­li­sa­tion du mou­ve­ment ― Celle de Kor­sa­kine et de Christ vou­lant conti­nuer la lutte com­ba­tive, cette fois-ci contre l’É­tat et contre les troupes russes. 

11. Chaque groupe s’é­tant décla­ré soli­daire avec celui dont le prin­cipe allait être voté à la majo­ri­té, celle-ci revint à Toro­koy qui deman­da immé­dia­te­ment la léga­li­sa­tion du M.A. accor­dée puis reti­rée sous l’ordre du maré­chal Voro­chi­lov. Mal­gré cela Toro­koy par­vint à conclure un accord avec les diri­geants du pays (gou­ver­ne­ment de coa­li­tion de 4 par­tis) selon lequel l’ac­tion anar­chiste serait libre jus­qu’au point où cette acti­vi­té pou­vait être consi­dé­rée comme sabo­tage des acti­vi­tés gou­ver­ne­men­tales. Aus­si­tôt une impri­me­rie fut ins­tal­lée et la pro­pa­gande com­men­cée. Le mou­ve­ment pos­sé­dait, en sep­tembre 1945, près de 500 militants. 

12. Dans le groupe d’u­sines de l’île Csepel[[Chacun sait que Cse­pel fur en 1956 à la tête de l’of­fen­sive ouvrière et n des der­niers bas­tions de la résis­tance où l’on conti­nuait à for­ger des armes sous le feu de l’ar­mée rouge. Déjà en mars 1919 la réso­lu­tion de 20 000 ouvriers de Cse­pel après s’être empa­ré des usines d’adhé­rer au P.C. et de péne­trer en armes à Buda­pest pour révo­lu­tion­ner la ville et chas­ser le gou­ver­ne­ment avait été déci­sive. Le 10 août 1000 ouvriers des cen­tu­ries syn­di­cales qui s’é­taient ren­dus furent mas­sa­crés à la mitrailleuse par les fran­co-rou­mains. (N.R.)]] près de Buda­pest les ouvriers déçus par la conduite anti­so­ciale de leurs nou­veaux syn­di­cats com­mu­nistes se tour­naient avec sym­pa­thie vers notre mou­ve­ment, le seul qui ait vrai­ment repré­sen­té leurs inté­rêts. Or le P.C. bat­tu aux élec­tions où les petits pay­sans obte­naient la majo­ri­té abso­lue mais de plus en plus fort grâce à l’ap­pui sovié­tique, avait cru au pre­mier moment que le M.A. allait cen­tra­li­ser ses efforts pour le ren­ver­se­ment du gou­ver­ne­ment (où les petits pay­sans avaient la majo­ri­té) et affai­blir l’É­glise catho­lique qui com­men­çait à deve­nir l’en­ne­mie le plus puis­sant des Sta­li­niens. Dès que les diri­geants com­mu­nistes se furent aper­çus du dan­ger que la concur­rence anar­chiste repré­sen­tait dans les milieux ouvriers Gabor Peter (chef de la police poli­tique, plus tard exé­cu­té comme titiste) lan­çait ses mili­ciens contre nous. 

13. Toro­ckoy arrê­té dis­pa­rut. Quatre étu­diants anar­chistes ouvrirent le feu, d’un gre­nier, sur un défi­lé de troupes rouges, abat­tant huit offi­ciers et sol­dats, puis mirent le feu à leur abri et se don­nèrent la mort.
Dans les usines de Cse­pel les anar­chistes pro­vo­quaient la seule grève qui eut lieu en Hon­grie après la libé­ra­tion. Avant de pou­voir pren­dra des pro­por­tions impor­tantes elle fut étouf­fée par les mili­ciens de Gabor Peter. 30 ouvriers, dont 24 mili­tants anar­chistes, furent exé­cu­tés sur-le-champ. »

14. Christ, encore membre de la direc­tion d’un mou­ve­ment de jeu­nesse de gauche, résis­tait à l’emprise des membres com­mu­nistes qui durent pro­vo­quer une scis­sion. Arrê­té il fut libé­ré par erreur et se réfu­gia à la campagne.

15. Le Mou­ve­ment fut peu à peu liqui­dé. Christ et Kor­sa­kine se retrou­vèrent deux ans plus tard à Buda­pest. « À cette époque la lutte pour l’a­ve­nir du pays se dérou­lait entre l’É­tat et l’É­glise. Par­ti­ci­pa­tion anar­chiste à ce com­bat ? Il n’y avait plus rien à faire, nous étions mis hors la loi, recher­chés par la police qui s’in­fil­trait par­tout, sans le moindre moyen finan­cier. Les anciens cama­rades étaient tous dis­pa­rus ou avaient aban­don­né leurs idées et étaient entrés au P.C. (d’où ils furent expul­sés à la pre­mière purge) 

16. P.M. s’é­tait réfu­gié en Ita­lie. Christ et Kor­sa­kine gagnèrent la France où ce der­nier mou­rut en décembre 1949. 

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