La Presse Anarchiste

Politique économique de la France

Fin des extraits du cours public de M. Delou­vrier à l’é­cole des sciences poli­tiques d’a­près l’é­di­tion de 1951 et le sup­plé­ment de 1953 – 54.

Programme du comité national de la résistance

L’ins­tau­ra­tion d’une véri­table démo­cra­tie éco­no­mique et sociale, impli­quant l’é­vic­tion des grandes féo­da­li­tés éco­no­miques et finan­cières de la direc­tion éco­no­mique.

… Le retour a la nation des grands moyens de pro­duc­tion mono­po­li­sés, fruits du tra­vail com­mun, des sources d’éner­gie, des richesses du sous-sol, des com­pa­gnies d’as­su­rances, et des grandes banques. 

… Le droit d’ac­cès dans le cadre de l’en­tre­prise aux fonc­tions de direc­tion et d’ad­mi­nis­tra­tion, pour les ouvriers pos­sé­dant les qua­li­fi­ca­tions néces­saires et la par­ti­ci­pa­tion des tra­vailleurs à la direc­tion de l’é­co­no­mie.

Retrous­sons nos manches

Quinze mois après la libé­ra­tion, huit mois après la capi­tu­la­tion alle­mande, la pro­duc­tion indus­trielle avait dou­blé par rap­port au mois d’août 1944 et avait atteint 67 % d’avant-guerre. 

Quinze mois après l’ar­mis­tice de novembre 1918, la pro­duc­tion indus­trielle ne s’é­le­vait qu’à 59 % de 1913. 

Ce résul­tat n’au­rait pas été obte­nu sans l’aide amé­ri­caine, mais il est juste de dire qu’il n’au­rait pas même avec cette aide été obte­nu si de grandes grèves avaient para­ly­sé la marche des usines comme ce fut le cas en 1919. Sur ce point, la reprise éco­no­mique a été faci­li­tée par la par­ti­ci­pa­tion des com­mu­nistes au gou­ver­ne­ment, les ministres com­mu­nistes prê­chant à toute occa­sion la néces­si­té de pous­ser la pro­duc­tion.

Le gou­ver­ne­ment a conser­vé tous les méca­nismes mis en place ou crées par le gou­ver­ne­ment de Vichy et tout au plus chan­gea-t-il le nom de cer­tains de ces orga­nismes par­ti­cu­liè­re­ment décriés : ain­si les Comi­tés d’Or­ga­ni­sa­tion se muèrent en Offices professionnels.

Quelques nationalisations

En fait, sous la pres­sion de l’o­pi­nion com­mu­niste, socia­liste et résis­tante, le mou­ve­ment nationn­li­sa­teur allait, dès sep­tembre 1944 et pen­dant toute l’an­née 1945 se déve­lop­per rapidement. 

Le géné­ral de Gaulle avait affir­mé à plu­sieurs reprises qu’il accep­tait le voeu du CNR sur le retour à la nation des grands moyens de pro­duc­tion. Il conseillait la prudence…

Les houillères

En dehors des motifs doc­tri­naux, il est cer­tain que la hâte avec laquelle les houillères du Nord et du Pas-de-Calais furent pla­cées, dès sep­tembre 1944, sous admi­nis­tra­tion pro­vi­soire de la puis­sance publique, trou­vait sa jus­ti­fi­ca­tion dans l’es­poir que l’é­vic­tion des anciens conseils d’ad­mi­nis­tra­tion contri­bue­rait à régler la crise de com­man­de­ment qui frei­nait le ren­de­ment des mineurs.

… Si ces mesures sont prises avec cette rapi­di­té, ― le Nord venait à peine d’être libé­ré, ― c’é­tait dans le but de remettre en marche immé­dia­te­ment la pro­duc­tion des houillères, alors que le cli­mat poli­tique ren­dait dif­fi­cile la col­la­bo­ra­tion entre les mineurs et les diri­geants des anciennes com­pa­gnies minières.

Les banques ?

Dans sa décla­ra­tion minis­té­rielle du 23.XI.1945 le géné­ral de Gaulle pro­met la natio­na­li­sa­tion du cré­dit, de l’élec­tri­ci­té et des assu­rances ; il n’eut le temps avant sa démis­sion de jan­vier 1946 que de réa­li­ser la natio­na­li­sa­tion du cré­dit qui fut accom­plie par la loi du 2.XII. 1945 (qui natio­na­lise la Banque de France, natio­na­lise les 4 grandes banques de dépôt, sou­met à un contrôle étroit les banques d’af­faires, crée le Conseil natio­nal du crédit). 

En fait la plu­part des diri­geants des quatre grandes banques furent main­te­nus à leur poste, et l’in­tru­sion syn­di­ca­liste dans les Conseils d’Ad­mi­nis­tra­tion n’a pas chan­gé le com­por­te­ment de ces banques.

L’As­sem­blée trou­vait que le Ministre des Finances n’a­vait pas été assez loin en ne natio­na­li­sant que quatre banques de dépôt et aucune banque d’af­faires… le géné­ral de Gaulle dut mettre toute son auto­ri­té en jeu pour que les deux grandes banques d’af­faires (la banque de Paris et des Pays Bas, la Banque de l’U­nion Pari­sienne) ne fussent pas natio­na­li­sées. Le pro­jet de natio­na­li­sa­tion du cré­dit fut adop­té par 517 voix contre 35. 

Le gou­ver­ne­ment Gouin avec M. Phi­lip à l’É­co­no­mie Natio­nale et aux finances ins­cri­vit dans sa décla­ra­tion minis­té­rielle la natio­na­li­sa­tion de la Banque de Paris et des Pays Bas et de la Banque de l’U­nion Pari­sienne. Le ministre deman­da l’a­vis du Conseil Natio­nal du Cré­dit qui, après des études sérieuses et longues, don­na un avis défavorable… 

Pas­sant outre cet avis, M. Phi­lip dépo­sa le 2. IV. 1946 un pro­jet de loi de natio­na­li­sa­tion en arguant du fait que la puis­sance finan­cière des deux banques en cause fai­sait obs­tacle à l’in­té­rêt géné­ral de la nation. L’As­sem­blée ne se pres­sa pas d’exa­mi­ner ce pro­jet et elle se sépa­ra sans l’a­voir voté… 

L’élec­tri­ci­té et le gaz

La natio­na­li­sa­tion de l’élec­tri­ci­té et du gaz fut votée par la loi du 8.IV-1946. La jus­ti­fi­ca­tion de cette natio­na­li­sa­tion était essen­tiel­le­ment que la pro­duc­tion était insuf­fi­sante et que le retour à la Nation des sources d’éner­gie élec­trique ten­dait prin­ci­pa­le­ment à rendre enfin pos­sible l’é­qui­pe­ment du pays en consi­dé­ra­tion de ses besoins. 

Les assu­rances

La deuxième grande natio­na­li­sa­tion de cette époque fut celle des assu­rances réa­li­sée par une loi du 25.IV.1946. La jus­ti­fi­ca­tion qui fut don­née à cette natio­na­li­sa­tion rési­dait dans le fait que les com­pa­gnies d’as­su­rance mal­gré le grand nombre des petites socié­tés étaient concen­trées en réa­li­té en quelques groupes domi­nants les­quels dis­po­saient de capi­taux consi­dé­rables, néces­saires pour la garan­tie même des risques des assu­rés. M. Phi­lip dans l’ex­po­sé des motifs décla­rait : « Par le moyen de la concen­tra­tion, l’in­dé­pen­dance de l’É­tat lui-même finit par se trou­ver mena­cée par les com­pa­gnies d’as­su­rances. »

Les Comi­tés d’entreprise

Une ordon­nance du 22.X1.1945 ins­ti­tue les Comi­tés d’en­tre­prise. Le prin­cipe en avait été admis dès le 29.IX.1944 par déli­bé­ra­tion du conseil des ministres. Si cette déci­sion avait été prise si rapi­de­ment c’est qu’elle se pré­sen­tait comme une contre­par­tie à l’op­po­si­tion du gou­ver­ne­ment à cer­taines ten­ta­tives ouvrières de s’emparer de la ges­tion des entre­prises dont les diri­geants étaient on fuite ou pré­ve­nus de col­la­bo­ra­tion. Le cas le plus célèbre fut celui des usines Ber­liet dans la région lyon­naise, dont le sort n’a été réglé qu’en 1950. 

… Le comi­té ne doit pas être un organe reven­di­ca­tif ; cette tache est dévo­lue aux délé­gués d’u­sines créés en 1936. 

Les 40 heures ?

La loi du 25. XI. 1946 réta­blit la loi des 40 h. en fixant à 25 % la majo­ra­tion de salaire pour chaque heure accom­plie au delà de la 40e et à50 % au delà de la 48e heure… M. Croi­zat du par­ti com­mu­niste, ministre du Tra­vail de l’é­poque dans l’ex­po­sé des motifs s’é­le­vait par avance contre tout patron qui rédui­rait la durée du tra­vail dans son usine. Il enjoi­gnait aux ouvriers de deman­der à faire des heures sup­plé­men­taires.

M. Léon Blum, Pré­sident du Conseil au début de 1947, l’au­teur de la loi de 1936 sur les 40 h, pro­cla­ma dans un grand dis­cours que si la durée res­tait 40 h, la durée nor­male devait être de 48 h.

La conférence du Palais royal

Pour les pro­duits indus­triels de consom­ma­tion cou­rante, on fit, fin 1945 milieu 1946, un essai de pro­duc­tion d’ar­ticles d’u­ti­li­té sociale à l’i­mi­ta­tion de ce que les Anglais avaient ins­ti­tué pen­dant la guerre. Mal­heu­reu­se­ment cette ini­tia­tive, ne réus­sis guère : les indus­triels et com­mer­çants n’é­taient pas ten­tés par l’ex­pé­rience, leurs pro­fits étant aisés et consi­dé­rables, puis les pre­miers essais dégé­né­rèrent en scan­dales, parce que cer­tains cabi­nets minis­té­riels se ser­virent de l’o­pé­ra­tion à des fins quel­que­fois poli­tiques, quel­que­fois sim­ple­ment malhonnêtes. 

Les élec­tions pour la 2e Consti­tuante avaient lieu en juin 1946 ; les syn­di­cats pro­fi­tèrent de la cir­cons­tance pour deman­der une aug­men­ta­tion géné­rale des salaires… Quant au CNPF consti­tué défi­ni­ti­ve­ment le 12.VI.1946., il demande au gou­ver­ne­ment la confron­ta­tion de tous les inté­rêts autour d’une même table. 

… Le 4. VII. 1946 se réunit la Confé­rence natio­nale éco­no­mique (du Palais Royal)… au bout de 15 jours les trois grandes syn­di­cales patro­nale, ouvrière et agri­cole, se mirent fina­le­ment d’ac­cord pour sou­te­nir leurs reven­di­ca­tions res­pec­tives.

Le tournant de 1947

Échec de l’ex­pé­rience Blum

En avril, on peut dire que l’ex­pé­rience Blum de défla­tion et de baisse des prix auto­ri­taire est ter­mi­née ; et l’é­chec patent se pro­dui­sit comme par hasard à pro­pos de la viande. Pen­dant 2 mois Paris man­qua de viande fraîche ; après une réunion plu­tôt dif­fi­cile avec les pré­fets de tous les dépar­te­ments pro­duc­teurs de viande, M. Rama­dier consta­tant son impuis­sance dut fina­le­ment céder et pour ali­men­ter la popu­la­tion pari­sienne accep­ta une hausse impor­tante du prix de la viande. Dès lors le choc psy­cho­lo­gique est ter­mi­né et il faut dès le 6. IV. 1947 aug­men­ter les salaires anor­ma­le­ment bas, en attri­buant une indem­ni­té tem­po­raire excep­tion­nelle d’exis­tence à un grand nombre de salariés.

…La grève Renault

Inter­vint alors une grève impor­tante chez Renault. Non satis­faits de l’aug­men­ta­tion des salaires qui leur avait été accor­dée, les ouvriers reposent une nou­velle fois le pro­blème d’aug­men­ta­tion géné­rale, le gou­ver­ne­ment Rama­dier en ren­voie la solu­tion au mois de juillet en s’ef­for­çant de faire traî­ner les choses en lon­gueur par l’é­tude du mini­mum vital…

… Devant ce que patrons et ouvriers appellent la carence gou­ver­ne­men­tale, les Conseils Confé­dé­raux du CNPF et de la CGT se ren­contrent et publient le Ier août une décla­ra­tion com­mune aux termes de laquelle le CNPF déclare pou­voir accor­der aux ouvriers une aug­men­ta­tion géné­rale et pro­por­tion­nelle des salaires d’au moins 11 %… et demande natu­rel­le­ment au gou­ver­ne­ment une révi­sion des prix. 

Le 21 août paraît au Jour­nal. Offi­ciel un arrêt du Ministre du Tra­vail qui accorde 11 % d’aug­men­ta­tion de salaire… 

La ques­tion des salaires et des prix n’é­tait pas pour autant réglée, les prix de détail et les prix de gros conti­nuant à mon­ter. Le 13.X1.1947 la CGT avait deman­dé une aug­men­ta­tion nou­velle et géné­rale des salaires et le 19.XI le gou­ver­ne­ment Rama­dier était démissionnaire…

Le gou­ver­ne­ment Shu­man-Mayer-Moch face à la grève générale

Le 22.XI. 1947 le gou­ver­ne­ment Shu­man-Mayer est consti­tué, le 26.XI il accorde une indem­ni­té excep­tion­nelle, une fois don­née de 1500 FF. par salaire ceci pour gagner du temps mais il est trop tard et la gra­vi­té de l’in­fla­tion se mani­feste d’une façon écla­tante par une vague de grèves qui se trans­forme le 28.XI en une grève géné­rale sur l’en­semble du ter­ri­toire, vingt fédé­ra­tions ouvrières consti­tuant un Comi­té Cen­tral de grève. Les débuts par­le­men­taires du gou­ver­ne­ment Schu­man dont le Ministre des Finances était M. René Mayer et le ministre de l’In­té­rieur M. Jules Moch, furent mar­qués par des débats d’une vio­lence ver­bale et même phy­sique que le Palais Bour­bon n’a­vait jamais encore connus à un tel degré ; le gou­ver­ne­ment deman­dait le vote de lois excep­tion­nelles sur le main­tien de l’ordre, les lois « scé­lé­rates » des communistes. 

… Les mou­ve­ments de grève durèrent en tout plus de trois semaines et prirent par endroits des allures révo­lu­tion­naires ; … après de nom­breux inci­dents entre les forces de police et les gré­vistes, la grève géné­rale devait prendre fin le 10. XII 1947. 

La grève s’é­tait ter­mi­née par un suc­cès psy­cho­lo­gique pour le gou­ver­ne­ment concré­ti­sé par la scis­sion de la CGT qui eut lieu le 19 XII 1947… L’u­ni­té syn­di­cale rom­pue, la poli­ti­sa­tion de la CGT qui gar­dait la masse réel­le­ment ouvrière, bri­sait la force reven­di­ca­trice des syn­di­cats qui allait per­mettre aux gou­ver­ne­ments de « manœu­vrer ».

La bataille des salaires et des prix continue

Une fois toutes les mesures du pro­gramme du gou­ver­ne­ment Schu­man-Mayer adop­tées et mises en oeuvre, il res­tait à gagner du temps néces­saire pour que l’en­semble des effets escomp­tés se réa­li­sa. Gagner le temps néces­saire, c’é­tait à tout prix évi­ter une nou­velle aug­men­ta­tion des salaires à la date pré­vue du mois de mars. 

Dès le 11 février la CGT demande au Conseil Éco­no­mique un rajus­te­ment des salaires de 20 % en se fon­dant sur l’é­vo­lu­tion des prix.

Le gou­ver­ne­ment tem­po­raire le 30 III 1948 lance avec l’ac­cord du Patro­nat une cam­pagne de baisse des prix. 

L’ef­fort gou­ver­ne­men­tal a consis­té évi­dem­ment à s’op­po­ser à la mon­tée des prix et des salaires. À cet égard, le deuxième semestre de l’an­née 1948 a été encore très dif­fi­cile : le gou­ver­ne­ment Marie-Rey­naud qui suc­cé­da en juillet 1948 au cabi­net Schu­man-Meyer accep­ta en août 1948 une hausse assez impor­tante. du prix des pro­duits agri­coles ; après l’aug­men­ta­tion consi­dé­rable des prix indus­triels et des salaires agri­coles fin 1947 début 1948, il était à peu près impos­sible de ne pas reva­lo­ri­ser les prix des pro­duits agri­coles ; mais cette hausse déter­mi­na au mois de sep­tembre une mon­tée des prix ali­men­taires qui elle-même déclen­cha aus­si­tôt une demande géné­rale d’aug­men­ta­tion des salaires. Le gou­ver­ne­ment Queuille accep­ta une hausse géné­rale des salaires de 15 %… En fait ce fut la der­nière aug­men­ta­tion géné­rale des salaires accor­dé en ver­tu des pou­voirs que l’É­tat s’é­tait don­nés en 1939 ; la Ière fois depuis la Libé­ra­tion, la déci­sion minis­té­rielle ne déter­mi­na qu’une aug­men­ta­tion de salaires réels conforme au pour­cen­tage fixé : c’é­tait vrai­ment le, signe que la pous­sée infla­tion­niste s’a­mor­tis­sait rapidement. 

Cette aug­men­ta­tion des salaires ne satis­fit natu­rel­le­ment pas les orga­ni­sa­tions ouvrières et les com­mu­nistes pro­fi­tèrent du moment pour déclen­cher ― non pas une grève géné­rale dont il crai­gnait l’é­chec ― mais une grève dans un sec­teur névral­gique et où les ouvriers était for­te­ment orga­ni­sés syn­di­ca­le­ment : ils choi­sirent les mines de charbon.
La grève dura près d’un mois, elle fut mar­quée d’in­ci­dents san­glants entre les gré­vistes et la troupe à laquelle il avait fal­lu faire appel. Mais ser­vi par le carac­tère violent et poli­tique de cette grève, le gou­ver­ne­ment réus­sit à obte­nir le retour au tra­vail sans avoir accor­dé une hausse de salaire. 

À dater de cette époque, les grandes grèves sont finies ; les gou­ver­ne­ments pen­dant l’an­née 1949 et le pre­mier semestre 1950 (Queuille ensuite Bidault avec puis sans les socia­listes) lou­voient et s’ef­forcent d’en­dor­mir leurs par­te­naires. Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales pro­testent contre le fait que les prix sont libres alors que les salaires ne le sont pas. On pro­met de dépo­ser une loi sur les conven­tions col­lec­tives. Son éla­bo­ra­tion est longue ; ce n’est que le 11 février 1950 qu’elle sera votée par le par­le­ment et qu’en août 1950 ― après le début de la guerre de Corée ― qu’elle sera appli­quée pour la pre­mière fois.

En atten­dant le gou­ver­ne­ment ter­gi­verse ; il accorde quelques avan­tages de détail… ; il peut le faire parce qu’en réa­li­té, l’a­mé­lio­ra­tion réelle du pou­voir d’a­chat des ouvriers rend ceux-ci beau­coup moins ardents à la lutte, et sur­tout parce que le début de réces­sion éco­no­mique déter­mine une légère ten­dance au chô­mage. Les chefs syn­di­caux savent que les « troupes » ne sui­vront pas s’ils déclen­chaient la grève.

Le plan Monnet

Le plan Mon­net (pre­mier plan de Moder­ni­sa­tion et d’É­qui­pe­ment) est le résul­tat de la col­la­bo­ra­tion au sein d’une ving­taine de com­mis­sions de direc­teurs d’ad­mi­nis­tra­tions, de patrons, d’ou­vriers, chefs syn­di­caux en géné­ral, et d’ex­perts indé­pen­dants tous repré­sen­ta­tifs mais non repré­sen­tants… C’est pra­ti­que­ment sans débats que le gou­ver­ne­ment de M. Léon Blum a adop­té le pre­mier plan de Moder­ni­sa­tion et d’É­qui­pe­ment en jan­vier 1947. 

C’est grâce, dans une large mesure, au tra­vail du Plan que l’al­lon­ge­ment de la durée du tra­vail au début de 1947 a été faci­le­ment accep­té par les syn­di­cats ouvriers, à la suite du rap­port de la com­mis­sion de la main d’œuvre pré­si­dée par un syn­di­ca­liste CGT. Il suf­fit de rap­pe­ler l’im­pos­si­bi­li­té poli­tique d’« assou­plir » la semaine de 40 h en 1937 – 38, prin­ci­pal obs­tacle à la reprise éco­no­mique, pour mesu­rer que ce chan­ge­ment d’o­pi­nion des diri­geants syn­di­caux ne fut pas un mince résul­tat. En 1938 la durée moyenne du tra­vail était de 39 h ; en 1948, elle a atteint 45 h. soit une aug­men­ta­tion de plus de. 15 % du poten­tiel de tra­vail de la France. 

Ce qui explique le frei­nage volon­taire du démar­rage de la recons­truc­tion en France c’est le choix poli­ti­que­ment dif­fi­cile fait sur ce ter­rain confor­mé­ment aux don­nées éco­no­miques et aux objec­tifs du Plan. 

Inflation = concentration du capital

Enfin der­nier résul­tat de la com­bi­nai­son de l’in­fla­tion et du diri­gisme pen­dant cette période (août 44―Décembre 1947), toutes les formes régres­sives de la pro­duc­tion et du com­merce ont été favo­ri­sées au détri­ment des formes pro­gres­sives… Contrai­re­ment à la grande infla­tion alle­mande d’a­près la guerre de 1918, qui se dérou­lant en régime libé­ral a per­mis un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable des grandes entre­prises concen­trées, l’in­fla­tion fran­çaise en régime diri­gé a été conser­va­trice dans le mau­vais sens du terme créant des rentes abu­sives pour les petits et moyens entrepreneurs. 

Rôle actuel de l’État (supplément 1953 – 54)

Aujourd’­hui, l’É­tat est deve­nu le pre­mier « inves­tis­seur », parce qu’il est res­pon­sable des grands tra­vaux de ses entre­prises natio­na­li­sées, de toute la recons­truc­tion pour dom­mages de guerre, et pra­ti­que­ment de toute la recons­truc­tion des mai­sons d’ha­bi­ta­tion. Cela repré­sente plus de 65 % des inves­tis­se­ments accom­plis dans toute la nation, et les 35 % qui dépendent des déci­sions des chefs d’en­tre­prises sont en fait déter­mi­nés par les précédents. 

L’É­tat est deve­nu le pre­mier « capi­ta­liste » du pays, en ce sens qu’il détient ou cana­lise presque toutes les sources de finan­ce­ment. Il crée la source quand il finance par l’im­pôt la recons­truc­tion, il les cana­lise quand il lance lui-même des emprunts ou auto­rise les autres à emprunter. 

L’É­tat est enfin le pre­mier « redis­tri­bu­teur » : la masse des dépenses bud­gé­taires et de sécu­ri­té sociale repré­sente 30 % à 40 % du reve­nu natio­nal, mais en fait les déci­sions de l’É­tat couvrent une beau­coup plus large pro­por­tion de l’en­semble des reve­nus : pro­ba­ble­ment près de la moi­tié du reve­nu agri­cole (blé, vin, bet­te­rave…), la tota­li­té des reve­nus salaires (par la déter­mi­na­tion du mini­mum vital garan­ti), une par­tie des reve­nus indus­triels (par le canal des salaires, des prix du char­bon, de l’élec­tri­ci­té, de l’a­cier, etc.). 

Le gou­ver­ne­ment parlementaire

… Sur qui il doit s’appuyer

En 1926, M. Poin­ca­ré en créant la Caisse Auto­nome d’A­mor­tis­se­ment et sur­tout en réa­li­sant des excé­dents bud­gé­taires avait déli­vré les ministres des Finances du cau­che­mar de la dette flot­tante. Cette heu­reuse période ne dura pas 6 ans. À par­tir de 1932, aucun gou­ver­ne­ment ne put gou­ver­ner sans la confiance des por­teurs de bons. (l’en­det­te­ment de l’É­tat s’est accru de 113 mil­liards entre 1931 et 1938 ― plus que le montent total de la cir­cu­la­tion fidu­ciaire en 1939 ― et pour plus de moi­tié sous la forme de bons à court terme dont le rem­bour­se­ment pou­vait être exi­gé à bref délai). 

Il a fal­lu le raz de marée élec­to­ral de 1936 pour rompre le charme nu prix d’ailleurs, comme on l’a vu plus haut, d’un recours constant aux avances de la Banque de France. Il est plus facile, en effet, de convaincre le Gou­ver­neur de la Banque, au besoin en le rem­pla­çant que de convaincre des mil­lions d’épargnants. 

Mais comme on l’a vu éga­le­ment, la « fugue » hors des sen­tiers de la confiance ne dura pas un an, et Léon Blum lui-même à la tête du gou­ver­ne­ment le plus à gauche que la France ait connu jus­qu’a­lors et sou­te­nu par une chambre « rouge » dut plier sous l’o­pi­nion de droite.

… Sur qui il pèse

D’a­près les accords Mati­gnon la hausse moyenne des salaires ne devait pas dépas­ser 12 %. En fait elle a atteint 16 % en pro­vince et 13,5 % à Paris. Au début de 1937, à la suite de la déva­lua­tion, les salaires déjà majo­rés sont encore aug­men­tés de 10 %. Or le gou­ver­ne­ment n’a même pas com­pen­sé cet énorme accrois­se­ment de pou­voir d’a­chat par un impor­tant pré­lè­ve­ment fis­cal sur les autres classes sociales. La situa­tion était donc la suivante : 

- impos­si­bi­li­té ou presque d’aug­men­ter les quan­ti­tés produites ;
– impos­si­bi­li­té de réduire rapi­de­ment les élé­ments du prix de revient autres que les salaires, accrois­se­ment du pou­voir d’a­chat de cer­taines classes sans pré­lè­ve­ment com­pen­sa­toire d’autres. 

La hausse des prix était dès lors fatale, non pas une hausse saine de pros­pé­ri­té, mais une hausse accé­lé­rée d’in­fla­tion ; hausse des prix qui absorbe et redis­tri­bue le pou­voir d’a­chat nou­vel­le­ment créé, au pro­fit des pro­duc­teurs et com­mer­çants et au détri­ment des ouvriers, fonc­tion­naires, retrai­tés et ren­tiers.

De 1931 à 1935 la période fut belle pour les fonc­tion­naires et pour tous ceux qui tirent leurs reve­nus de la puis­sance publique, c’est-à-dire ren­tiers, pen­sion­nés, four­nis­seurs et entre­pre­neurs, et, au contraire, de 1935 à 1938 leur situa­tion devint mau­vaise car le rajus­te­ment de leurs reve­nus est beau­coup moins rapide que la hausse des prix. Il est mal­gré tout curieux de consta­ter que si l’on tient compte du mou­ve­ment des prix et mal­gré l’ef­fort consi­dé­rable fait pour la défense natio­nale, le poids réel des charges publiques est plus faible en 1938 qu’en 1935, ce qui tend à prou­ver que l’ef­fort de réar­me­ment a pesé sur­tout sur les fonc­tion­naires, retrai­tés et pen­sion­nés.

… À quoi sert-il ?

Pour les trois ans 1936 – 1937-1938, les défi­cits bud­gé­taires cumu­lés donnent un mon­tant égal aux cré­dits mili­taires soit 65,8 mil­liards au total.

Com­ment peut-on résu­mer l’emploi des deniers publics (recettes fis­cales, emprunts et infla­tion) pour l’an­née 1938 ? 

- 18 % étaient consa­crés à la marche des ser­vices civils c’est ce que l’on appelle le train de vie cou­rant de l’É­tat, celui que tout le monde trouve tou­jours trop impor­tant. 18 % = 24 mil­liards pour assu­rer la rému­né­ra­tion de tous les fonc­tion­naires civils et la marche de tous les ser­vices : jus­tice, police, diplo­ma­tie, finances, voie­rie, hygiène et san­té publique, etc.
– 21 % étaient consa­crés à l’exé­cu­tion de tra­vaux dont la moi­tié pour l’en­tre­tien, la recons­truc­tion et l’é­qui­pe­ment neuf du domaine de l’E­tat (ports, routes, écoles, mai­ries, ter­rains de sport, etc.) et l’autre moi­tié pour le même objet sur le domaine des col­lec­ti­vi­tés locales ou des éta­blis­se­ments publics et dans quelques cas des entre­prises privées.
– 10 % étaient consa­crés à per­mettre aux Fran­çais de voya­ger ou de trans­por­ter des mar­chan­dises à très bon marché.
– 45 % étaient consa­crés à payer les dépenses résul­tant de la pré­cé­dente guerre et de la pré­pa­ra­tion à la prochaine…

Fin des notes du cours de M.Delouvrier.

N.B. de la rédac­tion :

Les extraits du cours de M.Delouvrier n’en­gagent pas notre opi­nion. Nous les avons don­nés parce que nous les trou­vons inté­res­santes au point de vue inter­pré­ta­tion non anar­chiste des évè­ne­ments des der­nières décades en France sur­tout pour leur struc­ture économique. 

Les cama­rades qui se sont adres­sés à nous en sous cri­ti­quant sur les opi­nions expri­mées par M.Delouvrier doivent prendre ce fait en consi­dé­ra­tion. En même temps, il serait inté­res­sant pour tous d’é­tu­dier ces opi­nions d’a­près nos concep­tions et nous espé­rons le faire, avec votre aide, dans un des pro­chains numéros. 

Comme pré­cé­dem­ment nous avons sous-titré et sou­li­gné de nous-mêmes.

Nous n’a­vons pas indi­qué dans ce cahier le numé­ro des pages du cours. Bien enten­du nous tenons à la dis­po­si­tion de tous la réfé­rence très pré­cise des cita­tions choisies. 

La Presse Anarchiste