La Presse Anarchiste

Quelques questions que je me pose…

On fonc­tionne plus ou moins sur l’idée, entre autres, que la péri­ode actuelle n’est pas (ou pas encore) une péri­ode de « mon­tée des luttes », comme on dit, que nous sommes plutôt dans une phase de repli sans affron­te­ment vio­lent avec le Pou­voir (bien que, par ailleurs, on par­le sou­vent de développe­ment de nou­velles luttes autonomes, etc.) [[Ce n’est pas con­tra­dic­toire, on le ver­ra plus loin.]].

Je suis assez d’ac­cord avec cette analyse — dans sa général­ité — mais, là où le bât blesse, c’est que la « réponse » que nous y don­nons serait que le seul tra­vail mil­i­tant pos­si­ble soit la divul­ga­tion des idées anars ou lib­er­taires, le sou­tien aux vic­times de la répres­sion, et l’ap­port de notre petite pierre à la restruc­tura­tion du mou­ve­ment anar. Ce qui se traduit, dans les faits, par une atti­tude extrême­ment rou­tinière et stéréo­typée. Je pré­cise : au lieu d’analyser la réal­ité con­crète de la société actuelle on répète (ron­ronne) trop sou­vent les vieilles analy­ses sur l’É­tat, les insti­tu­tions répres­sives, le fron­tisme, etc. Au nom de l’im­por­tance du « pro­jet » glob­al on som­bre fréquem­ment dans les plus mau­vais aspects de la poli­tique spé­cial­isée ; on cri­tique la poli­tique — spec­ta­cle — et — représen­ta­tion et, par­al­lèle­ment, on procède par incan­ta­tion trop sou­vent, et par slo­gan [[Dans les « points com­muns  » on a par­lé de la repro­duc­tion des rap­ports dans le sys­tème ; je me demande si notre « mode de tra­vail » poli­tique (nos for­mu­la­tions, nos références par­fois machi­avéliques pour le pou­voir, et tri­om­phal­istes sur les tra­vailleurs), par son côté clas­sique, voire vieil­lot, ne fait pas par­tie aus­si de la « repro­duc­tion » du sys­tème actuel.]].

On rejette les analy­ses nou­velles (ou pré­ten­dues telles), soit au nom de la cri­tique du ver­biage mod­erniste, qui ne dit rien de vrai­ment nou­veau et sert seule­ment à asseoir le pou­voir d’une nou­velle couche intel­lectuelle (et là je suis d’ac­cord), soit parce que ces analy­ses auraient déjà été faites il y a 50 ans ou plus par les anar­chistes ; on tombe alors dans plusieurs pièges :

  • le refus d’ac­tu­alis­er ce qui a été dit sur la nature de l’É­tat, les class­es, les formes de luttes, et, son corol­laire : la sécuri­sa­tion dans l’idéolo­gie anar, fait qu’on appar­tient au « bon » courant qui avait été précurseur en ce qui con­cerne sa vision de l’é­tat, de l’au­torité, etc… !

Je ne suis pas sys­té­ma­tique­ment con­tre les idéolo­gies, ce serait faire preuve d’hypocrisie, car tout un cha­cun en a une, et l’on réflé­chit tou­jours à par­tir d’un cadre de référence ; le prob­lème est quand la référence devient car­can ; c’est par­fois ce qui arrive ici quand on agite nos fétich­es sur l’É­tat-répres­sion, le moment insur­rec­tion­nel, et, en con­tre-point ou sur-impres­sion, l’au­tonomie des luttes.

On manie tout un vocab­u­laire, au nom du pro­jet révo­lu­tion­naire, qui ne rend pas for­cé­ment compte, ni de la réal­ité du pou­voir d’É­tat à l’heure actuelle, ni du niveau d’im­pact des luttes ; on cherche tou­jours d’ailleurs une cohérence entre les deux, restant en cela dans la pure tra­di­tion gauchiste. S’il est vrai que, là où il y a lutte, il y a répres­sion, on sait aus­si que ce rite insti­tu­tion­nel fonc­tionne depuis bien longtemps, qu’il ne change pas fon­da­men­tale­ment le rap­port de force, et que le véri­ta­ble total­i­tarisme d’É­tat qui va crois­sant, se met en place par des canaux plus insi­dieux (média, déla­tion, lois anti-ter­ror­istes, etc) ; face à ces nou­veaux moyens de con­trôle, nous ne pour­rons rester que désar­més si nous nous con­tentons de brandir le spec­tre de l’É­tat-répres­sion, flic ou patron, et si nous con­tin­uons à être obnu­bilés, au niveau des ripostes au pou­voir cap­i­tal­iste ou d’É­tat, par les ten­ta­tives de « luttes autonomes » des travailleurs.

On est à ce niveau dans un cer­tain para­doxe ; on com­mence, nous et d’autres, à par­ler de formes nou­velles, accrues, de ter­ror­isme-total­i­tarisme d’É­tat (cf. le n° 6–7 de la L.N. : « isole­ment dans le fas­cisme tech­nocra­tique », [« la tech­nobu­reau­cratie ») mais, dans le même temps, comme par schiz­o­phrénie, on main­tient les mêmes répons­es sécu­laires, de sou­tien aux vic­times de la répres­sion (par ex. meet­ing où l’on se retrou­ve entre con­va­in­cus, etc.). Ce qui sig­ni­fie que pour nous, l’en­ne­mi est qua­si-unique­ment matéri­al­isé par les insti­tu­tions éta­tiques bien repérables (armée, police, etc.) ; on reste en ter­rain con­nu, parce que là, on y a notre code de réponse (les formes clas­siques de pro­pa­gande). Bien sûr la répres­sion sous ces formes-là existe, mais le con­trôle éta­tique se joue de plus en plus ailleurs.

Je voudrais aus­si revenir sur la ques­tion de « l’au­tonomie » des luttes des tra­vailleurs ; ça existe par­fois, c’est sûr, mais on est sou­vent bien obligé de faire en ce domaine un con­stat d’échec ; les cama­rades de l’O.C.L. font une analyse de ce qu’ils appel­lent « la mon­tée d’une nou­velle gauche ouvrière », c’est-à-dire de l’ex­is­tence crois­sante de luttes autonomes dans dif­férents secteurs ; mais la résul­tante est néan­moins un « match nul » dû au fait, qu’à côté de ces luttes, la stratégie patronale ou gou­verne­men­tale est une répres­sion sélec­tive, par­al­lèle­ment aux négo­ci­a­tions. Notre fas­ci­na­tion pour l’au­tonomie pour­rait peut-être se trans­former en inter­ro­ga­tions sur le sens, la pos­si­bil­ité con­crète ou pas de ces actions autonomes ?

Bref, à con­tin­uer à véhiculer trop de stéréo­types, fussent-ils « anar­chistes », on risque fort de se bat­tre con­tre des moulins à vent à l’ère de l’ordinateur.

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Suite à une dis­cus­sion sur ce texte, quelques points que je voudrais préciser

Sur la car­ac­téri­sa­tion de la péri­ode actuelle, des copains du groupe pensent que, bien qu’il n’y ait pas actuelle­ment d’af­fron­te­ments vio­lents avec le pou­voir, ni de luttes spec­tac­u­laires, les luttes se mul­ti­plient dans beau­coup de secteurs, puisque presque tous les secteurs de la vie (usine, quarti­er, envi­ron­nement, san­té, trans­ports) et con­di­tions « spé­ci­fiques » : femmes, homo­sex­u­al­ité.., font l’ob­jet de luttes con­tre le pou­voir, l’or­dre ou les rôles établis.

Cela me parait juste si on se lim­ite à ce sim­ple con­stat que de nom­breux secteurs de la vie font l’ob­jet de cri­tiques et d’un désir de change­ment de la part des intéressés ; mais de là à con­clure que nous sommes dans une péri­ode « dynamique », comme le pensent cer­tains, là, je ne vois pas ! Beau­coup de mou­ve­ments de lutte se cassent la gueule : la grève de la Caisse d’Epargne, le mou­ve­ment étu­di­ant l’an dernier, par exem­ple ; je vois plus « d’in­stal­la­tion », de rou­tine, dans les luttes que de regroupe­ments offen­sifs et imag­i­nat­ifs. Bref, c’é­tait donc mon point de vue sur la ques­tion et non celui du « on » indéfi­ni employé dans le texte, à plusieurs repris­es d’ailleurs et qui, en général, désigne l’opin­ion dom­i­nante qui ressort des dis­cus­sions ou textes émanant du groupe de la Lanterne.

Par ailleurs, en ce qui con­cerne l’ex­ten­sion des idées lib­er­taires, il est vrai qu’un « vent » lib­er­taire ou anti-autori­taire souf­fle depuis 68, mais je crois que ce phénomène est dif­férent du mou­ve­ment anar, à l’heure actuelle ; et y voir un ren­force­ment du mou­ve­ment anar me parait être un peu de la pro­jec­tion, car ce courant « lib­er­taire » a repris à son compte une cer­taine cri­tique de la poli­tique, et cer­tains groupes ou organ­i­sa­tions anars ont bien gardé par con­tre les tra­vers politi­cards remis en cause par ce courant anti-autoritaire.

Enfin, sur le prob­lème de la fer­me­ture, au nom du fait que cer­tains groupes ou indi­vidus ont rem­placé le déter­min­isme économique par celui du désir ou du refoulé (démarche les con­duisant à un aban­don de toute action col­lec­tive ou poli­tique, la cri­tique en ayant été faite au nom de la libéra­tion indi­vidu­elle), nous réagis­sons par la poli­tique de l’autruche, la mise au ran­card ; même si nous ne sommes pas d’ac­cord avec ces démarch­es, les prob­lèmes qui ont été soulevés me parais­sent dignes d’in­térêt (cri­tique des formes de mil­i­tan­tisme clas­sique ren­forçant le masochisme plutôt que l’au­tonomie, par exem­ple, analyse « d’in­tel­lectuels » sur les modal­ités de la soumis­sion des indi­vidus au sys­tème, etc) et les ignor­er, quand ce n’est pas les nier, me paraît être en régres­sion par rap­port à nos objec­tifs (revue de cri­tique anarchiste).

Agathe.


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