Avant de donner ma position sur les raisons propres à la revue qui ont sans aucun doute influé sur le manque de courrier, je veux commenter quelques points.
L’action, excusez-moi, l’Action, est-ce qu’on oppose à une revue ; c’est-à-dire : que faites-vous à part ça ? ou bien : la revue expose-t-elle les problèmes, le reflet de votre pratique ?
Mais j’entends rarement la définition du mot « Action ». Distribuer des tracts ? Mais la plupart du temps, on les retrouve par terre et ça me rappelle un copain ouvrier anar qui se réjouissait de l’approche des élections syndicales dans sa boîte, car il allait pouvoir faire provision de papier coupé à la mesure pour les cabinets.
Les slogans, les bombages, les affiches. Oui pour appeler à un meeting, mais à part ça, je suis aussi sceptique, car il faut un appui, des explications. Par exemple, des bombages sur la répression en Iran, ou tant d’anars arrêtés en Espagne, etc., dans les couloirs du métro à Paris, je ne vois pas bien l’effet pratique, sauf la satisfaction personnelle de ceux qui les ont mis.
Il y a les manifs. Là, je ne sais pas bien. Je n’ai jamais compris pourquoi il fallait risquer de se faire démolir par les flics ou le service d’ordre de telle ou telle organisation. Aussi, si je vais à une manif, où il peut y avoir de la casse, je prendrai un flingue. Mais aller avec un flingue, c’est pas tellement discret, et puis j’ai l’impression que c’est un peu toujours les mêmes mecs qui y vont. Donc je ne crois pas que ce soit tellement efficace de manifester. Les meetings sont sans doute mieux, à condition de supprimer les orateurs et de faire des petits groupes de travail en liaison, mais là aussi il me semble que ça ne se fait pas beaucoup. Donc, tout cela n’est guère sérieux.
L’action plus efficace, selon moi vient de la présence qu’on peut avoir individuellement dans son quartier, sur son lieu de travail, parce que les gens préfèrent écouter quelqu’un qu’ils connaissent, qu’ils ont sous la main : un slogan, un tract, etc., ça fait mystérieux, lointain. Mais, à côté de ça, il faut dans certains cas des faits « brutaux » comme l’occupation de tel ou tel lieu appartenant à une entreprise en grève, où un pays où sévit la répression. Dans un cas comme dans l’autre, c’est quand même moins froid, moins publicitaire…
Une autre forme que je considère une action, c’est le suicide par le feu, la guérilla urbaine, mais personnellement en ce moment je pense qu’une revue est aussi une forme d’action.
Sur tous les plans (travail, loisir, contacts humains), nous sommes confrontés à l’exploitation, bien sûr mais surtout à l’autoritarisme, et les nombreuses critiques des militantes contre notre phallocratisme plus ou moins conscient, démontrent que c’est loin d’être un problème résolu. En plus, il y a le problème tout simple du temps : on a beaucoup de choses à faire (les gosses, les courses), il faut se distraire mais pas trop sinon on s’embourgeoise, il faut militer sans tomber dans le mythe du parti, il faut lire, mais quoi et c’est cher.
J’ai besoin personnellement d’une revue qui soit vraiment indépendante des chapelles : pas de leaders manipulés par la F.M. comme à la Fédération Anarchiste (il semble que pas mal de gens ne soient pas encore au courant), pas de dialogues sympas mais téléguidés comme à l’O.C.L., pas de triomphalisme comme Lutter ou Solidarité Ouvrière. Et cela, parce qu’une revue implique la recherche d’hypothèses, de nouvelles voies qui peuvent apparaître au bout d’un certain temps absurdes. Donc, une organisation ne peut d’une part avoir assez de souplesse idéologique pour se mettre en cause profondément sans se péter la gueule, et elle ne peut non plus admettre toute tactique de peur de voir ses militants disparaître dans des tâches imprévues.
Il serait bon, dans l’absolu, que des représentants des organisations s’expriment dans la revue pour défendre au besoin leurs positions. Le principal serait que la revue apparaisse comme un lieu de discussion sans arrière-pensées, dans de multiples directions pratiques. On ne peut pas réexposer à chaque fois les positions anars sur les élections, le parlementarisme, l’enseignement. Il le faut, mais brièvement et clairement, pour se consacrer à des domaines nouveaux. Par exemple, la médecine et la médecine parallèle et la mise en contacts des anars du secteur de la Santé pour faire un boulot de type parasyndical et l’aide aux copains. Sur l’écologie, beaucoup a été fait, et il serait bon de résumer. Pour la sexualité, je suis toujours surpris qu’on présente l’avortement comme une solution, alors que c’est la dernière des solutions anticonceptionnelles ; donc, là aussi, il y a pas mal de confusion.
La revue est un antidote au quotidien édifié par le capital, et son « métro, boulot, dodo » confort-ennui, faux loisirs.
La Lanterne remplit-elle cette fonction ?
Pas assez. Le groupe éditeur me semble avoir été un groupe faussement affinitaire, c’est-à-dire qu’il n’y avait sans doute pas assez de clarté sur le fonctionnement pratique et pas assez d’amitié entre les membres pour résoudre tranquillement ces questions. Mais ça, c’est mon opinion de lecteur-membre périphérique du groupe.
Donc, les lecteurs ont pu être déroutés par une certaine sécheresse dans l’exposé de certains articles, et ne pas vouloir écrire à ce qui leur semblait peu attrayant.
Cependant, ce n’est nullement là l’explication globale du phénomène général de la non-participation des lecteurs non autoritaires aux revues qu’ils lisent.
À mon avis, il y a un certain nombre de raisons, mais je suis incapable de dire quelles sont les plus importantes et si j’aborde les unes avant les autres, ce n’est pas par priorité, mais parce que je prends au petit bonheur différents papiers où j’ai griffonné des idées.
- Le manque de temps et la difficulté de savoir où trouver l’information principale et les études utiles et compréhensibles (voir un peu plus loin les publications « à lire » !) est une raison archicourante.
- Il y a aussi l’hypocrisie de l’argument sur l’action (et je dois répéter qu’informer lucidement c’est pour moi une action) qu’on peut retourner aisément en disant quelle action proposez-vous à une revue, quels enseignements donnez-vous de vos actions ?
Depuis mai-juin 1968, j’ai l’impression que parallèlement au développement des idées libertaires, il y a un retrait des militants anarchistes. (Je ne sais toujours pas la différence que font certains entre libertaire et anarchiste. Dans la phrase précédente, c’est juste pour éviter la répétition. Mais moi, je suis anarchiste. Quand on dit libertaire, cela me fait penser qu’il y a des restrictions sous-entendues. Ou bien, je dis : je suis anarchiste et je suis d’accord pour travailler avec des anti-autoritaires). Chacun cultive ses penchants sa créativité, et on sait que les organisations anars peuvent être aussi connes que les autres, donc on ne fait en pratique pratiquement rien. La fameuse autonomie, les rapports libres et souples entre groupes informels deviennent des prétextes à l’inaction individualiste (car il y a des actions individuelles fort positives : vivre en accord avec l’anarchisme, par exemple).
Mais il y a des camarades qui écrivent, comment savoir ce qui pousse les uns à le faire et les autres pas ?
Quand j’écris c’est parce que je sais que des copains vont lire mon papier. Et je soupçonne ceux qui écrivent d’être dans le même cas. C’est-à-dire qu’un groupe n’a souvent de correspondance qu’avec des camarades qu’il connaît plus ou moins directement. Et donc à mon avis les rares lettres de lecteurs ne sont que des exceptions qui confirment la règle du silence.
Or le silence, je le répète, il vient aussi du manque de temps. Et j’en veux pour preuve la liste des publications « à lire ! », liste minimum, dont la Lanterne devrait faire des compte-rendus pratiques (c’est-à-dire des extraits, un résumé de l’essentiel).
Il y a la presse bourgeoise, Le Monde, Le nouvel Obs.. Et aussi la presse proche de nous : Charlie-Hebdo, La Gueule Ouverte, Libération, les revues de consommateurs parfois (et pourquoi pas nous lancer là-dedans ?), Révolte Logique, Échange, I.R.L., Spartacus, Abolition du Salariat. Les revues anars Monde Lib, Front Lib., Lutter, Poing Noir, sans oublier la presse anar anglaise (Freedom, Black Cross), italienne (A), espagnole (CNT, Soli, Ajoblanco), allemande, suédoise et le C.I.R.A., plus la revue des anars chinois et japonais en anglais.
À part ce travail qui devrait être fait depuis des années, il y a une lacune scandaleuse au niveau des livres. Ils sont de plus en plus chers, c’est donc maintenant qu’il faut faire des comptes-rendus clairs, soit pour que je sois convaincu de ne pas l’acheter, soit pour que je sache ce qu’il y a dedans sans avoir à l’acheter (je suis d’origine auvergnate). Rien sur la situation économique et ce qu’il faut en penser, rien sur l’histoire du mouvement anarchiste en France (Biard), rien sur la remise en cause du travail par la presse bourgeoise (Rousselet, Adret), rien sur les pays de l’Est (« Salaire aux pièces », le(s) samizdat(s), le livre de Plioutch).
Sincèrement, je pense que si la Lanterne apparaît comme un outil de réflexion vraiment pratique, structuré (la partie information, la théorie, la partie compte-rendus de lectures), les lecteurs perdront leur méfiance et participeront.
Évidemment, il faut que cela soit accompagné de l’annonce du plan de travail ou des futurs articles de la revue, afin que les lecteurs motivés ou intéressés puissent participer aux articles, envoyer les leurs.
Chassignol