La Presse Anarchiste

Espagne : Mouvement ouvrier et organisation spécifique

Ce docu­ment émane d’un groupe de cama­rades de Bar­ce­lone. À notre avis, ce texte a le mérite de poser des pro­blèmes impor­tants qui concernent tout le mou­ve­ment anar­chiste, étant don­né que les formes de l’organisation ouvrière sont direc­te­ment liées au déve­lop­pe­ment de la lutte révo­lu­tion­naire. Nous espé­rons conti­nuer avec les lec­teurs la dis­cus­sion sur ce sujet, com­men­cée depuis le numé­ro 67 de notre revue.

À tous les anarchistes

Actuel­le­ment, nous, la plu­part des anar­chistes nous mili­tons à la CNT car nous croyons, comme dans le pas­sé, qu’il n’est pas pos­sible d’ar­ri­ver à une socié­té com­mu­niste liber­taire sans l’A­NAR­CHO-SYN­DI­CA­LISME, c’est-à-dire sans la pro­jec­tion des prin­cipes ANARCHISTES dans un SYNDICAT. C’est pour cela que le syn­di­cat, pour les anar­chistes anar­cho-syn­di­ca­listes, n’est pas une fin en soi, mais un moyen néces­saire pour la trans­for­ma­tion totale de la société. 

Il y a par ailleurs, beau­coup d’autres anar­chistes qui ne sont pas anar­cho-syn­di­ca­listes, mais qui sont orga­ni­sés dans des col­lec­tifs auto­nomes (éco­lo­giques, natu­ristes, com­mu­nau­tés, athé­nées, etc.) ou qui se défi­nissent, tout sim­ple­ment, comme anar­cho- individualistes. 

Mais avec l’af­fi­lia­tion mas­sive qu’a connue récem­ment la CNT, nous la plu­part des anar­chistes anar­cho-syn­di­ca­listes, voyons avec éton­ne­ment une lutte de ten­dances à l’in­té­rieur de la CNT ayant comme but d’im­po­ser leur propre cri­tère. Cette lutte, qui entrave l’a­vance natu­relle de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, finit par se sim­pli­fier et se réduire fina­le­ment à deux ten­dances fondamentales : 

  • d’une part la ten­dance Jaune, réfor­miste, qui vient de cama­rades « cin­co­pun­tistes », « pes­ta­nistes » ou qui ont mili­té pen­dant plu­sieurs années dans le syn­di­cat ver­ti­cal. Cette ten­dance, qui a la pré­ten­tion d’une CNT exclu­si­ve­ment syn­di­ca­liste et non pas anar­cho-syn­di­ca­liste, compte sur le sou­tien de mili­tants de groupes et de par­tis poli­tiques tels que LC, MCL, PORE, OICE, PSC, AC, P.Carli, ERC et autres, sou­tien qui se mani­feste sur­tout dans les moments de déci­sion (Plé­nums, Assem­blées, élec­tion de Comi­tés, etc.)
  • D’autre part, il existe la ten­dance Anar­cho-léni­niste, avant-gar­diste, issue de cama­rades liés au Secré­ta­riat Inter­con­ti­nen­tal (Tou­louse et orga­ni­sés à la FAI.) 

Cette ten­dance qui sur­git comme une réac­tion à l’autre, a pour but d’empêcher que la CNT tombe dans le réfor­misme, et pour ce faire, elle uti­lise les mêmes sché­mas tra­di­tion­nels de la FAI de 36, sché­mas qui, à cause de leur déca­lage avec la période actuelle, favo­risent une concep­tion d’Avant garde anar­chiste plu­tôt qu’une défense des prin­cipes anar­chistes de l’A­nar­cho-syn­di­ca­lisme. Dans les moments de déci­sion cette ten­dance rejoint les anar­chistes anar­cho-syn­di­ca­listes non orga­ni­sés dans une orga­ni­sa­tion spé­ci­fi­que­ment anarchiste.

Pour com­men­cer un débat cri­tique Autour du futur du Mou­ve­ment Anar­chiste, il faut tenir compte des deux fac­teurs dont on a par­lé : l’exis­tence d’a­nar­chistes anar­cho-syn­di­ca­listes et non anar­cho-syn­di­ca­listes d’une part et la lutte de ten­dances à l’in­té­rieur de la CNT. Ce qui est évident c’est que la struc­ture his­to­rique tra­di­tion­nelle (CNT-FAI-JJLL) consti­tue un cadavre his­to­rique qui ne mérite pas la peine d’être res­sus­ci­té mais que le futur Mou­ve­ment Anar­chiste doit se struc­tu­rer à par­tir de la situa­tion actuelle.

La CNT en tant qu’axe fondamental du mouvement anarchiste

Face à ceux qui sont favo­rables à une CNT jaune, réfor­miste, seule­ment syn­di­ca­liste, il faut sou­li­gner l’im­pos­si­bi­li­té d’un syn­di­ca­lisme neutre du style de celui défen­du par Pes­ta­na en 1925 quand il consi­dé­rait le syn­di­cat comme « un ins­tru­ment de reven­di­ca­tions éco­no­miques, subor­don­né à la lutte de classes et dépour­vu d’adhésion idéo­lo­gique détér­mi­née, avec une fina­li­té de classe, éco­no­mique, maté­ria­liste, lais­sant de côté les ques­tions de morale et d’é­thique col­lec­tive, de secte ou de par­ti, défi­nies par le groupe ». Gomez Casa remarque très bien com­ment on voit déjà dans ces lignes, la stra­té­gie sui­vie après par Pes­ta­na : « vider le syn­di­ca­lisme de son conte­nu éthique et trans­for­ma­teur, dépas­sant les reven­di­ca­tions pure­ment éco­no­miques, pour assi­gner par la suite ce conte­nu ou éthique à un par­ti ou une école. » 

Pes­ta­na signale ici ce qu’il déve­lop­pe­ra après peu à peu jus­qu’à arri­ver au « Par­ti Syn­di­ca­liste ». Face à cette concep­tion il faut décla­rer qu’un tel syn­di­ca­lisme est inexis­tant, à l’op­po­sé de ce que pré­tendent ceux qui veulent réduire l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme au syn­di­ca­lisme tout court, en éli­mi­nant toute concep­tion de trans­for­ma­tion sociale. Le mou­ve­ment ouvrier pur n’existe pas : il existe un mou­ve­ment ouvrier désa­gré­gé en de mul­tiples ten­dances (socia­liste, com­mu­niste, chré­tien, anar­chiste…) et c’est selon ces ten­dances et leurs objec­tifs res­pec­tifs que les ouvriers se groupent en syndicats. 

C’est ain­si qu’on ne peut pas nier le carac­tère anar­chiste de la CNT. Par ses prin­cipes idéo­lo­giques essen­tiel­le­ment « acrates » et parce qu’elle a été fon­dée par des « acrates » ce qui rend par­fai­te­ment com­pré­hen­sible leur influence sur la Syn­di­cale. Moins natu­relles sont, par contre, les ten­ta­tives de dévia­tion vers le réfor­misme, ou de main­mise de la part de mino­ri­taires com­man­dos communistes. 

La concep­tion poli­ti­co-éco­no­mique et phi­lo­so­phique de l’A­nar­chisme est constam­ment pré­sente dans l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme de la CNT. Depuis tou­jours elle s’est pré­sen­tée comme anti­gou­ver­ne­men­tale ou anti­éta­tique et anti­par­le­men­taire. Les acti­vi­tés dites poli­tiques qui ont pour fina­li­té l’É­tat, le Par­le­ment ou les ins­ti­tu­tions de la socié­té bour­geoise sont consi­dé­rées comme dépour­vues d’au­then­ti­ci­té, simples excrois­sances des acti­vi­tés humaines de base. En consé­quence, il est natu­rel que la tac­tique de lutte adop­tée par la CNT soit l’ac­tion directe, c’est-à-dire la pro­jec­tion directe de l’é­lan et de la volon­té orga­ni­sa­tive de la base où réside la vie de l’or­ga­ni­sa­tion. Dans l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, la vie de l’or­ga­ni­sa­tion est tou­jours venue de la base et le pou­voir de déci­sion a tou­jours appar­te­nu aux syn­di­cats, et, au sein d’eux, aux mili­tants. On a tou­jours refu­sé les élites dont l’exis­tence implique néces­sai­re­ment celle de cercles pri­vés ou intimes, une fonc­tion diri­geante, une struc­ture hié­rar­chique ou semi-hié­rar­chique de l’or­ga­ni­sa­tion et une masse de diri­gés en oppo­si­tion aux diri­geants. Mais l’a­nar­chisme et sa pro­jec­tion ouvrière, l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, est avant tout, une réac­tion logique contre tout le contexte auto­ri­taire de l’his­toire, et en consé­quence, rem­place l’ac­tion toute puis­sante du diri­geant au som­met par l’ac­tion res­pon­sable du mili­tant sur un pied d’é­ga­li­té à l’in­té­rieur du syn­di­cat respectif. 

En ce qui concerne le carac­tère his­to­rique de la rela­tion entre la CNT et l’a­nar­chisme on constate que ceux qui ont fon­dé et déve­lop­pé la CNT ont été des anar­chistes. Il suf­fit de regar­der les listes des délé­ga­tions au Congrès Consti­tu­tif de 1910, du Théâtre « Conser­va­to­rio » de Madrid, 1931, de Sara­gosse, 1936, pour démon­trer que l’é­cra­sante majo­ri­té des délé­gués étaient anar­chistes, affi­liés ou pas à des orga­ni­sa­tions spé­ci­fiques anarchistes. 

La CNT est donc l’axe fon­da­men­tal du mou­ve­ment anar­chiste. L’ac­cu­sa­tion fait par cer­tains, que l’a­nar­chisme est une forme qui mani­pule la CNT est extra­va­gante et dépour­vue d’in­for­ma­tion, puisque les anar­chistes ont été la véri­table force vis­cé­rale qui l’a construit. Et ceci en marge du fait concret de l’exis­tence de la FAI puisque l’a­nar­chisme vis­cé­ral de la CNT exis­tait bien avant la créa­tion de la FAI. Des mil­liers de mili­tants de la CNT qui n’é­taient pas affi­liés à la FAI se sen­taient anar­chistes et ont contri­bué à gar­der la tra­jec­toire qu’ils consi­dé­raient la seule pos­sible à l’in­té­rieur de la CNT en s’op­po­sant à toute ten­ta­tive de mys­ti­fi­ca­tion. Ils ont lut­té contre les chefs poli­tiques du ler­rouxisme, contre l’in­fil­tra­tion com­mu­niste à l’é­poque du ler­rouxisme et, anté­rieu­re­ment, contre l’é­blouis­se­ment pro­duit par la Révo­lu­tion Russe .

La Lutte dans le quartier comme conséquence logique de l’anarcho-syndicalisme

La CNT lutte pour la trans­for­ma­tion de toute la socié­té. C’est pour cela que l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme est orga­ni­sé de façon telle que les tra­vailleurs affi­liés aux dif­fé­rents syn­di­cats conti­nuent à lut­ter pour leurs reven­di­ca­tions sociales après avoir quit­té leurs lieux de tra­vail. Ceci per­met que le débat com­men­cé à l’u­sine se pour­suive dans le quartier. 

Mais la situa­tion actuelle a subi deux grands chan­ge­ments par rap­port au passé : 

  • l’ap­pa­ri­tion des cités-dor­toirs, avec la sépa­ra­tion entre lieu de rési­dence et lieu de tra­vail (les gens tra­vaillent à Bar­ce­lone mais habitent Hos­pi­ta­let ou San­ta Coloma). 
  • La créa­tion de grandes concen­tra­tions urbaines, méga­lo­poles, qui empêchent les gens d’une même ville de se connaître et d’en­vi­sa­ger des formes de lutte ensemble.

Ces deux grands chan­ge­ments exigent des anar­chistes une refor­mu­la­tion pro­fonde de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme. Car si l’on aban­donne une lutte glo­bale dans tous les domaines de la socié­té l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme se voit néces­sai­re­ment condam­né à s’in­té­grer au sys­tème selon le modèle carac­té­ris­tique des syn­di­cats cor­po­ra­ti­vistes euro­péens dans les­quels le tra­vailleur abdique de sa conscience d’ex­ploi­té dès qu’il quitte son lieu de tra­vail. Il faut donc, là où s’est pro­duit cette sépa­ra­tion entre lieu d’ha­bi­ta­tion et lieu de tra­vail, les réunir dans une seule et même lutte. Cette double mili­tance anar­chiste ― tra­vail et quar­tier ― c’est quelque chose d’in­trin­sèque et d’im­pli­cite à l’anarcho-syndicalisme.

La problématique relation des étudiants avec la CNT

Actuel­le­ment les étu­diants anar­chistes sont orga­ni­sés de toutes les façons pos­sibles : affi­liés au syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment, affi­liés à leur syn­di­cat de métier ulté­rieur (les archi­tectes à la construc­tion, par exemple), aux deux en même temps, à aucun des deux, etc. 

Ceci est une consé­quence de la pro­blé­ma­tique dans laquelle se débat le syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment et de leurs ten­ta­tives d’é­la­bo­ra­tion d’une alter­na­tive anar­chiste à l’é­du­ca­tion, alter­na­tive qui non seule­ment doit être sou­te­nue par le syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment mais par tout l’en­semble de la CNT. Au fur et à mesure que cette alter­na­tive se pré­cise les étu­diants trou­ve­ront leur forme propre d’or­ga­ni­sa­tion, soit à l’in­té­rieur de la CNT, ou bien au dehors. En fonc­tion de ceci il est pré­fé­rable que ce soit le syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment lui-même qui trace la ligne dans chaque loca­li­té, ligne qui peut ne pas être uni­forme. Ce n’est qu’ain­si que pro­fes­seurs et étu­diants, avec l’en­semble de la CNT, pour­ront éla­bo­rer une alter­na­tive anar­chiste à l’éducation. 

Évi­dem­ment cette façon de poser le pro­blème nie toute pos­si­bi­li­té à des Jeu­nesses Liber­taires fon­dées sur un cri­tère d’âge, sorte de branche juvé­nile, puis­qu’il n’y a pas d’âge pré­cis pour être anar­chiste ou anarcho-syndicaliste.

Non-viabilité actuelle d’une organisation spécifiquement anarchistes

On com­prend la nos­tal­gie et les bonnes inten­tions des cama­rades qui disent être orga­ni­sés dans la FAI, mais il y a un fait réel : la non-exis­tence de celle-ci. Parce que qua­rante per­sonnes ne sont pas une FAI. La rai­son qui explique suf­fi­sam­ment pour­quoi les anar­chistes se refusent à s’or­ga­ni­ser dans une orga­ni­sa­tion spé­ci­fique c’est la consta­ta­tion que les struc­tures de la FAI de 36 ne cor­res­pondent plus à la période actuelle. Trans­plan­ter des struc­tures dépas­sées c’est res­sus­ci­ter un cadavre, et, actuel­le­ment, une telle résur­rec­tion non seule­ment est inutile mais elle est inop­por­tune pour le mou­ve­ment anarchiste. 

Peut-être la FAI a eu une mis­sion his­to­rique dans le pas­sé, mis­sion qui est ter­mi­née, celle d’être l’a­vant-garde anar­chiste à l’in­té­rieur de la CNT, d’a­gir comme un par­ti poli­tique de plus à l’in­té­rieur d’une orga­ni­sa­tion de masses, de contrô­ler, diri­ger, empê­cher que la CNT soit détour­née de ses objec­tifs par les « trein­tistes », les com­mu­nistes auto­ri­taires et les bour­geois. En un mot, la défense des prin­cipes anar­chistes de la CNT en orga­ni­sant les anar­chistes comme un groupe de pres­sion interne. Et tel paraît être l’ob­jec­tif actuel de la nou­velle FAI : « l’in­vin­cible et l’ir­ré­duc­tible avant-garde, qui pro­pulse sans cesse la liber­té, la trans­for­ma­tion sociale, les réa­li­sa­tions liber­taires construc­tives dans les socié­tés humaines, dans le réveil et la résur­gence vic­to­rieuse des peuples de la nou­velle Ibé­ria » (El anar­quis­mo ibé­ri­co, la FAI y la CNT, sup­plé­ment au nº 18 d’Espoir, der­nière page de ladite bro­chure, récem­ment éditée). 

Mais se consti­tuer en avant-garde, soit pour défendre la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat ou l’a­nar­chie, c’est du léni­nisme, du pur léni­nisme. L’ob­jec­tif d’ar­ri­ver à une socié­té anar­chiste ne jus­ti­fie pas les moyens employés pour l’ob­te­nir. Nos pen­seurs ont tou­jours rap­pe­lé (Mala­tes­ta par exemple) qu’on n’ar­ri­ve­ra jamais à la fin qu’on se pro­pose si l’on n’u­ti­lise pas le moyen appro­prié. L’a­nar­chisme ne peut pas s’im­po­ser par une pres­sion, il n’est pas le résul­tat d’une avant-garde éclai­rée, il ne peut que sur­gir de l’au­to­con­vic­tion per­son­nelle et libre pour laquelle on peut don­ner des rai­sons mais jamais des pres­sions. Dans ce sens les anar­chistes anar­cho-syn­di­ca­listes nous devons dis­cu­ter com­ment dif­fu­ser les idées anar­chistes dans les syn­di­cats sans nous trans­for­mer en avant-garde ni en groupe de pres­sion. C’est pour­quoi actuel­le­ment il est inutile de répé­ter méca­ni­que­ment les sché­mas et struc­tures de la FAI de 36.

Analyse de la problématique qui traverse actuellement la CNT

La conclu­sion logique de toutes les consi­dé­ra­tions expo­sées anté­rieu­re­ment est : 

1. que l’ac­tuelle inco­hé­rence qui carac­té­rise la CNT de Cata­logne est dû à deux rai­sons fon­da­men­tales : la lutte pour le pou­voir entre­prise par les dif­fé­rentes ten­dances et groupes orga­ni­sés à l’in­té­rieur d’elle, ten­dances qui peuvent se réduire à deux : les jaunes et les anarcho-léninistes. 

Le manque d’ap­pren­tis­sage de lutte ouvrière dû à un manque de for­ma­tion aus­si bien théo­rique que pra­tique dont souffrent la plu­part des tra­vailleurs qui mas­si­ve­ment viennent faire par­tie de la CNT. 

2. que cette tache de for­ma­tion et prise de conscience des mili­tants et affi­liés à la CNT est une grave res­pon­sa­bi­li­té his­to­rique qui revient actuel­le­ment à tous les anar­chistes anarcho-syndicalistes. 

Ceci est une répé­ti­tion du pas­sé puisque sans l’exis­tence des anar­chistes, l’exis­tence des anar­cho-syn­di­ca­listes n’au­rait pas été possible. 

3. Qu’en ce moment l’i­mage don­née par les anar­chistes de Cata­logne est une image inco­hé­rente et contra­dic­toire et, en consé­quence, cette inco­hé­rence et cette contra­dic­tion se reflètent dans la pra­tique anarcho-syndicaliste. 

4. Qu’il est donc urgent de com­men­cer un débat de cla­ri­fi­ca­tion sur les prin­cipes anar­chistes et l’ac­tuelle réa­li­té de Cata­logne puisque de cela dépend le futur de l’a­nar­chisme et de l’anarcho-syndicalisme. 

5. Qu’une recon­si­dé­ra­tion actuelle de l’a­nar­chisme demande un refus de toute consi­dé­ra­tion nos­tal­gique telle que res­sus­ci­ter les struc­tures his­to­riques de la FAI étant don­né que la pro­blé­ma­tique ouvrière de Cata­logne a souf­fert de varia­tions bru­tales par rap­port à la situa­tion pré­ré­vo­lu­tion­naire de 36 et qu’elle demande donc, de nou­velles formes de lutte. 

6. Que, par consé­quent, il faut, devant l’ac­tuelle lutte pour le pou­voir à l’in­té­rieur de la CNT, que les anar­chistes consacrent tout leur effort à ren­for­cer les mou­ve­ments de base qui sont ceux qui, réel­le­ment, font bou­ger la CNT. 

7. Qu’il faut mani­fes­ter un pro­fond res­pect pour toutes les opi­nions, opi­nions qui sont néces­saires pour une constante confron­ta­tion et auto­cri­tique des prin­cipes et acti­vi­tés anarchistes.

Réflexions sur les principes d’un mouvement anarchiste actuel (pas une organisation)

Pour toutes ces rai­sons il est urgent, aus­si bien pour le futur de l’a­nar­chisme que de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, que toutes les anar­chistes sans exclu­sions nous enta­mons un pro­ces­sus de dis­cus­sion visant à ren­for­cer un mou­ve­ment anar­chiste en accord à la pro­blé­ma­tique actuelle tra­ver­sée par la CNT en par­ti­cu­lier et la classe ouvrière en géné­ral. Comme pre­mière contri­bu­tion à cette dis­cus­sion sur les dif­fé­rentes carac­té­ris­tiques de ce Mou­ve­ment Anar­chiste, nous pro­po­sons les réflexions suivantes : 

1. Refus total du sché­ma archaïque de 36 qui conce­vait le Mou­ve­ment Liber­taire for­mé par Mujeres Libres (en guise de Sec­tion Fémi­nine, quoi qu’elle ne se soit jamais inté­grée au Mou­ve­ment Liber­taire), Juven­tudes Liber­ta­rias (la branche juvé­nile) CNT (le bras syn­di­cal) et la FAI (avant-garde anar­chiste et élite de choc) .

2. Refus des sigles et struc­tures orga­ni­sa­tion­nelles de la FAI aus­si bien à cause du poids his­to­rique qu’elles portent, qu’à cause du besoin de don­ner une colonne ver­té­brale à un Mou­ve­ment Anar­chiste, qui réponde aux besoins du moment actuel et non pas à l’hé­ri­tage du passé. 

3. Refus de toutes sortes de conno­ta­tions vio­lentes qui pré­tendent assi­mi­ler Anar­chisme et Ter­ro­risme, image favo­ri­sée par le fait d’as­su­mer impli­ci­te­ment l’i­déo­lo­gie de la viri­li­té, le machisme et la vio­lence qui font par­tie du pas­sé his­to­rique de la FAI. 

4. Rup­ture totale et abso­lue avec tous les cou­rants de l’exile qui sont, avec leurs divi­sions internes et pro­blèmes archaïques une des prin­ci­pales causes de l’ac­tuelle inco­hé­rence qui carac­té­rise la CNT. 

5. Défense de toutes sortes de culture oppri­mées par les États et réaf­fir­ma­tion du fédé­ra­lisme inter­na­tio­na­liste, en posant sys­té­ma­ti­que­ment le pro­blème posé par l’im­mi­gra­tion forcée. 

6. Mener une lutte sur tous les fronts de la vie sociale, en atta­quant toutes les formes cultu­relles de répres­sion, qu’elles soient poli­tiques, reli­gieuses, sexuelles, éco­no­miques, etc. sans perdre de vue les rap­ports qu’elles ont entre elles dans la socié­té autoritaire. 

6. Accep­ta­tion de l’ac­tuel mou­ve­ment contes­ta­taire qui refuse l’au­to­ri­té et qui cherche, en même temps, des alter­na­tives posi­tives à la socié­té actuelle. 

7. Démas­quer les actuelles formes contre-cultu­relles carac­té­ris­tiques de la petite bour­geoi­sie, cen­trées sur des posi­tions égoïstes et non soli­daires, qui tendent à ren­for­cer l’ac­tuel état de domi­na­tion, image favo­ri­sée par le pou­voir, les par­tis poli­tiques et l’in­di­vi­dua­lisme anar­chiste qui finit par mettre sur le même plan la consom­ma­tion de la drogue et l’anarchie. 

8. Éman­ci­pa­tion de l’in­di­vi­du de toutes les impo­si­tions qui résultent d’un état cultu­rel arti­fi­ciel et oppres­sif basé sur l’au­to­ri­té, la concur­rence et l’élitisme. 

9. Réaf­fir­ma­tion de la liber­té indi­vi­duelle face à la socié­té auto­ri­taire ain­si que de la soli­da­ri­té libre­ment accep­tée sans laquelle la liber­té indi­vi­duelle est impossible. 

10. Agir de façon publique et se refu­ser d’ac­cep­ter une clan­des­ti­ni­té qui ren­drait impos­sible l’in­fluence sur toute la popu­la­tion et qui crée­rait des grou­pus­cules fan­tômes selon le style clas­sique des avant-gardes bolcheviques.

Quelques questions sur le futur du Mouvement Anarchiste

Encore que l’exis­tence d’une orga­ni­sa­tion Anar­chiste soit à l’heure actuelle, un fait anti-anar­chiste, la néces­si­té d’un puis­sant Mou­ve­ment Anar­chiste qui pro­page aus­si bien à l’in­té­rieur de la CNT qu’à l’ex­té­rieur les prin­cipes d’au­to-éman­ci­pa­tion, devient de plus en plus évident. Dans cette pers­pec­tive il faut cla­ri­fier les prin­ci­pales ques­tions qui dif­fé­ren­cient une orga­ni­sa­tion d’un Mou­ve­ment, ce point étant jus­te­ment le début du débat sur le futur de l’a­nar­chisme. Voi­ci quelques ques­tions, par­mi d’autres, que nous nous sommes posées : 

  • Com­ment évi­ter la créa­tion d’une nou­velle ten­dance orga­ni­sée à l’in­té­rieur de la CNT et, par consé­quent, com­ment évi­ter le dan­ger de débou­cher sur une orga­ni­sa­tion de type anar­cho-léni­niste avant-garde d’une CNT anarcho-syndicaliste ? 
  • Quel axe prendre ? Un mou­ve­ment d’in­di­vi­dus ou un mou­ve­ment de col­lec­tifs consa­crés à des taches concrètes ? Comme par exemple : 
    • col­lec­tifs écologistes 
    • col­lec­tifs naturistes 
    • com­mu­nau­tés
    • col­lec­tifs espé­ran­tistes ou d’é­tudes des langues 
    • col­lec­tifs antimilitaristes 
    • col­lec­tifs de libé­ra­tion sexuelle étant don­né la répres­sion actuelle 
    • athé­nées libertaires 
    • col­lec­tifs de sou­tien aux luttes des pri­son­niers sociaux 
    • col­lec­tifs de défense des cultures oppri­mées par l’État 
    • col­lec­tifs de lutte sur les pro­blèmes posés par l’immigration 
    • col­lec­tifs consa­crés à l’al­pha­bé­ti­sa­tion d’adultes 
    • col­lec­tifs de tra­vail prêts à inter­ve­nir à la demande d’As­sem­blées en cas de besoin 
    • col­lec­tifs d’é­tudes de toutes sortes de sujets (éco­nome, urba­nisme, etc.) en incluant l’é­tude des thèmes syndicaux 
    • etc.
  • Quel doit être le type de rap­port à l’in­té­rieur du Mou­ve­ment Anar­chiste ? Un simple échange d’ex­pé­riences ou quelque chose en plus ? Com­ment adop­ter des accords sur des pro­blèmes d’in­té­rêt géné­ral ou qui touchent à plu­sieurs indi­vi­dus ou collectifs ? 
    • au niveau du sec­teur concret (une fédé­ra­tion éco­lo­giste par exemple) 
    • au niveau de la loca­li­té, de la com­mune, la région ou pays (Bar­ce­lone par ex.) 
  • Serait-il posi­tif, compte tenu du poids his­to­rique et socio­lo­gique qu’elle a acquis, de ne plus uti­li­ser aucune sorte de ter­mi­no­lo­gie qui rap­pelle la CNT (par exemple ne plus par­ler de Ple­num, de Congrès ou de Comi­tés) mais de créer une nou­velle ter­mi­no­lo­gie (par­ler par ex. de Col­lec­tifs, Confé­rences, Com­mis­sions de Rela­tions, etc.) 
  • Serait-il utile, étant don­né le carac­tère d’ur­gence qu’a la réor­ga­ni­sa­tion du Mou­ve­ment Anar­chiste actuel, d’a­voir une pre­mière réunion pré­pa­ra­toire et d’é­change d’o­pi­nions concer­nant la via­bi­li­té d’une pos­sible Confé­rence Anar­chiste ? Quel ordre du jour fau­drait-il mieux débattre au cas où une telle Confé­rence serait jugée utile ?

Bar­ce­lo­na, le 30 sep­tembre 1977 

La Presse Anarchiste