La Presse Anarchiste

Espagne : Mouvement ouvrier et organisation spécifique

Ce doc­u­ment émane d’un groupe de cama­rades de Barcelone. À notre avis, ce texte a le mérite de pos­er des prob­lèmes impor­tants qui con­cer­nent tout le mou­ve­ment anar­chiste, étant don­né que les formes de l’organisation ouvrière sont directe­ment liées au développe­ment de la lutte révo­lu­tion­naire. Nous espérons con­tin­uer avec les lecteurs la dis­cus­sion sur ce sujet, com­mencée depuis le numéro 6/7 de notre revue.

À tous les anarchistes

Actuelle­ment, nous, la plu­part des anar­chistes nous mili­tons à la CNT car nous croyons, comme dans le passé, qu’il n’est pas pos­si­ble d’ar­riv­er à une société com­mu­niste lib­er­taire sans l’A­N­AR­CHO-SYN­DI­CAL­ISME, c’est-à-dire sans la pro­jec­tion des principes ANARCHISTES dans un SYNDICAT. C’est pour cela que le syn­di­cat, pour les anar­chistes anar­cho-syn­di­cal­istes, n’est pas une fin en soi, mais un moyen néces­saire pour la trans­for­ma­tion totale de la société. 

Il y a par ailleurs, beau­coup d’autres anar­chistes qui ne sont pas anar­cho-syn­di­cal­istes, mais qui sont organ­isés dans des col­lec­tifs autonomes (écologiques, natur­istes, com­mu­nautés, athénées, etc.) ou qui se définis­sent, tout sim­ple­ment, comme anar­cho- individualistes. 

Mais avec l’af­fil­i­a­tion mas­sive qu’a con­nue récem­ment la CNT, nous la plu­part des anar­chistes anar­cho-syn­di­cal­istes, voyons avec éton­nement une lutte de ten­dances à l’in­térieur de la CNT ayant comme but d’im­pos­er leur pro­pre critère. Cette lutte, qui entrave l’a­vance naturelle de l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme, finit par se sim­pli­fi­er et se réduire finale­ment à deux ten­dances fondamentales : 

  • d’une part la ten­dance Jaune, réformiste, qui vient de cama­rades « cin­cop­un­tistes », « pes­tanistes » ou qui ont mil­ité pen­dant plusieurs années dans le syn­di­cat ver­ti­cal. Cette ten­dance, qui a la pré­ten­tion d’une CNT exclu­sive­ment syn­di­cal­iste et non pas anar­cho-syn­di­cal­iste, compte sur le sou­tien de mil­i­tants de groupes et de par­tis poli­tiques tels que LC, MCL, PORE, OICE, PSC, AC, P.Carli, ERC et autres, sou­tien qui se man­i­feste surtout dans les moments de déci­sion (Plénums, Assem­blées, élec­tion de Comités, etc.)
  • D’autre part, il existe la ten­dance Anar­cho-lénin­iste, avant-gardiste, issue de cama­rades liés au Secré­tari­at Inter­con­ti­nen­tal (Toulouse et organ­isés à la FAI.) 

Cette ten­dance qui sur­git comme une réac­tion à l’autre, a pour but d’empêcher que la CNT tombe dans le réformisme, et pour ce faire, elle utilise les mêmes sché­mas tra­di­tion­nels de la FAI de 36, sché­mas qui, à cause de leur décalage avec la péri­ode actuelle, favorisent une con­cep­tion d’Avant garde anar­chiste plutôt qu’une défense des principes anar­chistes de l’A­n­ar­cho-syn­di­cal­isme. Dans les moments de déci­sion cette ten­dance rejoint les anar­chistes anar­cho-syn­di­cal­istes non organ­isés dans une organ­i­sa­tion spé­ci­fique­ment anarchiste.

Pour com­mencer un débat cri­tique Autour du futur du Mou­ve­ment Anar­chiste, il faut tenir compte des deux fac­teurs dont on a par­lé : l’ex­is­tence d’a­n­ar­chistes anar­cho-syn­di­cal­istes et non anar­cho-syn­di­cal­istes d’une part et la lutte de ten­dances à l’in­térieur de la CNT. Ce qui est évi­dent c’est que la struc­ture his­torique tra­di­tion­nelle (CNT-FAI-JJLL) con­stitue un cadavre his­torique qui ne mérite pas la peine d’être ressus­cité mais que le futur Mou­ve­ment Anar­chiste doit se struc­tur­er à par­tir de la sit­u­a­tion actuelle.

La CNT en tant qu’axe fondamental du mouvement anarchiste

Face à ceux qui sont favor­ables à une CNT jaune, réformiste, seule­ment syn­di­cal­iste, il faut soulign­er l’im­pos­si­bil­ité d’un syn­di­cal­isme neu­tre du style de celui défendu par Pes­tana en 1925 quand il con­sid­érait le syn­di­cat comme « un instru­ment de reven­di­ca­tions économiques, sub­or­don­né à la lutte de class­es et dépourvu d’adhésion idéologique détér­minée, avec une final­ité de classe, économique, matéri­al­iste, lais­sant de côté les ques­tions de morale et d’éthique col­lec­tive, de secte ou de par­ti, définies par le groupe ». Gomez Casa remar­que très bien com­ment on voit déjà dans ces lignes, la stratégie suiv­ie après par Pes­tana : « vider le syn­di­cal­isme de son con­tenu éthique et trans­for­ma­teur, dépas­sant les reven­di­ca­tions pure­ment économiques, pour assign­er par la suite ce con­tenu ou éthique à un par­ti ou une école. » 

Pes­tana sig­nale ici ce qu’il dévelop­pera après peu à peu jusqu’à arriv­er au « Par­ti Syn­di­cal­iste ». Face à cette con­cep­tion il faut déclar­er qu’un tel syn­di­cal­isme est inex­is­tant, à l’op­posé de ce que pré­ten­dent ceux qui veu­lent réduire l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme au syn­di­cal­isme tout court, en élim­i­nant toute con­cep­tion de trans­for­ma­tion sociale. Le mou­ve­ment ouvri­er pur n’ex­iste pas : il existe un mou­ve­ment ouvri­er désagrégé en de mul­ti­ples ten­dances (social­iste, com­mu­niste, chré­tien, anar­chiste…) et c’est selon ces ten­dances et leurs objec­tifs respec­tifs que les ouvri­ers se groupent en syndicats. 

C’est ain­si qu’on ne peut pas nier le car­ac­tère anar­chiste de la CNT. Par ses principes idéologiques essen­tielle­ment « acrates » et parce qu’elle a été fondée par des « acrates » ce qui rend par­faite­ment com­préhen­si­ble leur influ­ence sur la Syn­di­cale. Moins naturelles sont, par con­tre, les ten­ta­tives de dévi­a­tion vers le réformisme, ou de main­mise de la part de minori­taires com­man­dos communistes. 

La con­cep­tion politi­co-économique et philosophique de l’A­n­ar­chisme est con­stam­ment présente dans l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme de la CNT. Depuis tou­jours elle s’est présen­tée comme antigou­verne­men­tale ou antié­ta­tique et antipar­lemen­taire. Les activ­ités dites poli­tiques qui ont pour final­ité l’É­tat, le Par­lement ou les insti­tu­tions de la société bour­geoise sont con­sid­érées comme dépourvues d’au­then­tic­ité, sim­ples excrois­sances des activ­ités humaines de base. En con­séquence, il est naturel que la tac­tique de lutte adop­tée par la CNT soit l’ac­tion directe, c’est-à-dire la pro­jec­tion directe de l’élan et de la volon­té organ­isative de la base où réside la vie de l’or­gan­i­sa­tion. Dans l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme, la vie de l’or­gan­i­sa­tion est tou­jours venue de la base et le pou­voir de déci­sion a tou­jours appartenu aux syn­di­cats, et, au sein d’eux, aux mil­i­tants. On a tou­jours refusé les élites dont l’ex­is­tence implique néces­saire­ment celle de cer­cles privés ou intimes, une fonc­tion dirigeante, une struc­ture hiérar­chique ou semi-hiérar­chique de l’or­gan­i­sa­tion et une masse de dirigés en oppo­si­tion aux dirigeants. Mais l’a­n­ar­chisme et sa pro­jec­tion ouvrière, l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme, est avant tout, une réac­tion logique con­tre tout le con­texte autori­taire de l’his­toire, et en con­séquence, rem­place l’ac­tion toute puis­sante du dirigeant au som­met par l’ac­tion respon­s­able du mil­i­tant sur un pied d’é­gal­ité à l’in­térieur du syn­di­cat respectif. 

En ce qui con­cerne le car­ac­tère his­torique de la rela­tion entre la CNT et l’a­n­ar­chisme on con­state que ceux qui ont fondé et dévelop­pé la CNT ont été des anar­chistes. Il suf­fit de regarder les listes des délé­ga­tions au Con­grès Con­sti­tu­tif de 1910, du Théâtre « Con­ser­va­to­rio » de Madrid, 1931, de Saragosse, 1936, pour démon­tr­er que l’écras­ante majorité des délégués étaient anar­chistes, affil­iés ou pas à des organ­i­sa­tions spé­ci­fiques anarchistes. 

La CNT est donc l’axe fon­da­men­tal du mou­ve­ment anar­chiste. L’ac­cu­sa­tion fait par cer­tains, que l’a­n­ar­chisme est une forme qui manip­ule la CNT est extrav­a­gante et dépourvue d’in­for­ma­tion, puisque les anar­chistes ont été la véri­ta­ble force vis­cérale qui l’a con­stru­it. Et ceci en marge du fait con­cret de l’ex­is­tence de la FAI puisque l’a­n­ar­chisme vis­céral de la CNT exis­tait bien avant la créa­tion de la FAI. Des mil­liers de mil­i­tants de la CNT qui n’é­taient pas affil­iés à la FAI se sen­taient anar­chistes et ont con­tribué à garder la tra­jec­toire qu’ils con­sid­éraient la seule pos­si­ble à l’in­térieur de la CNT en s’op­posant à toute ten­ta­tive de mys­ti­fi­ca­tion. Ils ont lut­té con­tre les chefs poli­tiques du ler­roux­isme, con­tre l’in­fil­tra­tion com­mu­niste à l’époque du ler­roux­isme et, antérieure­ment, con­tre l’éblouisse­ment pro­duit par la Révo­lu­tion Russe .

La Lutte dans le quartier comme conséquence logique de l’anarcho-syndicalisme

La CNT lutte pour la trans­for­ma­tion de toute la société. C’est pour cela que l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme est organ­isé de façon telle que les tra­vailleurs affil­iés aux dif­férents syn­di­cats con­tin­u­ent à lut­ter pour leurs reven­di­ca­tions sociales après avoir quit­té leurs lieux de tra­vail. Ceci per­met que le débat com­mencé à l’u­sine se pour­suive dans le quartier. 

Mais la sit­u­a­tion actuelle a subi deux grands change­ments par rap­port au passé : 

  • l’ap­pari­tion des cités-dor­toirs, avec la sépa­ra­tion entre lieu de rési­dence et lieu de tra­vail (les gens tra­vail­lent à Barcelone mais habitent Hos­pi­talet ou San­ta Coloma). 
  • La créa­tion de grandes con­cen­tra­tions urbaines, méga­lopoles, qui empêchent les gens d’une même ville de se con­naître et d’en­vis­ager des formes de lutte ensemble.

Ces deux grands change­ments exi­gent des anar­chistes une refor­mu­la­tion pro­fonde de l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme. Car si l’on aban­donne une lutte glob­ale dans tous les domaines de la société l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme se voit néces­saire­ment con­damné à s’in­té­gr­er au sys­tème selon le mod­èle car­ac­téris­tique des syn­di­cats cor­po­ra­tivistes européens dans lesquels le tra­vailleur abdique de sa con­science d’ex­ploité dès qu’il quitte son lieu de tra­vail. Il faut donc, là où s’est pro­duit cette sépa­ra­tion entre lieu d’habi­ta­tion et lieu de tra­vail, les réu­nir dans une seule et même lutte. Cette dou­ble mil­i­tance anar­chiste ― tra­vail et quarti­er ― c’est quelque chose d’in­trin­sèque et d’im­plicite à l’anarcho-syndicalisme.

La problématique relation des étudiants avec la CNT

Actuelle­ment les étu­di­ants anar­chistes sont organ­isés de toutes les façons pos­si­bles : affil­iés au syn­di­cat de l’en­seigne­ment, affil­iés à leur syn­di­cat de méti­er ultérieur (les archi­tectes à la con­struc­tion, par exem­ple), aux deux en même temps, à aucun des deux, etc. 

Ceci est une con­séquence de la prob­lé­ma­tique dans laque­lle se débat le syn­di­cat de l’en­seigne­ment et de leurs ten­ta­tives d’élab­o­ra­tion d’une alter­na­tive anar­chiste à l’é­d­u­ca­tion, alter­na­tive qui non seule­ment doit être soutenue par le syn­di­cat de l’en­seigne­ment mais par tout l’ensem­ble de la CNT. Au fur et à mesure que cette alter­na­tive se pré­cise les étu­di­ants trou­veront leur forme pro­pre d’or­gan­i­sa­tion, soit à l’in­térieur de la CNT, ou bien au dehors. En fonc­tion de ceci il est préférable que ce soit le syn­di­cat de l’en­seigne­ment lui-même qui trace la ligne dans chaque local­ité, ligne qui peut ne pas être uni­forme. Ce n’est qu’ain­si que pro­fesseurs et étu­di­ants, avec l’ensem­ble de la CNT, pour­ront éla­bor­er une alter­na­tive anar­chiste à l’éducation. 

Évidem­ment cette façon de pos­er le prob­lème nie toute pos­si­bil­ité à des Jeuness­es Lib­er­taires fondées sur un critère d’âge, sorte de branche juvénile, puisqu’il n’y a pas d’âge pré­cis pour être anar­chiste ou anarcho-syndicaliste.

Non-viabilité actuelle d’une organisation spécifiquement anarchistes

On com­prend la nos­tal­gie et les bonnes inten­tions des cama­rades qui dis­ent être organ­isés dans la FAI, mais il y a un fait réel : la non-exis­tence de celle-ci. Parce que quar­ante per­son­nes ne sont pas une FAI. La rai­son qui explique suff­isam­ment pourquoi les anar­chistes se refusent à s’or­gan­is­er dans une organ­i­sa­tion spé­ci­fique c’est la con­stata­tion que les struc­tures de la FAI de 36 ne cor­re­spon­dent plus à la péri­ode actuelle. Trans­planter des struc­tures dépassées c’est ressus­citer un cadavre, et, actuelle­ment, une telle résur­rec­tion non seule­ment est inutile mais elle est inop­por­tune pour le mou­ve­ment anarchiste. 

Peut-être la FAI a eu une mis­sion his­torique dans le passé, mis­sion qui est ter­minée, celle d’être l’a­vant-garde anar­chiste à l’in­térieur de la CNT, d’a­gir comme un par­ti poli­tique de plus à l’in­térieur d’une organ­i­sa­tion de mass­es, de con­trôler, diriger, empêch­er que la CNT soit détournée de ses objec­tifs par les « trein­tistes », les com­mu­nistes autori­taires et les bour­geois. En un mot, la défense des principes anar­chistes de la CNT en organ­isant les anar­chistes comme un groupe de pres­sion interne. Et tel paraît être l’ob­jec­tif actuel de la nou­velle FAI : « l’in­vin­ci­ble et l’ir­ré­ductible avant-garde, qui propulse sans cesse la lib­erté, la trans­for­ma­tion sociale, les réal­i­sa­tions lib­er­taires con­struc­tives dans les sociétés humaines, dans le réveil et la résur­gence vic­to­rieuse des peu­ples de la nou­velle Ibéria » (El anar­quis­mo ibéri­co, la FAI y la CNT, sup­plé­ment au nº 18 d’Espoir, dernière page de ladite brochure, récem­ment éditée). 

Mais se con­stituer en avant-garde, soit pour défendre la dic­tature du pro­lé­tari­at ou l’a­n­ar­chie, c’est du lénin­isme, du pur lénin­isme. L’ob­jec­tif d’ar­riv­er à une société anar­chiste ne jus­ti­fie pas les moyens employés pour l’obtenir. Nos penseurs ont tou­jours rap­pelé (Malat­es­ta par exem­ple) qu’on n’ar­rivera jamais à la fin qu’on se pro­pose si l’on n’u­tilise pas le moyen appro­prié. L’a­n­ar­chisme ne peut pas s’im­pos­er par une pres­sion, il n’est pas le résul­tat d’une avant-garde éclairée, il ne peut que sur­gir de l’au­to­con­vic­tion per­son­nelle et libre pour laque­lle on peut don­ner des raisons mais jamais des pres­sions. Dans ce sens les anar­chistes anar­cho-syn­di­cal­istes nous devons dis­cuter com­ment dif­fuser les idées anar­chistes dans les syn­di­cats sans nous trans­former en avant-garde ni en groupe de pres­sion. C’est pourquoi actuelle­ment il est inutile de répéter mécanique­ment les sché­mas et struc­tures de la FAI de 36.

Analyse de la problématique qui traverse actuellement la CNT

La con­clu­sion logique de toutes les con­sid­éra­tions exposées antérieure­ment est : 

1. que l’actuelle inco­hérence qui car­ac­térise la CNT de Cat­a­logne est dû à deux raisons fon­da­men­tales : la lutte pour le pou­voir entre­prise par les dif­férentes ten­dances et groupes organ­isés à l’in­térieur d’elle, ten­dances qui peu­vent se réduire à deux : les jaunes et les anarcho-léninistes. 

Le manque d’ap­pren­tis­sage de lutte ouvrière dû à un manque de for­ma­tion aus­si bien théorique que pra­tique dont souf­frent la plu­part des tra­vailleurs qui mas­sive­ment vien­nent faire par­tie de la CNT. 

2. que cette tache de for­ma­tion et prise de con­science des mil­i­tants et affil­iés à la CNT est une grave respon­s­abil­ité his­torique qui revient actuelle­ment à tous les anar­chistes anarcho-syndicalistes. 

Ceci est une répéti­tion du passé puisque sans l’ex­is­tence des anar­chistes, l’ex­is­tence des anar­cho-syn­di­cal­istes n’au­rait pas été possible. 

3. Qu’en ce moment l’im­age don­née par les anar­chistes de Cat­a­logne est une image inco­hérente et con­tra­dic­toire et, en con­séquence, cette inco­hérence et cette con­tra­dic­tion se reflè­tent dans la pra­tique anarcho-syndicaliste. 

4. Qu’il est donc urgent de com­mencer un débat de clar­i­fi­ca­tion sur les principes anar­chistes et l’actuelle réal­ité de Cat­a­logne puisque de cela dépend le futur de l’a­n­ar­chisme et de l’anarcho-syndicalisme. 

5. Qu’une recon­sid­éra­tion actuelle de l’a­n­ar­chisme demande un refus de toute con­sid­éra­tion nos­tal­gique telle que ressus­citer les struc­tures his­toriques de la FAI étant don­né que la prob­lé­ma­tique ouvrière de Cat­a­logne a souf­fert de vari­a­tions bru­tales par rap­port à la sit­u­a­tion prérévo­lu­tion­naire de 36 et qu’elle demande donc, de nou­velles formes de lutte. 

6. Que, par con­séquent, il faut, devant l’actuelle lutte pour le pou­voir à l’in­térieur de la CNT, que les anar­chistes con­sacrent tout leur effort à ren­forcer les mou­ve­ments de base qui sont ceux qui, réelle­ment, font bouger la CNT. 

7. Qu’il faut man­i­fester un pro­fond respect pour toutes les opin­ions, opin­ions qui sont néces­saires pour une con­stante con­fronta­tion et aut­o­cri­tique des principes et activ­ités anarchistes.

Réflexions sur les principes d’un mouvement anarchiste actuel (pas une organisation)

Pour toutes ces raisons il est urgent, aus­si bien pour le futur de l’a­n­ar­chisme que de l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme, que toutes les anar­chistes sans exclu­sions nous enta­mons un proces­sus de dis­cus­sion visant à ren­forcer un mou­ve­ment anar­chiste en accord à la prob­lé­ma­tique actuelle tra­ver­sée par la CNT en par­ti­c­uli­er et la classe ouvrière en général. Comme pre­mière con­tri­bu­tion à cette dis­cus­sion sur les dif­férentes car­ac­téris­tiques de ce Mou­ve­ment Anar­chiste, nous pro­posons les réflex­ions suivantes : 

1. Refus total du sché­ma archaïque de 36 qui con­ce­vait le Mou­ve­ment Lib­er­taire for­mé par Mujeres Libres (en guise de Sec­tion Fémi­nine, quoi qu’elle ne se soit jamais inté­grée au Mou­ve­ment Lib­er­taire), Juven­tudes Lib­er­tarias (la branche juvénile) CNT (le bras syn­di­cal) et la FAI (avant-garde anar­chiste et élite de choc) .

2. Refus des sigles et struc­tures organ­i­sa­tion­nelles de la FAI aus­si bien à cause du poids his­torique qu’elles por­tent, qu’à cause du besoin de don­ner une colonne vertébrale à un Mou­ve­ment Anar­chiste, qui réponde aux besoins du moment actuel et non pas à l’héritage du passé. 

3. Refus de toutes sortes de con­no­ta­tions vio­lentes qui pré­ten­dent assim­i­l­er Anar­chisme et Ter­ror­isme, image favorisée par le fait d’as­sumer implicite­ment l’idéolo­gie de la viril­ité, le machisme et la vio­lence qui font par­tie du passé his­torique de la FAI. 

4. Rup­ture totale et absolue avec tous les courants de l’ex­ile qui sont, avec leurs divi­sions internes et prob­lèmes archaïques une des prin­ci­pales caus­es de l’actuelle inco­hérence qui car­ac­térise la CNT. 

5. Défense de toutes sortes de cul­ture opprimées par les États et réaf­fir­ma­tion du fédéral­isme inter­na­tion­al­iste, en posant sys­té­ma­tique­ment le prob­lème posé par l’im­mi­gra­tion forcée. 

6. Men­er une lutte sur tous les fronts de la vie sociale, en attaquant toutes les formes cul­turelles de répres­sion, qu’elles soient poli­tiques, religieuses, sex­uelles, économiques, etc. sans per­dre de vue les rap­ports qu’elles ont entre elles dans la société autoritaire. 

6. Accep­ta­tion de l’actuel mou­ve­ment con­tes­tataire qui refuse l’au­torité et qui cherche, en même temps, des alter­na­tives pos­i­tives à la société actuelle. 

7. Démas­quer les actuelles formes con­tre-cul­turelles car­ac­téris­tiques de la petite bour­geoisie, cen­trées sur des posi­tions égoïstes et non sol­idaires, qui ten­dent à ren­forcer l’actuel état de dom­i­na­tion, image favorisée par le pou­voir, les par­tis poli­tiques et l’in­di­vid­u­al­isme anar­chiste qui finit par met­tre sur le même plan la con­som­ma­tion de la drogue et l’anarchie. 

8. Éman­ci­pa­tion de l’in­di­vidu de toutes les impo­si­tions qui résul­tent d’un état cul­turel arti­fi­ciel et oppres­sif basé sur l’au­torité, la con­cur­rence et l’élitisme. 

9. Réaf­fir­ma­tion de la lib­erté indi­vidu­elle face à la société autori­taire ain­si que de la sol­i­dar­ité libre­ment accep­tée sans laque­lle la lib­erté indi­vidu­elle est impossible. 

10. Agir de façon publique et se refuser d’ac­cepter une clan­des­tinité qui rendrait impos­si­ble l’in­flu­ence sur toute la pop­u­la­tion et qui créerait des grou­pus­cules fan­tômes selon le style clas­sique des avant-gardes bolcheviques.

Quelques questions sur le futur du Mouvement Anarchiste

Encore que l’ex­is­tence d’une organ­i­sa­tion Anar­chiste soit à l’heure actuelle, un fait anti-anar­chiste, la néces­sité d’un puis­sant Mou­ve­ment Anar­chiste qui propage aus­si bien à l’in­térieur de la CNT qu’à l’ex­térieur les principes d’au­to-éman­ci­pa­tion, devient de plus en plus évi­dent. Dans cette per­spec­tive il faut clar­i­fi­er les prin­ci­pales ques­tions qui dif­féren­cient une organ­i­sa­tion d’un Mou­ve­ment, ce point étant juste­ment le début du débat sur le futur de l’a­n­ar­chisme. Voici quelques ques­tions, par­mi d’autres, que nous nous sommes posées : 

  • Com­ment éviter la créa­tion d’une nou­velle ten­dance organ­isée à l’in­térieur de la CNT et, par con­séquent, com­ment éviter le dan­ger de débouch­er sur une organ­i­sa­tion de type anar­cho-lénin­iste avant-garde d’une CNT anarcho-syndicaliste ? 
  • Quel axe pren­dre ? Un mou­ve­ment d’in­di­vidus ou un mou­ve­ment de col­lec­tifs con­sacrés à des tach­es con­crètes ? Comme par exemple : 
    • col­lec­tifs écologistes 
    • col­lec­tifs naturistes 
    • com­mu­nautés
    • col­lec­tifs espéran­tistes ou d’é­tudes des langues 
    • col­lec­tifs antimilitaristes 
    • col­lec­tifs de libéra­tion sex­uelle étant don­né la répres­sion actuelle 
    • athénées lib­er­taires
    • col­lec­tifs de sou­tien aux luttes des pris­on­niers sociaux 
    • col­lec­tifs de défense des cul­tures opprimées par l’État 
    • col­lec­tifs de lutte sur les prob­lèmes posés par l’immigration 
    • col­lec­tifs con­sacrés à l’al­phabéti­sa­tion d’adultes 
    • col­lec­tifs de tra­vail prêts à inter­venir à la demande d’Assem­blées en cas de besoin 
    • col­lec­tifs d’é­tudes de toutes sortes de sujets (économe, urban­isme, etc.) en inclu­ant l’é­tude des thèmes syndicaux 
    • etc.
  • Quel doit être le type de rap­port à l’in­térieur du Mou­ve­ment Anar­chiste ? Un sim­ple échange d’ex­péri­ences ou quelque chose en plus ? Com­ment adopter des accords sur des prob­lèmes d’in­térêt général ou qui touchent à plusieurs indi­vidus ou collectifs ? 
    • au niveau du secteur con­cret (une fédéra­tion écol­o­giste par exemple) 
    • au niveau de la local­ité, de la com­mune, la région ou pays (Barcelone par ex.) 
  • Serait-il posi­tif, compte tenu du poids his­torique et soci­ologique qu’elle a acquis, de ne plus utilis­er aucune sorte de ter­mi­nolo­gie qui rap­pelle la CNT (par exem­ple ne plus par­ler de Plenum, de Con­grès ou de Comités) mais de créer une nou­velle ter­mi­nolo­gie (par­ler par ex. de Col­lec­tifs, Con­férences, Com­mis­sions de Rela­tions, etc.) 
  • Serait-il utile, étant don­né le car­ac­tère d’ur­gence qu’a la réor­gan­i­sa­tion du Mou­ve­ment Anar­chiste actuel, d’avoir une pre­mière réu­nion pré­para­toire et d’échange d’opin­ions con­cer­nant la via­bil­ité d’une pos­si­ble Con­férence Anar­chiste ? Quel ordre du jour faudrait-il mieux débat­tre au cas où une telle Con­férence serait jugée utile ?

Barcelona, le 30 sep­tem­bre 1977 


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