Il n’est pas question de suspecter la légalité de cet acte, mais d’en mesurer les effets politiques. Sur Croissant s’expérimente le passage d’une « justice judiciaire » (quel qu’elles soient les critiques qu’on lui porte elle donne un certain nombre de garanties au justiciable) à une justice administrative, faite sans intermédiaire par l’État.
Le cas Croissant n’est d’ailleurs pas isolé. Les travailleurs immigrés sont aussi soumis à des procédures administratives. Sans droits politiques, leur expulsion est décidée par le Ministère de l’Intérieur sans obligation de motiver cette décision (c’est ce qu’on appelle une décision discrétionnaire). Leurs cartes de travail sont renouvelées ou non, ce qui peut entraîner l’expulsion, selon le bon vouloir de l’administration. Le même procédé fut aussi utilisé dans l’affaire Abou Daoud, ou dans celle des GARI.
Ces procédures administratives représentent précisément un des gros blocs de l’appareil pénal des états totalitaires, qu’il s’agisse de l’URSS, du Chili ou de feu le régime nazi. Elle est ce qui permet de désigner sans aucun contrôle, des « ennemis de la race », ou des « ennemis du peuple ». À entendre : des ennemis de l’État. Les pénalités soviétiques et nazies, ne se sont pas en effet fabriquées à partir de l’infraction à la loi, de la culpabilité des individus, mais sur la nécessité de préserver l’État d’hommes et de femmes catalogués comme nuisibles. Le délit et le crime sont remplacés par le degré de « dangerosité social ». Alors il n’est plus nécessaire que le crime soit commis pour que le « coupable » soit puni. C’est ce type de procédure qui a permis la mise en place des systèmes d’extermination et de redressement que sont les camps de concentration nazis et soviétiques.
Nous n’affirmons pas que nous en sommes là en France, mais à travers l’extradition de Croissant, pointe le nez du totalitarisme. La procédure suivie est peut-être un des microscopiques canaux par lequel la démocratie se montre capable d’inventer la terreur d’état, donc le totalitarisme. Le refus du droit d’asile, la limitation des droits de la défense, tout cela peut amener à terme le basculement de l’appareil judiciaire dans la terreur d’État. C’est la possibilité comme en Allemagne des interdictions professionnelles, des émissions de télévision où chaque citoyen peut devenir un policier. Mais chaque citoyen pouvant se transformer en policier ne signifie-t-il pas aussi que chaque citoyen est aussi potentiellement un terroriste ? Plus encore ; il fait affirmer clairement : ces types de procédures peuvent servir à cataloguer tout citoyen opposant en un criminel politique, un terroriste ?
Tract distribué à Dauphine
Baader
Que Baader, Raspe et Essiin se soient suicidés ou qu’ils aient été assassinés importe finalement peu. Ils ont déjà été assassinés cent fois par camarades interposés ou directement par les tortures subies ; ils se sont suicidés cent fois en refusant de sortir de la logique implacable de la lutte armée et minoritaire contre l’État.
Nous savons que trop la chape de plomb que fait peser l’État allemand sur tout ce qui représente ou revendique un peu de vie, d’imagination, de liberté.
Nous savons aussi que la RAF n’était que le symétrique de la RFA, tragique ressemblance ; une armée rouge, une avant-garde, une sorte de monstre totalitaire, mais en miniature. C’est vrai que Baader et ses camarades utilisaient les mêmes armes que l’État. C’est vrai qu’ils exercèrent des années durant un chantage inouï sur le reste de l’extrême gauche, sur les révolutionnaires ; qui n’avaient que le choix de la « trahison » ou du « suivisme ». C’est vrai qu’ils réglaient les problèmes internes en « isolant » les dissidents, en les « interdisant », en les tuant éventuellement, signifiant par là l’horrible parallélisme avec l’État allemand. C’est vrai qu’ils se voulurent l’avant-garde de la classe ouvrière eux, qui n’y comprirent jamais rien ; elle fut à leurs yeux, tour à tour porteuse de tous les espoirs, puis « traître » et « intégrée » quand elle ne les suivit pas. C’est que la RAF n’était guère attentive aux quelques symptômes, faibles il est vrai, de déblocage de la société allemande : grèves sauvages, mouvements marginaux et anti-nucléaires.
La RAF n’était donc pas de notre camp, et c’est pourquoi nous sommes d’autant plus à l’aise pour ne pas joindre nos clameurs à celles de ceux qui respirent de ne plus les voir exister, CAR LA SITUATION EST AUJOURD’HUI PIRE QU’AVANT.
On ne devient pas terroriste par plaisir ou par choix rationnel d’une ligne politique. C’est toujours quand la situation se bloque, quand la société s’unifie et s’homogénéise, quand le consensus national tend à se réaliser que le terrorisme se développe ; il devient pour ceux qui le pratiquent le seul moyen d’exprimer autre chose (ou de le croire) quand les autres possibilités sont fermées, bloquées, confisquées. En ce sens le terrorisme se critique, il ne se condamne pas car cette condamnation est sans effet, elle est morale et prouve une non compréhension de ses causes profondes. Ce qui est grave dans le terrorisme ce n’est pas tant le terrorisme lui-même que le symptôme indiquant que les autres possibilités de lutte efficaces ont été épuisées ou réduites.
C’est ce qui tend à se réaliser en Allemagne, et le danger existe aussi dans d’autres pays et en France ; le totalitarisme, c’est quand un consensus social unifie 95 % de la population, et où le reste ne trouve pour se révolter que le suicide sous ses différentes formes de la lutte sans espoir.
La RAF inconsciemment joua ce jeu et il convient de ne pas tomber dans le panneau.
C’est précisément le sens que nous voulons donner à notre indignation et à nos actions de ces derniers jours. Il ne s’agit nullement de soutenir quoi que ce soit (cela ne servirait d’ailleurs à rien) mais à l’occasion de l’effroyable consensus mondial qui s’est mis en place sur le dos de la RAF, tenter de le briser et de le sortir de la logique totalitaire qui se net en place, par le biais des États, des médias et de la classe politique (y compris celle de, l’extrême gauche et de Libération).
Si l’autonomie a un sens, c’est bien quand elle permet a de larges fractions de gens de se démarquer de la logique étatique et à ne pas se laisser piéger par des choix prévus par le pouvoir.
Soyons sûrs que des Baader, il y en aura d’autres, aussi longtemps que l’État augmentera son contrôle sur des secteurs de plus en plus grands de la vie sur toutes les couches de la population ; la logique du totalitarisme c’est de forcer à l’accepter ou se tuer. L’État réduira ses terroristes et rien d’autre ne sera plus possible. Notre logique c’est au contraire de multiplier les forces de lutte en favorisant l’autonomie.
Si nous sommes angoissés ce n’est pas seulement parce qu’ils ont assassiné Baader, Esslin et Raspe , mais parce qu’en le faisant, ils ont refermé sur nous un État encore plus puissant en réduisant encore nos possibilités de révolte, nos zones de vie, nos possibilités de NON.
Ce sont ces espaces que nous devons conserver y compris quand cela passe par la lutte contre les institutions gauchistes qui participent au consensus et aider nos camarades allemands à les reconquérir, eux qui sont certainement plus isolés que nous.
Texte paru dans Front Libertaire
Là n’est pas vraiment le problème.
Ce qui est certain cependant c’est que l’affirmation : « oui Baader était un camarade » ne prend son sens que dans une dénonciation de la pseudo solidarité de la gauche et des gauchistes, car la solidarité ça ne se marchande pas, et elle ne doit pas être soumise a une « stratégie politique », ou a un rapport de force comme c’est généralement le cas.
Mais ce sens ne saurait s’étendre plus loin car nous savons très bien ce qu’il y a d’incantatoire et de magique dans ce cri. Ce camarade est camarade parce qu’il est mort. Par exemple on peut être sûr que si Baader avait participé a l’une des dernières AG des groupes autonomes, il se serait fait traité de « fasciste », « petit bourgeois », « hystérique », « bureaucrate », etc. comme tout a chacun des participants par quelque autre fraction. Pour être un camarade, il vaut mieux être mort héroïquement ou assassiné, que vivant dans le mouvement révolutionnaire, mais d’un avis un peu différent que celui du voisin.
Un mouvement autonome ?
Nous avions déjà pressenti, depuis la marche sur Hendaye, qu’il existait, hors des organisations et des « militants », un fort potentiel libertaire, susceptible de se mobiliser sur des objectifs précis, et hors de toute stratégie léniniste. À Paris, cela resurgit quand au mois de septembre 77 des groupes autonomes « anti nucléaires » damèrent le pion aux petits bureaucrates coordinateurs de la tragi-comédie de l’été. Cela s’étoffa d’avantage après les évènements de Stahmein et de Mogadiscio puis lors de l’extradition de Croissant.
L’occupation du quotidien « Libération » fut l’acte le plus spectaculaire par lequel certains « autonomes » commencèrent d’exister pour eux-mêmes et pour les autres.
Des esprits chagrins trouvèrent qu’occuper Libération c’était trop facile et qu’ils avaient qu’a occuper le Figaro ou l’Humanité ; on peut leur répondre que quand ils viendront, il y aura plus de monde pour faire ça, mais qu’en attendant, la facilité n’est pas une vertue contre révolutionnaire, et que ça pourrait bien être le contraire. Ce qu’il y a de critiquable, par contre, c’est le comportement de certains autonomes pendant cette occupation et qui fut critiquée et décrite ensuite dans un tract par les femmes de l’OCL :
« Une partie d’entre elle a fait preuve de phallocratie et de terrorisme verbal pendant les réunions. Quelqu’un a même parlé de « reviriliser » l’extrême gauche ! Qu’ensuite à Libé il y ait eu des « putain » ou « pédé » de lancés, ne nous étonne donc pas ! MAIS NOUS RÉVOLTE !
D’autant plus qu’il s’agit d’anti-autoritaires !
Pisser contre un mur (ça ne peut être que le fait d’un mec… vous avec déjà vu une fille le faire ?) est la preuve d’un désir d’exhibition de la « virilité », et c’est bien une idée de mec que de se servir de son sexe pour dégrader !
Et que dire de la phrase lancée à une claviste : « t’es payée pour ça ! » Nous qui croyions qu’ils voulaient abolir le salariat !
Nous nous désolidarisons et nous condamnons complètement ces pratiques que nous combattrons aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes. Ce style de comportement est à mettre en parallèle avec le déroulement des assemblées générales qui ressemblent malheureusement à ce qu’on fait de pire en milieu gauche estudiantin. Aucune écoute, et de toutes les manières impossibilité de parler si l’on n’est pas un leader reconnu. Violences verbales et gratuites, sexisme, hystérie des chefs que l’on écoute pas…
Pourtant ce mouvement a une certaine existence, et s’il s’agit de ne pas voir en lui l’unique lieu de l’autonomie et le fin du fin d’un nouveau mouvement révolutionnaire, il ne s’agit pas non plus de l’ignorer ou de n’en voir que les aspects négatifs.
Tout le monde va essayer de récupérer après avoir dénoncé (air connu) tout le monde va se mettre a parler d’autonomie… tout le monde caractérise déjà péremptoirement ce mouvement de masse
— c’est le nouveau mouvement de masse
— non, une partie seulement
— c’est l’aile gauche du gauchisme
— c’est l’alliance entre la grande bourgeoisie et le lumpen
— c’est des cow-boys dirigés par des chefs sans pouvoir ailleurs
— c’est l’émergence d’une nouvelle force
— c’est étranger à la classe ouvrière
— ça va bientôt disparaître
_— non ça va s’étendre…
Pour l’instant on n’a pas les moyens de choisir car il nous semble que c’est un peu tout ça en même temps.
L’important c’est de ne pas y participer sans esprit critique et de ne rien laisser passer qui soit radicalement contraire à nos objectifs et à nos principes de base (comme par exemple les « incidents ont Libération »)
Par exemple, on peut se donner comme objectifs :
- de briser les relents du gauchisme estudiantin (voir plus haut) dans les AG et de toutes les manières en finir avec leur succession pour redécentraliser les pratiques.
- introduire des possibilités de réflexions ou pourquoi pas de théorisation
- de conquérir une autonomie réelle qui n’existe pas, surtout par rapport :
- aux gauchistes (témoin la difficulté de ne pas se déterminer par rapport a eux)
- aux médias (par exemple cesser de croire qu’il peut y avoir un bon quotidien dans la période actuelle)
- aux mouvements étrangers (savoir que l’Italie n’est pas la France, et de toutes les manières ne pas faire de l’Italie un autre Viet Nam mythique, celui des autonomes)
- ne pas se faire d’illusions car bien sûr que ça se cassera la gueule, et alors ? ça vaut quand même le coup.
Petit dico de l’autonomie :
« Combat pour l’autonomie ouvrière » Nº 1, novembre 1977. Hervé Arson B.P. 244 76120 Grand Quevilly
« L’officiel de l’autonomie »
« Camarades » Nº 6 Nov. 77, B.P. 168 10 75643 Paris cedex 10
« Front Libertaire » Nº 79, 33 rue des Vignoles 75020 Paris
Martin