La Presse Anarchiste

Notules

Si nous dénonçons ici l’imposture du social­isme césarien et esclavagiste de l’État russe et de ses acolytes de par­ti, cela ne peut pas nous empêch­er de savoir et de dire qu’il est des âmes com­mu­nistes devant qui l’on éprou­ve autant de respect que devant cer­taines âmes chré­ti­ennes. Cette con­stata­tion, on la fait une fois de plus en lisant les « Poèmes de la Petite Roquette » de Maryse Le Bris (Les Écrivains réu­nis, Armand Hen­neuse, Lyon). Croy­ante au cœur pur, Maryse Le Bris, sous les bru­tal­ités poli­cières, main­tient, avec quelle poignante dis­cré­tion, le chant de son courage :

Ils ont pour me frap­per des atten­tions de loups
Si le cœur me faut il ne faut pas leur dire
Le coqueli­cot du sang s’était mis à fleurir
Ma tête bruit d’acier l’enclume de leurs coups
Ils ont pour me frap­per des atten­tions de loups
. . . . . . . .
Je file à petit brin la laine de ma force…

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En ce cahi­er même, nous ne sommes pas aimable pour M. Jules Romain « penseur » poli­tique. Et il ne faudrait pas beau­coup nous forcer pour que nous avouions éprou­ver à peu près aus­si peu d’enthousiasme envers ses pesantes machines théâ­trales ou romancées. Mais nous avons tou­jours pen­sé qu’il fut, et qu’il est même encore un poète, qui sait, peut-être un grand poète. Les pièces qu’il a don­nées sous le titre de « Maisons » dans la nou­velle NRF de mai 1953 (elles ont, nous dit-on, paru depuis en vol­ume avec d’autres) le prou­vent admirable­ment, en par­ti­c­uli­er celle qui s’intitule « Fin du mensonge » :

Ah ! tout ce men­songe est trop bête !
Il va crev­er ; mais comme crève
Un filet usé d’acrobate.
Nous allons pass­er au travers ;

Pour tomber enfin dans la danse…
La transe, l’inepte cadence,
L’enfer équitable pour tous.

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« Poésie vivante », cahi­er de la revue « Les Let­tres », rassem­ble bien un cer­tain nom­bre de poèmes attachants, – de poèmes réal­isés, de poèmes qui sont des poèmes, entre autres cer­tains d’entre ceux que sig­nent Mau­rice Fombeure, Norge, Gilbert Trol­liet. Mais les autres ? Et cepen­dant, il est indu­bitable que des hommes comme, par exem­ple, Alain Borne, Jean Cay­rol, Claude Vigée ont une sen­si­bil­ité de poète (Alain Bosquet, Patoc­chi, Jean Rous­selot, – je n’y met­trais pas la main au feu…), comme il est incon­testable que la présen­ta­tion d’André Sil­vaire est toute finesse. Alors ? Eh bien, il doit y avoir là, favorisée par un milieu trop en vase clos, une de ces mal­adies de la mode qui frap­pent péri­odique­ment le lyrisme français (voyez les grands rhé­toriqueurs du XIVe, les pré­cieux du XVIIe, les néo-sym­bol­istes). L’enseignement, tou­jours actuel et vir­u­lent, du sym­bol­isme et du sur­réal­isme authen­tiques n’est pas en cause. Mais si la plu­part de ces poètes sont peut-être, dans le secret d’eux-mêmes, vivants, il est bien osé d’avoir appliqué la même épithète à leur poésie ou à ce qui en tient lieu.

Écriture poétique et politesse d’académie.

Au moins le nom des deux auteurs aux­quels nous pen­sons ici ne nous éloigne pas du ter­rain où se situent ces trop cour­tes notules sur la poésie.

Le pre­mier des deux textes que nous allons citer est au reste, à peu de chose près, un cas de la mal­adie que nous dénon­cions ci-dessus, et que l’on se trou­ve tout con­fus de relever chez un écrivain dont les deux pre­miers livres nous avaient lais­sé un sou­venir si enchanteur que, sachant de san­té fort pré­caire la femme exquise qui les avait écrits, notre longue attente – quelque vingt années – de l’œuvre appelée à leur faire suite mêlait à un respect presque ten­dre beau­coup de sincère angoisse. Cette œuvre atten­due, « Le mar­tin-pêcheur », de Monique Saint-Héli­er, a enfin vu le jour (chez Gras­set), mais sans nous éten­dre sur le fait regret­table (assuré­ment toute la faute en est à nous) que nous n’y avons rien com­pris, nous ne pou­vons nous retenir d’en tran­scrire le pas­sage suiv­ant, qui (on voudra bien en peser le tout dernier mot) nous paraît, quelque remords que nous éprou­vions à ne pas nous en taire, un exem­ple trop car­ac­téris­tique de l’égarement ver­bal con­tem­po­rain pour qu’il nous soit per­mis d’en savour­er pour nous seul tout le comique involon­taire. Il s’agit, comme au demeu­rant tout au long du livre, de la descrip­tion d’un bal. Et voici ce qu’à la page 24 (nous nous bor­no­ns, dans cette copie, à soulign­er de notre cru le mot de la fin) on peut lire :

«… Elle deve­nait un mythe : la femme scolopen­dre, la fougère géante. Mais le bou­quet de tulipes lui rendait ses pro­por­tions humaines.

Ce n’est que votre main, Madame…

« Et quand elle pas­sa près de la porte aux belles fer­rures, l’Anne qui glis­sa dans le cuiv­re [[1.Il s’agit sans doute, par-dessus le marché, de fer­rures en… cuiv­re.]] ne fut pas plus grande qu’un cornichon. »

Quant au sec­ond des deux textes que nous voulons citer, il émane d’un homme qui est pour beau­coup – et en par­tie pour nous aus­si – l’un de ceux qui – car­ac­tère à part – ont mené le plus loin la décou­verte poé­tique. Pour ne pas le nom­mer : Paul Claudel. Mais sans doute, comme celles de son Dieu, les voies de la poésie sont-elles impéné­tra­bles, – impéné­tra­bles en tout cas aux plus sim­ples con­ve­nances dont l’aréopage des Immor­tels, dont on sait que fait par­tie l’auguste patri­arche, passe cepen­dant pour le main­teneur. Or, et nous n’inventons rien, une de nos amies – bien des lecteurs des précé­dents cahiers de « Témoins » n’auront pas de mal à l’identifier – qui s’est acquis une juste répu­ta­tion par ses études per­ti­nentes sur, entre autres, Rilke, désireuse de savoir quel juge­ment Claudel por­tait sur le grand poète de langue alle­mande, avait, suiv­ant le con­seil de Madame Romain Rol­land, écrit une let­tre fort respectueuse et fort cour­toise à l’auteur du « Souli­er de satin » dans l’attente qu’il lui exprimât, s’il en avait une, son opin­ion quant à l’œuvre rilkéenne. Quelle ne fut pas la stupé­fac­tion de notre amie en rece­vant un peu plus tard… sa pro­pre let­tre (char­mant n’est-ce pas ? spé­ciale­ment vis-à-vis d’une femme et, qui plus est, d’une étrangère !), avec, tracées en marge, ces lignes dont la déli­catesse d’appréciation le dis­pute, on va pou­voir en juger, à celle du procédé épistolaire :

« J’ai très peu fréquen­té la poésie de Rilke et je ne l’aime pas du tout. Je n’ai ren­con­tré l’homme qu’une fois, et il a dû s’apercevoir du peu de cas que je fai­sais de lui, car il en a paru vexé.

Claudel »

C’est tout.

Mais il nous sem­ble que ça suffit. 


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