La Presse Anarchiste

Poèmes

Réponse à Eluard

[[Ce poème a paru dans « Sans muse­lière », édi­tions GLM.]] 

Quand vous dîtes
Qu’il faut mar­cher avec ceux qui construisent le printemps
Pour les aider à ne pas être seuls
Et pour ne pas être seul soi-même
Dans sa tour de pierre
Dévo­ré de lierre
Je vous donne raison

Et quand vous dîtes
Qu’on n’a de rai­son d’être
Que pour les autres êtres
Vous avez rai­son vous avez raison

Et quand vous dites
Qu’il faut chan­ter le monde pour le transformer
Et pour l’expliquer et pour le sauver
Et pour vivre non seule­ment dans sa bulle de savon
Mais dans la haine de l’injustice
Et pour un but incar­né comme un champ de blé
Vous avez rai­son vous avez raison

Mais je sais
Qu’une étreinte fra­ter­nelle sans patrie ni parti
Est plus forte que toutes les doc­trines des docteurs

Mais je sais
Que pour libé­rer l’homme des hal­tères de misère
Il ne suf­fit pas de bri­ser les idoles
Pour en mettre d’autres à leur place publique
Mais qu’il faut pio­cher et pio­cher sans fin jusqu’au fond de l’abcès
Et boire ce calice jusqu’à la lie

On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élas­tique aux arêtes barbelées
On ne libère pas l’homme de son cor­set de fer
En le plon­geant dans un vivier de baleines
On ne libère pas l’homme de ses mau­dits États
En le condam­nant à vie par un modèle d’État
La véri­té n’est pas un mar­teau que l’on serre dans sa main
Fût-ce une main de géant plein de bonne volonté
Mais la véri­té c’est par quoi nous sommes façonnés
Mais la véri­té c’est par quoi nous sommes éclairés
Quand par les nuits sans suite les mots jaillissent de nos lèvres
Pour apai­ser les hommes sus­pen­dus à leur vide

(1949)

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À genoux
1900

Le siècle naquit coiffé
De sa cou­ronne d’épines

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La prospérité

Gar­nies de trous debout Ornées de brique à lèvres
Des mai­sons empâ­tées bavaient leur spleen chétif
Et sous leurs pieds d’acier trem­pé par le soleil
Un véri­table parc public numé­ro un
Exsu­dait riche­ment son ver­mouth collectif

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La guerre

L’homme a trois guerres

Une guerre à maudire
Une guerre à nourrir
Une guerre à mourir

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La vérité

La véri­té sert
Pas comme une Muse

La véri­té couvre
Comme une casaque

La véri­té s’use
On la retourne

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Le progrès

Échap­pe­ment arrière
Écla­te­ment avant

[|* * * *|]

Pour vivre

Ôtez votre personne
Ce sale imperméable
Et vous serez propres

[|* * * *|]

L’homme

Cet homme adulte à trous
Cet homme adulte à clous
Cet homme adulte à roues
Cet homme adulte à genoux

Est tout puissant

Ses bras sont longs
Sa tête est dure
Sa gueule est sûre
Sa chair est ferme

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Le problème

Dans ce fouillis de l’homme
Étale retour­né désarticulé
Com­ment retrou­ver le bon chemin ?

[/​Paul Valet/​]

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