La Presse Anarchiste

Bibliographie

Le Tri­mar­deur, avec l’é­pi­graphe : Révolte et Liber­té, est un roman que M. C. Bon­na­mour publia l’an­née der­nière dans l’É­cho de Paris, et que la mai­son Pen­tu vient d’é­di­ter en volume.

Comme tous les romans qui s’ins­pirent plus ou moins des inci­dents de l’ac­tua­li­té, le roman de M. Bon­na­mour a le défaut de pré­sen­ter des faits et des per­son­nages qui semblent cacher tel fait, ou telle indi­vi­dua­li­té dont aurait eu à s’oc­cu­per le fait divers quo­ti­dien. Le lec­teur croit mettre des noms réels sur des types qui, ne sont, en réa­li­té, que des per­son­nages de fantaisie.

Mais, cette petite réserve faite, le Tri­mar­deur est un livre fort inté­res­sant, où l’au­teur nous fait assis­ter au cal­vaire de ceux qui ne veulent se plier sous le joug de fer du capi­tal, qui veulent conser­ver leur libre arbitre, gar­der intacte leur digni­té d’homme.

À ceux-là, plus de tra­vail régu­lier, plus de pitance assu­rée ; mise à l’in­dex, éli­mi­na­tion lente, mais sûre, d’une loca­li­té à l’autre, il ne leur reste plus qu’une res­source : prendre leur balu­chon sous le bras, se mettre sur la grande route, s’ar­rê­tant lors­qu’un fer­mier en cam­pagne veut bien les occu­per, ou qu’un tra­vail pres­sé force un usi­nier à leur ouvrir les portes de ses ateliers.

Mais ce n’est qu’une halte ! le fer­mier n’a besoin que d’un coup de main ; l’u­si­nier, qui a l’ha­bi­tude de com­man­der à des êtres qui lui obéissent ser­vi­le­ment, ne peut gar­der long­temps un ferment de révolte qui pour­rait gan­gre­ner son trou­peau. La grande route étale son ruban, là-bas, au loin, menant à l’in­con­nu. Et, que le soleil darde ses rayons de feu, ou que la neige la couvre de son froid man­teau, le moderne Juif errant doit l’ar­pen­ter sans cesse, ni trêve, jus­qu’à ce qu’un beau jour il échoue à la cor­rec­tion­nelle pour un vol de poules, ou pour vaga­bon­dage. C’est la fin pour lui ; gibier de pri­son, il ne quit­te­ra plus la route que pour la geôle, la geôle pour la route.

Cela n’est pas tout à fait le sort de celui que nous raconte M. Bon­na­mour. Dès le com­men­ce­ment du livre, nous le trou­vons aux débuts de son exis­tence de tri­mar­deur. Ayant frap­pé à la porte d’un sor­dide pay­san, il demande sa part d’une soupe qui mijote dans l’âtre. Le pay­san, pour­rait, sans se pri­ver, par­ta­ger sa soupe avec l’af­fa­mé, mais il est avare, il est tard, il a peur de cet homme qui semble récla­mer comme un dû le droit de vivre et de se réchauffer.

Le pay­san a peur d’être volé, il montre la porte au misé­rable, alors qu’il est hyp­no­ti­sé par cette soupe qui lui chante le bien-être, alors que, sur la route, la neige tombe froide et serrée. 

L’homme a faim, il a froid, il veut man­ger, et il veut prendre de force ce qu’on lui refuse de bonne volon­té : dans la lutte, le pay­san tombe sous son agres­seur et se tue !

Le meur­trier, atter­ré de son crime, reste pros­tré près de sa vic­time ; mais la faim le réveille, il mange enfin cette soupe qu’il a conquise de haute lutte. Ras­sa­sié, l’ins­tinct de la conser­va­tion le reprend, il déva­lise le mort et conti­nue sa route, repre­nant sa vie errante : man­geant lorsque les exploi­teurs veulent bien l’employer, ou lorsque la soli­da­ri­té des cama­rades lui vient en aide, « vivant » de misère et de pri­va­tions lorsque les portes se ferment sur lui, devant les idées d’in­dé­pen­dance qu’il sème sur sa route.

Mais, entre temps, il s’est trou­vé en contact avec des anar­chistes, ses idées se pré­cisent, sa révolte prend conscience d’elle-même, il arrive à Paris, se trouve en contact avec des par­ti­sans de la pro­pa­gande par le fait, et nous assis­tons ici à une rémi­nis­cence des évé­ne­ments de 1893 – 94. Cette évo­ca­tion d’é­vé­ne­ments miti­gée de faux et de réel nuit un peu à l’in­té­rêt du livre — selon nous — mais, là encore, il y a de fort belles pages de révolte et de soli­da­ri­té qui méritent d’être lues, pen­dant que, sur le tout, se détache l’é­pi­sode des amours de Jean et de Marie, ain­si que la fin tra­gique de cette der­nière, tuée dans un accès de jalou­sie par sa rivale, Chatte-chatte. 

Vin­dex

Nous avons reçu :

Les Vil­lages illu­soires, par E. Verhae­ren ; une pla­quette chez Edmond Deman, édi­teur, 16, rue d’A­ren­berg, Bruxelles.

L’Ar­chi­pel en fleurs, 1 volume en vers, 3 fr. 50, par A. Ret­té ; Biblio­thèque artis­tique de la Plume, 31, rue Bonaparte.

De chez Char­pen­tier, 11, rue de Gre­nelle : Jour­nal des Gon­court, tome VIII. — Émaux et Camées, par Théo­phile Gau­tier ; 1 volume, 3 fr. 50, orné de 110 aquarelles.

Le Roman d’un singe, par Armand Char­pen­tier ; 1 volume chez Ollen­dorff, 28 bis, rue Richelieu.

Les Déco­rés, ceux qui ne le sont pas, par F. Jour­dain ; 1 volume, 3 fr. 50, chez S. Empis, 21, rue des Petits-Champs.

La Pro­prié­té, ori­gine et évo­lu­tion, par P. Lafargue, avec réfu­ta­tion de Y. Guyot ; chez Dela­grave, 15, rue Soufflot.

― O ―

Les Convul­sées[[Librai­rie Mar­seillaise à Mar­seille]], par Étienne Bel­lot, un volume de vers, jeunes, vibrants, robustes, cla­mant la haine aux oppres­seurs du corps et de la pen­sée. Fadeurs, rêve­ries vaines et miè­vre­ries n’en­combrent point la route. Le poète aspire aux meilleurs deve­nirs. Au plein air, comme sous des orages, marchent, déche­ve­lés, des poèmes, errants, vaga­bonds. Ces pages ne sont point nées sous des cou­poles aca­dé­miques. Elles sentent la plèbe ; et c’est pour les déshé­ri­tés qu’elles chantent, pensent et fla­gellent, et pour l’i­déal jus­ti­cier. Citables seraient de beaux cris, des strophes en révolte et d’har­mo­nieuse envo­lée. Si, au point de vue art et for­mel, comme devers cer­taines fluc­tua­tions idéelles, sont à noter des réti­cences, l’in­dé­niable n’en est pas moins l’ef­fort magni­fique, la ten­dance liber­taire, l’ex­pres­sion spon­ta­née. Par des­sus tout, ardente, sociale et de com­bat, cette oeuvre est un espoir viride et viril de lignes futures et décisives.

Théo­dore Jean 

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