La Presse Anarchiste

La plainte d’un enfant d’ivrogne

Sup­porte et que j’ai dû sup­por­ter, éprouve ce que j’ai éprou­vé : ― courbe-toi sous les coups d’un père en démence, ― sois l’ob­jet des raille­ries froides et cruelles du monde, ― lutte ain­si année après année.

Pleure comme j’ai pleu­ré, ― souffre comme j’ai souf­fert devant la dégra­da­tion morale de mon père ! ― Vois comme moi tes dési­rs les plus chers déjoués, ta jeu­nesse flé­trie et déco­lo­rée, les fleurs de tes espé­rances jetées au vent.

Prie comme j’ai prié. — Implore, lutte, sup­plie, comme moi ― essaie de tou­cher un cœur plus dur que la pierre — sois repous­sé avec des blas­phèmes et vois tes larmes amères tour­nées en ridicule.

Contemple ce qu’il m’a été don­né de voir : — mon propre père éten­du sur le sol, cou­vert de sang et d’af­freuses bles­sures — le visage hideux, miroir de sa pauvre âme.

Entends ce que j’ai enten­du — les san­glots d’un morne déses­poir — quand sa rai­son lui mon­trait par lueur ce qu’il aurait pu être, s’il n’é­tait pas deve­nu un ivrogne.

Dis-moi, après, si tu n’é­prouves pas un peu de com­pas­sion pour cette enfant, et si tu peux boire toi-même une goutte de cette bois­son qui pro­duit des détresses semblables ? 

La Presse Anarchiste