Un homme politique très en vue, considéré de toute la bourgeoisie, fonctionnaire un peu partout, député à tous les Conseils, franc-maçon, homme à poigne, auteur de lois et règlements contre les voleurs d’or et d’argent, vient d’être arrêté pour vol.
Il était la terreur de ses ouvriers et craint de ses amis politiques eux-mêmes. Partout où il fallait un dogue pour aboyer sur le parti ouvrier et sur les travailleurs en général, le parti radical mettait en avant son Fer. C’est le nom du voleur.
Directeur ou président d’un bureau de douanes, il recevait de ses employés le produit des recettes et les empochait. La somme, environ 8 000 francs, n’est pas grand’chose par ce temps de gros voleurs, mais ce qu’il y a de réjouissant, c’est que ce pilier de l’ordre, dans son interrogatoire, a trouvé l’opération toute naturelle et a même déclaré qu’il avait eu l’intention de proposer au Conseil d’administration de sanctionner cet acte et de lui faire décréter qu’à l’avenir ces recettes seraient sa propriété !
Ayant remboursé cette somme par un chèque sur sa banque, il en a été quitte pour passer une nuit au violon ; car, le lendemain, le Conseil retira sa plainte et Fer fut remis en liberté.
La presse bourgeoise pleure sur les rigueurs avec lesquelles on a procédé contre cet « homme de bien », cet « homme intègre ». Mais les ouvriers, eux, se rappellent les insultés que cet homme n’a cessé de leur adresser lorsqu’il parlait au nom du gouvernement. Ils se rappellent que bien de leurs collègues ont dû payer par des années de prison un pain ou quelques nippes qu’ils avaient pris pour se vêtir ou se nourrir un peu. Ils comparent cette mise en liberté d’un gros, parce qu’il avait les moyens de rembourser, et la longue détention du petit que la misère a abattu.
La légende voulant que lorsque l’on découvre un voleur de ce calibre, d’autres sont encore cachés, les rumeurs qui circulaient ces jours-ci ont été jusqu’à nommer un juge d’instruction qui aurait été arrêté pour des faits semblables à ceux reprochés à Fer. La presse a démenti la chose et les commentaires vont leur train.
Nicolet