La Presse Anarchiste

Une première mise au point nécessaire

Tous les régimes réac­tion­naires et fas­cistes ont com­bat­tu la Franc-Maçon­ner­ie. Nous avons encore des sou­venirs pré­cis de l’ac­tion du gou­verne­ment de Vichy en cette matière. Pour la pro­pa­gande de droite, les francs-maçons sont des gens qui se réu­nis­sent secrète­ment pour nour­rir les plus noirs des­seins con­tre la France, con­tre la Morale, et fomentent la Révo­lu­tion avec le con­cours de la « juiv­er­ie inter­na­tionale ». L’a­vant-guerre a vu une flo­rai­son de lit­téra­ture anti­maçon­nique qui dévelop­pait des argu­ments de ce genre : depuis « Les Cahiers de l’Or­dre », jusqu’au « Grand Occi­dent », en pas­sant par la célèbre « Semaine Religieuse ». Les mêmes thès­es devaient faire le bon­heur des édi­to­ri­aux du trop célèbre Philippe Hen­ri­ot, pen­dant l’oc­cu­pa­tion. Nous ne fer­ons pas l’in­jure à nos lecteurs de croire que nous don­nons dans de tels panneaux !

L’Église Catholique a tou­jours, tra­di­tion­nelle­ment com­bat­tu la Franc-Maçon­ner­ie. Le pape Gré­goire XVI dit qu’elle est « le cloaque où sont réu­nies les doc­trines les plus imp­ies, les pra­tiques sac­rilèges les plus abom­inables de toutes les sectes depuis l’o­rig­ine des siè­cles jusqu’à nos jours. » Pierre l’Her­mite, directeur de la « Croix » pen­dant des décades, écrivait : « La Franc-Maçon­ner­ie, c’est la Con­tre-Église, le cerveau du Dia­ble, la haine invis­i­ble et guet­teuse, qui a sur les mains le sang de tant de Révolutions. »

Ce débor­de­ment d’in­jures proférées par les cléri­caux dans le passé ne pour­rait, au pre­mier abord, que nous inciter à une vive sym­pa­thie pour les « frères trois-points ». Pierre l’Her­mite par­le de Révo­lu­tions ! La Franc-Maçon­ner­ie ne prend pas cela pour une injure. Mieux, elle se vante d’avoir pré­paré dans ses loges les principes et les grands évène­ments de 1789. Le Con­seil de l’Or­dre du Grand Ori­ent de France déclarait en 1897 : « C’est la Franc-Maçon­ner­ie qui a pré­paré notre Révo­lu­tion, la plus grande de toutes les épopées pop­u­laires que l’His­toire ait engen­drées dans ses anales, et c’est à la Franc-Maçon­ner­ie que revient le sub­lime hon­neur d’avoir fourni à cet inou­bli­able évène­ment la for­mule où sont incar­nés ses principes. »

C’est dans les loges que furent élaborés les grands boule­verse­ments soci­aux de la fin du XIXe siè­cle en Ital­ie et en Espagne, par exem­ple. Il est enfin un fait indé­ni­able, beau­coup de penseurs anar­chistes du début du siè­cle, dont Élysée RECLUS, mem­bre de l’Al­liance de Fran­cis­co FERRER, étaient des maçons notoires. Il n’y a pas de doute pos­si­ble : les loges ont apporté une pierre non nég­lige­able à l’évo­lu­tion des idées dans le passé et ont joué une époque don­née, un rôle impor­tant dans la prise de con­science des peuples.

À l’op­posé des argu­ments réac­tion­naires et tou­jours aus­si peu sérieux, se pla­cent les bon­i­ments répan­dus dans l’ex‑F.C.L. et dans d’autres par­tis ouvri­ers minori­taires, à savoir : les franc-maçons sont tous des « flics », un franc-maçon est for­cé­ment un mouchard dont on doit se méfi­er. Qu’il y ait des flics dans la Franc-Maçon­ner­ie, ce n’est que trop cer­tain ! Mais il y a tou­jours eu des « flics » dans toutes les organ­i­sa­tions de « gauche » et c’est « nor­mal ». Nous sommes de ceux qui pensent qu’on ne peut argu­menter que sur des faits sérieux.

Le reproche fait par le « Français moyen » est le car­ac­tère secret des travaux des loges. Il nous faudrait nous replac­er dans le con­texte de la sit­u­a­tion poli­tique du XVIIIe siè­cle où les loges étaient floris­santes et où les idées de la Révo­lu­tion française se répandaient. Il était néces­saire, dans un pays où la lib­erté d’ex­pres­sion n’ex­is­tait pas, de se réu­nir à l’abri des indis­crets. C’est cette préser­va­tion d’un lieu secret, dernier refuge de la dis­cus­sion, qui a obligé les régimes autori­taires à com­bat­tre en pre­mier lieu la Franc-Maçon­ner­ie. Nul doute que des mil­i­tants anar­chistes du siè­cle dernier purent trou­ver dans les loges une pro­tec­tion effi­cace con­tre les coups du Pou­voir. Ce n’est donc pas ce car­ac­tère secret que nous repro­chons à la Franc-Maçon­ner­ie. Toutes les organ­i­sa­tions révo­lu­tion­naires ont util­isé le secret en péri­ode de trou­ble. L’Al­liance, et plus tard la F.A.I. espag­nole n’ont jamais ren­du publique la liste de leurs mem­bres. Cette méth­ode pou­vait très bien, à l’époque des États Généraux de 1789, être employée légitime­ment à nos yeux par la Franc-Maçon­ner­ie. Que le secret maçon­nique soit tou­jours légitime à notre époque est une ques­tion sur laque­lle nous ne chi­canerons pas. L’ar­gu­ment réac­tion­naire répan­du par le « Cahi­er de l’Or­dre » avant la guerre, selon lequel « On ne cache que lorsque l’on a quelque chose de mal­pro­pre ou d’i­navouable à cacher », nous sem­ble très faible. Que diri­ons-nous des cou­vents ! Remar­quons en pas­sant que le secret maçon­nique est surtout main­tenant un secret de polichinelle.

Aus­si, c’est sur un plan très dif­férent que nous plaçons notre oppo­si­tion à la Franc-Maçonnerie.

G.B.


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