« Prévenir la victoire communiste était, depuis de longues années, la seule justification de la guerre (d’Indochine). Puisque cette justification n’est pas considérée comme valable par tous les Occidentaux, nous avons le droit, que dis-je, nous avons le devoir d’en tirer la conclusion logique. »
Ce texte de M. Raymond Aron (« Figaro » du 17 mai), « Témoins », dans son précédent numéro, s’était fait une obligation de le citer, pour mieux illustrer, précisément par la pensée d’un analyste dont on sait de reste l’absence de toute intention subversive, l’urgence de la solution de bon sens que, depuis lors et Dieu merci, a constituée l’accord qui a abouti au cessez-le-feu.
Car si, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire et m’en explique à nouveau plus loin à propos de la lettre de Jean Rounault, je suis loin de croire, comme les technocrates, à la panacée du bon sens, ce n’est pas pour refuser – c’est le cas de le dire – droit de cité à celui-ci.
Bien au contraire.
Et même, dans les questions qui relèvent précisément de sa juridiction, il me semble essentiel que nous nous rendions compte qu’il ne suffit pas de lui obéir une fois. Comme on dit : une fois n’est pas coutume. Or, il est tout un ordre de problèmes où nous ne pouvons nous trouver que mieux d’en accepter l’accoutumance.
Bien des lecteurs amis vont se dire ici que j’ai assurément l’intention de démontrer qu’il convient de poursuivre la politique de détente, d’y contribuer au moins par cette absence de choix dont, dans l’article précédent, Robert Proix nous laisse entendre qu’elle est une des conditions de la paix.
Je ne nie pas qu’il y ait là, en effet, une grande apparence de bon sens, une apparence si séduisante pour tant d’hommes de bonne volonté qu’il me paraît, précisément après le bienfait de la trêve indochinoise, plus que jamais indispensable de la dénoncer.
Il ne s’agit du reste pas le moins du monde d’opter ou de ne pas opter pour l’Amérique : laissons à Louzon, avec sa formule du « parti américain », le monopole des simplifications déformantes, aussi déformantes que les contre-simplifications intéressées des « combattants de la paix » formule Stockholm. Il s’agit tout simplement de ne pas prêter le flanc aux manœuvres grossières du « pacifisme » chaussé des bottes de l’Armée rouge.
Bon sens, le cessez-le-feu au Vietnam ; bon sens aussi le proche avènement, il faut l’espérer, d’une politique, en Afrique du Nord, enfin loyale et ouverte sur l’avenir ; bon sens encore, comme nous le disait ici Camus il y a trois mois, de ne pas acoquiner la liberté avec Franco. Mais bon sens également de nous dire que, même si certaines des formes que nous en proposent les politiciens ne trouvent pas forcément notre consentement enthousiaste, la solidarité occidentale demeure la garantie la plus efficace, provisoirement, de nos commencements de liberté et même de nos non-conformismes. Et par un retournement que les docteurs en marxisme qualifieraient peut-être de dialectique, c’est justement parce que la France est – enfin – dégrevée de l’hypothèque extrême-orientale, qu’elle doit d’autant plus garder conscience que, si l’Occident, sans elle, ne serait plus ce qu’il est (ce qu’il est capable de devenir), elle-même, sans l’Occident, dans l’actuelle situation du monde, ne tarderait pas à ne plus être la France.
[/J. P. S./]