La Presse Anarchiste

Les jeux et les larmes

Elé­giette entre deux déluges

Ensemble un oiseau chante et le soleil s’endort.
L’ombre, au fond du jar­din, est – cela rime – d’or.
Tout comme le soleil on vou­drait faire un somme.
À nou­veau l’on se sent presque heu­reux d’être un homme
Devant ce calme obtus d’un monde qui, mouillé
Encore, ouvrit les yeux, puis les a refermés
Comme pour oublier le jour ivre d’arômes.
Que l’on est loin, ici, des foules de Sodome.
Pino sur son cap vert dresse un doux minaret.
Après la nuit de vent fou­gueux, voi­ci l’arrêt
Sou­dain, mira­cu­leux des êtres et des choses.
Dans la tor­peur le temps, assou­pi, se repose.
Le coq de chez Pugni déchire l’air pesant.
Avril, mois des éveils, qu’on dit – ah ! parlons-en :
Le dieu prin­temps rou­pille en son cocon de brume.
Poète, suce-moi la pomme et prends la plume,
Et nous chante, embrin­gué des pres­tiges de l’art,
L’heure divine – avant de rou­vrir un riflard.

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Chan­son du corvéable
d’après Le Maguet

De la veille mal guéris,
Vont, même aux jours de la rose,
Cueillir dans leur beau Paris
Un aujourd’hui tout en prose.

Vite, vite ! – L’heure sonne,
Noir appel des ateliers.
Ah ! ce bruit de gros souliers,
Ce désert : foule et personne.

Pour nul rêve n’ont de cœur
Et de tant de jours perdus
Ils se font à contrecœur
Une vie. Qu’en penses-tu,

Novice, et gour­mand de vivre ?
Royaume : être vagabond.
Que n’es-tu, de loi­sir ivre,
Faux aveugle sur un pont ?

Errer au bord de la Seine.
On peut tou­jours lui conter
Dans le silence une peine :
L’eau qui passe désenchaîne
Un sem­blant de liberté.

[|* * * *|]

À pro­pos de rhubarbe

Pour Charles Vil­drac, avec l’intercession de Lucienne Desnoues

Non plus que vous, grand frère de Paris
Pour­tant expert en belles Découvertes,
Je n’avais su qu’en nos jar­dins fleuris
Dame rhu­barbe aux robes tou­jours vertes
D’un peu de fleurs avait sa part aussi.
Honte sur nous ! – mais devra-t-on se pendre
S’il a fal­lu que les vers de Desnoues,
Comme un mys­tère au par­vis se dénoue,
Vinssent un jour en chan­tant nous l’apprendre ?

Qui sait ce qu’à la grâce
Du grand Petit Poète
Vous aurez à répondre,
Maître des vrais secrets ?
Quant à moi je peux dire
Qu’en un cer­tain lopin
La plante aux feuilles larges
M’est pour­tant familière.
Je l’ai vue qui couvait
La menthe rétractile ;
Je l’ai vue qui chauffait
Le som­meil d’un lézard
Au soleil devenu
À leur tou­cher tout vert ;
Et je la vois encore
Quand je ferme les yeux.
Si ce n’est pas la fleur
De la plante qui monte
Du fond de la mémoire,
C’est la fleur de la vie
Au soleil tou­jours vert :
Décou­verte sans fin
À jamais inventée
Et tou­jours à refaire.

[|* * * *

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Rien n’est chan­gé dans le miracle du printemps,
Sinon qu’ayant bien­tôt fran­chi les… x‑ante ans
Tu ne recon­nais pas, lorsque naïf tu passes
Devant un maga­sin, ce mon­sieur dans la glace
Qui porte ton béret, ton man­teau, un faux air
de toi – très faux évi­dem­ment – ou de ton père,
Dont tu lui don­ne­rais en somme à peu près l’âge
Au temps loin­tain et proche où, d’un si bon courage,
Vous mar­chiez tous les deux dans votre grand Paris.
Rien n’est chan­gé, sinon que ta jeu­nesse a fui
Et, comme elle, l’ami de tes matins d’école –
O flâne avant l’ouvrage et sage course folle –
Le com­pa­gnon des beaux che­mins, des vieux palais
Immenses, des jar­dins et des quais. Tout donc, mais –
Mais rien. Pas même en toi cette idée imbécile :
Jeune est le monde et jeune est dans l’antique ville
Cet enfant que je suis et qui le veut rester.
Dans le miracle du prin­temps rien n’est changé.

[/​Jean Paul Sam­son/​]

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