La Presse Anarchiste

Notules

Le plus grand mérite, pour moi, de « L’Agneau », de Fran­çois Mau­riac (Flam­ma­rion), c’est de m’avoir fait relire « La Pha­ri­sienne », que j’avais, très injus­te­ment, jadis, peu aimée. Il est vrai qu’entre-temps, chose étrange à dire, chez Mau­riac, c’est le jour­na­liste qui m’a conquis après coup au roman­cier. Mais, dans le cas de « L’Agneau », je ne risque pas de m’attirer, de la part de l’auteur, le coup de bou­toir qu’il assé­na à son col­lègue ès-«Figaro », André Rous­seaux, l’accusant aima­ble­ment de n’avoir jamais su de quoi il parle. Moi, pour « L’Agneau », en effet, j’aime mieux me taire, – pour cette bonne, ou plu­tôt très mau­vaise rai­son que je ne com­prends pas, même après essai d’une seconde lec­ture. Car enfin ce jeune homme – l’agneau – qui s’immole pour le salut des autres, s’il le fait par un sui­cide, cela sup­pose une inten­tion tel­le­ment hété­ro­doxe qu’elle ne peut pas lui avoir été prê­tée par le catho­lique res­pon­sable du livre. Ou bien si c’est, de par l’accablement de voir le monde tel qu’il est et comme par une fuite incons­ciente, sui­cide, en somme, invo­lon­taire, l’acte perd presque toute sa por­tée. Je le répète, je ne com­prends pas. – Et cepen­dant, quelle sou­ve­rai­ne­té de langue, d’un bout à l’autre du récit, quelle évo­ca­tion, aus­si, poi­gnante de ce monde d’ici-bas, en dépit de toute cette mytho­lo­gie mau­dite et tor­tu­rée comme à plaisir.

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Sans doute n’y a‑t-il rien à ajou­ter aux louanges dont on a, si légi­ti­me­ment, salué le bref roman de Fran­çoise Sagan « Bon­jour tris­tesse » (Jul­liard). Plu­tôt à retran­cher : le rap­pro­che­ment avec Radi­guet était, mal­gré toute la per­fec­tion de l’œuvre, exces­sif, – pour ne rien dire de celui avec Laclos. Mais une telle maî­trise dès un début et, quoi que l’on ait pu écrire de l’immoralité congé­ni­tale des per­son­nages, une telle ver­tu de luci­di­té sur soi et sur autrui nous pro­mettent en Fran­çoise Sagan – si la publi­ci­té ne la gâte point – un bel écri­vain sou­cieux de ne se point men­tir. Depuis le dix-hui­tième siècle, cela ne court pas tel­le­ment les rues.

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N’étant pas fas­ciste ni, ce qui revient au même, tota­li­ta­riste rouge, je ne per­met­trai jamais aux éga­re­ments de ce salaud de Céline de dimi­nuer d’un iota mon admi­ra­tion pour « Le Voyage au bout de la nuit ». Et même j’avais rigo­lé sans remords en lisant son texte récent (bal­lon publi­ci­taire en guise d’annonce de son nou­veau bou­quin) dans la Nlle NRF Mais le nou­veau bou­quin lui-même, « Nor­mance » (Gal­li­mard), ah ! non. Le père de Bar­da­mu a beau se van­ter d’avoir intro­duit le par­lé dans l’écrit – et notez que dans « Le Voyage » c’est vrai – il semble pra­ti­quer main­te­nant le dégoi­sé dans le pas écrit du tout. Bien sûr, il semble, car c’est tra­vaillé en diable. Mais ça se voit. Comme aurait dit Hugo, dans manière il y a déjà maniaque… Et puis, trois cent soixante-quinze pages de bom­bar­de­ment tou­jours au paroxysme de la catas­trophe, ça finit par équi­va­loir au néant du silence. Illisible.

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