La Presse Anarchiste

USA ou URSS : Le mouvement ouvrier doit-il choisir ?

Le cercle Zim­mer­wald, ani­mé, comme nos amis le savent, par le doc­teur Daniel Mar­ti­net, fils du regret­té poète, le cercle Zim­mer­wald conviait récem­ment quelques mili­tants syn­di­ca­listes à une contro­verse dont le sujet avait pour titre : « USA ou URSS : le mou­ve­ment ouvrier doit-il choisir ? »

Pré­cé­dé d’une cau­se­rie fort pré­cise et docu­men­tée de Mau­rice Cham­bel­land, le débat fut très vive­ment conduit et, à de cer­tains moments, non exempt de pas­sion. Un seul inter­lo­cu­teur, cepen­dant, se décla­ra net­te­ment pour Washing­ton, sans res­tric­tion ni réserve, jusques et y com­pris l’emploi de la bombe H…

De la dis­cus­sion, il nous est loi­sible de tirer les obser­va­tions et consta­ta­tions que voici :

Les pro­blèmes en ques­tion revêtent aujourd’hui un carac­tère d’extrême gra­vi­té et se pré­sentent avec d’autant plus d’acuité que les orga­nismes qu’ils inté­ressent au pre­mier chef sont plus désar­més devant eux que jamais.

Si l’on admet que le mou­ve­ment ouvrier est repré­sen­té en France, dans sa majo­ri­té, par la CGT, la ques­tion du choix semble ne pas devoir se poser : la CGT n’est-elle pas tota­le­ment inféo­dée à Mos­cou ? Voire… La chose n’est pas si simple. Il ne faut pas igno­rer qu’à l’intérieur de la CGT, des mino­ri­tés s’opposent avec une cer­taine viru­lence à l’emprise com­mu­niste et que des mili­tants s’efforcent de main­te­nir dans la Cen­trale syn­di­cale l’esprit de la charte d’Amiens : ain­si se mani­festent, de façon par­ti­cu­liè­re­ment éner­gique, cer­taines frac­tions des tra­vailleurs du Livre.

Mais cela n’empêche pas la CGT d’être réduite à l’impuissance par le désar­roi que créent en son sein les influences sta­li­niennes, géné­ra­trices de confu­sion dans les esprits et de dévia­tion des prin­cipes syndicalistes.

Aucune action valable n’a été entre­prise par les ouvriers fran­çais depuis 1936 (quoi qu’on puisse pen­ser de cer­tains mou­ve­ments de grève enga­gés de façon dis­cu­table), et seuls les aveugles se refusent à voir que les modestes conquêtes dif­fi­ci­le­ment acquises à l’époque du fameux « front popu­laire » sont constam­ment remises en question.

Dans ce cli­mat d’imprécision et de défaite, com­ment le mou­ve­ment ouvrier serait-il en mesure d’accuser une posi­tion nette en face du conflit USA-URSS ?

C’est tout le pro­blème de la résur­rec­tion d’un véri­table syn­di­ca­lisme qui se trouve posé en ces quelques mots.

Est-il besoin de rap­pe­ler les objec­tifs du syn­di­ca­lisme tels qu’ils furent énon­cés lors de l’élaboration de la Charte d’Amiens ? Réduites à leur essence, les reven­di­ca­tions ouvrières se résument en deux points : acces­sion des tra­vailleurs à la ges­tion des entre­prises et abo­li­tion du salariat.

S’il est une bonne fois enten­du que les orga­nismes syn­di­caux, tels qu’ils fonc­tionnent depuis nombre d’années, sont abso­lu­ment inca­pables de reprendre la lutte pour ces prin­cipes ori­gi­nels ; si, d’autre part, les mots d’ordre pério­di­que­ment lan­cés par les ser­vi­teurs du régime tota­li­taire mos­co­vite tombent dans une indif­fé­rence à peu près com­plète, qu’attendre d’un mou­ve­ment qui n’est syn­di­cal que de nom ?

Quand nous par­lons des orga­nismes syn­di­caux, il va sans dire que nous n’omettons ni la CFTC ni la CGT-FO. Et quand nous signa­lons leur insuf­fi­sance et leur impuis­sance, nous n’établissons aucune dis­tinc­tion entre eux : nous les savons aus­si insuf­fi­sants, aus­si impuis­sants les uns que les autres. Le syn­di­ca­lisme « cour­roie de trans­mis­sion » des mos­cou­taires, le syn­di­ca­lisme à l’eau de rose des tra­vailleurs chré­tiens et de Force Ouvrière ne sau­raient être consi­dé­rés comme du syndicalisme.

Consé­quem­ment, en sup­po­sant que ce que nous appe­lons encore par euphé­misme le « mou­ve­ment ouvrier » adopte une posi­tion pour ou contre Mos­cou, pour ou contre Washing­ton, cela ne pour­rait avoir aucune espèce d’importance : nous vou­lons dire, aux yeux des vrais syndicalistes.

Or, il se trouve que, même si cer­tains « fonc­tion­naires syn­di­caux » ont le désir, du côté CGT, d’appuyer la poli­tique de Mal­en­kov, du côté CFTC-FO, de sou­te­nir Eisen­ho­wer, il se trouve que leurs ten­ta­tives se neu­tra­lisent et demeurent sans écho.

Et c’est ain­si que les anta­go­nismes entre les USA et l’URSS se déploient en dehors du contrôle des classes sala­riées cepen­dant appe­lées à faire lour­de­ment les frais des conflits éventuels.

Il est bien évident que la seule déci­sion logique, de la part des tra­vailleurs du monde encore libé­ral, serait de pro­cla­mer : « Ni Mos­cou ni Washing­ton ! » et de bâtir une fois pour toutes leur union sur les simples et néces­saires reven­di­ca­tions d’un mou­ve­ment ouvrier conscient de ses res­pon­sa­bi­li­tés et de ses facul­tés : ges­tion des entre­prises par les tra­vailleurs eux-mêmes, abo­li­tion du sala­riat, c’est-à-dire, par voie de consé­quence, l’établissement de la PAIX UNIVERSELLE par l’instauration de la PAIX SOCIALE.

Telle est la conclu­sion que com­porte le débat où nous convia le Cercle Zim­mer­wald et auquel prirent part, indé­pen­dam­ment de Cham­bel­land, les mili­tants che­vron­nés Pierre Monatte, Mat­téï, etc., et d’autres plus jeunes, mais non moins qua­li­fiés, tels Walu­sins­ki, de « la Révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne » [[Depuis que notre ami R. Proix a rédi­gé ces lignes, Walu­sins­ki a quit­té la rédac­tion de « la RP »]], et Ther­sant, du « Trait d’union » des syn­di­ca­listes. Tous émirent des avis sur les­quels nous aurons l’occasion de reve­nir si nos amis et lec­teurs pensent que les pro­blèmes dont nous venons de par­ler sont dignes de pro­vo­quer, dans les pages de « Témoins », une dis­cus­sion fer­tile sur l’urgence de rani­mer le syn­di­ca­lisme moribond.

[/​R. Proix/​]

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