Les évènements
de Hongrie en 1956 et de Tchécoslovaquie en 1968 ont montré
que le problème de la domination soviétique en Europe
de l’Est ne peut être résolu uniquement au niveau d’une
nation. Le sort de chaque pays « communiste »
est lié à celui de ses voisins et à l’URSS même.
Aussi les contacts internationaux entre les mouvements oppositionnels
de ces pays sont d’une importance particulière dans la mesure
où ils constituent un premier pas vers une lutte
internationale contre le régime actuel en URSS et dans ses
satellites. Ces contacts internationaux sont encore très
faibles, et touchent surtout des pays qui ont une opposition
importante ou particulièrement active. Leur développement
et leur amplification, dans les années à venir,
constitueraient un fait d’une importance primordiale dans l’histoire
des Pays de l’Est.
Dès la naissance
en 1977 de la Charte 77, la nouvelle opposition tchécoslovaque
prend une dimension internationale. En effet, elle est accueillie
avec sympathie par l’opposition polonaise alors en plein essor après
les évènements de juin 1976, et elle va servir de
déclencheur dans l’apparition d’une opposition en Roumanie.
Paul Goma, l’écrivain dissident roumain, adresse en janvier
1977 une lettre de soutien aux membres de la Carte 77. C’est le début
en Roumanie de « l’affaire Goma » qui va
provoquer une prise de conscience d’une partie de la population, ce
qui amènera l’apparition de l’actuelle opposition dans ce pays
[[Dossier Paul Goma, éditions Albatros]]. Les préoccupations
communes de l’opposition polonaise et tchécoslovaque vont
amener un renforcement de leurs liens. En août et en septembre
1978, deux rencontres ont lieu à la frontière
polono-tchécoslovaque entre des membres du comité
d’Autodéfense Sociale « KOR » et de la
Carte 77. Les polices tchèque et polonaise empêcheront
une troisième rencontre, et le porte-parole de la Carte,
Iaroslav Sabata, sera arrêté puis condamné
[[L’Express du 25 novembre 1978]]. Cela n’empêche pas les
rapports entre les deux mouvements. En février 1979, la Charte
77 publie « La Pologne et nous », un document
qui compare la situation de l’opposition dans les deux pays [[Le
Monde du 06/03/79]]. Quant au Comité d’Autodéfense
sociale « KOR », il a des correspondants en
Tchécoslovaquie qui font passer des informations dans son
Bulletin [[Narodowiec du 12/10/79]].
L’opposition
tchécoslovaque a donc déjà un certain nombre de
liens internationaux lorsque fin 1979 plusieurs militants du
VONS sont arrêtés et on apprend qu’ils passeront en
procès. Ces arrestations qui visent à
affaiblir l’opposition tchécoslovaque sont comprises dans les
Pays de l’Est (tout comme à l’Ouest
d’ailleurs) comme un raidissement de l’attitude du Kremlin vis à
vis de la contestation en URSS et dans ses
satellites. Aussi elles vont provoquer de nombreuses manifestations
de solidarité.
Le 5 juillet, 317
intellectuels catholiques polonais adressent une lettre au cardinal
Tomasek, archevêque de Prague, pour lui demander de prendre la
défense des « personnes injustement poursuivies »
en Tchécoslovaquie [[Libération du 31/09/79]]. Dans le
courant de ce même mois de juillet, une déclaration
commune de dissidents russes (groupe Helsinski de Moscou, commission
de travail sur la psychiatrie, Sakharov etc…) et polonais (le KSS
« KOR ») est publiée. Elle proteste
contre le procès de Prague, voulant le rapprochement des
peuples russe, polonais, tchèque et slovaque « malgré
la politique de leurs gouvernements » [[Rouge du
17/08/79]]. Le 20 août, une délégation du KSS
« KOR » se rend à l’ambassade de
Tchécoslovaquie à Varsovie pour y déposer une
liste de 60 personnes « injustement poursuivies ».
Elle n’est pas reçue, bien évidemment [[Libération
du 25/08/79]]. Ce même jour, Tomas Liska, Karel Soukup et Pavel
Nemec, tous trois membres de l’opposition tchécoslovaque, sont
arrêtés à Varsovie. Ils tentaient d’organiser une
grève de la faim avec le KSS « KOR »
pour protester contre l’emprisonnement des membres du VONS. Ils sont
ensuite expulsés vers leur pays [[Le Monde du 04/09/79,
Libération du 25/08/79]].
Une grève de la
faim à tout de même lieu à Varsovie dans l’église
Sainte-Croix du 4 au 10 octobre. Elle regroupe 15 membres
de l’opposition polonaise et elle a pour but de protester contre le
procès de Prague, et contre
l’arrestation de militants de l’opposition en Pologne. Le 7 octobre,
plus de 15000 tracts sont distribués à Varsovie pour
informer de cette action [[Narodowiec du 08/11/79, L’Alternative
n°2]]. Le KSS « KOR » apporte sa solidarité
aux inculpés en signant le 21 octobre à Prague même une
déclaration commune avec le VONS et la Charte 77 protestant
contre le procès qui s’ouvre le lendemain [[Libération
du 24/1079]]. Le même jour à Varsovie une quinzaine
d’étudiants de Cracovie sont arrêtés alors qu’ils
essayaient de manifester devant le Centre Culturel Tchécoslovaque
pour protester contre le procès des membres du VONS
[[L’Alternative n°2]].
L’annonce du verdict
particulièrement sévère va aussi provoquer de
nombreuses réactions. En Hongrie, en moins d’une semaine,
trois pétitions vont circuler. Le 25 octobre est publiée
la « lettre ouverte à Janos Kadar »
demandant au premier secrétaire hongrois d’intervenir en
faveur des membres du VONS récemment condamnés. Le 26
octobre apparaît la « lettre ouverte aux signataires
de la Charte 77 » se solidarisant avec les emprisonnés
et affirmant la nécessité de la lutte commune des
peuples de l’Europe de l’Est pour la démocratie. Le 29 octobre
commence à circuler un texte protestant contre le procès
de Prague et demandant la libération des emprisonnés
[[L’Alternative n°2]]. Le 11 novembre, lors de l’anniversaire de
l’indépendance en Pologne, plusieurs manifestations de
l’opposition ont lieu, les orateurs dans leurs discours expriment
entre autres choses leur solidarité avec les dissidents
tchécoslovaques qui viennent d’être condamnés
[[Le Monde du 13/11/79]]. À l’occasion de l’anniversaire des
massacres de 1970, d’autres manifestations se déroulent. Les
manifestants prient à cette occasion pour la mémoire
des victimes de 1970 mais aussi pour les membres du VONS et les
opposants polonais actuellement en prison [[Rouge du 21/12/79]].
Cette liste n’a pas la
prétention d’être complète, et il a dû y
avoir d’autres manifestations de solidarité avec les
oppositionnels tchécoslovaques. Cependant elle permet
plusieurs remarques :
Tout d’abord, il
faut noter la prédominance de l’opposition polonaise dans
cette solidarité internationale. C’est dû en partie au
fait que la Pologne et la Tchécoslovaquie sont deux nations
voisines très ouvertes l’une à l’autre, en partie au
fait que l’opposition polonaise est très forte et en partie au
fait que cette même opposition recherche depuis longtemps des
contacts et des actions communes avec des dissidents russes et elle
est en relation avec eux et avec la charte 77.
Ensuite on peut
remarquer la diversité des manifestations de solidarité
: déclaration « classiques » de
dissidents d’un pays (Hongrie) ou de plusieurs (Pologne-URSS,
Pologne-Tchécoslovaquie), grève de la faim, mots
d’ordre lors de manifestations, actions du type de celles menées
à l’Ouest : délégation à l’ambassade et
manifestation devant une institution tchécoslovaque (tout cela
en Pologne, ce qui prouve bien la force de son opposition).
Enfin on s’aperçoit
que cette solidarité internationale n’est qu’à ses
débuts et qu’elle est disproportionnée :
essentiellement le fait de la Pologne, avec la Hongrie et l’URSS pour
une faible part. La RDA, la Roumanie, la Bulgarie sont absentes. Le
cas de la Yougoslavie qui bénéficie d’une (très)
relative liberté de presse est à mettre à part.
Mais cette liste n’a pas la prétention d’être complète,
et peut-être que dans ces pays aussi il y a eu des
manifestations de solidarité.
De toute manière,
aussi imparfait qu’il soit encore, ce mouvement de solidarité
internationale entre les Pays de l’Est est un fait très
important. C’est une nouvelle mentalité de la dissidence qui
apparaît, beaucoup plus ouverte vers les autres pays et les
autres oppositions qui luttent contre le même régime. Il
semble s’éloigner le temps où pour seule réponse
à l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, 7 personnes
ont manifesté à Moscou. L’adage dit qu’il faut diviser
pour régner. Si le Kremlin et ses vassaux l’ont bien compris
et l’appliquent, l’opposition semble mettre en pratique un autre
enseignement de la sagesse populaire : l’union fait la force.
Vincent