La Presse Anarchiste

URSS, 200 millions de lumpen-prolétaires ?

Au risque de surprendre
cer­tains, je crois qu’il est temps de cess­er, à pro­pos de
l’URSS, de rabâch­er ces sco­laires « analy­ses de
class­es », usées par tous les guides infaillibles
du marx­isme. Si les ter­mes d’une analyse écon­o­miste sont
évi­dents (plus-val­ue, salari­at, etc…), celle-ci n’est que
par­cel­laire dans une société où le pou­voir n’est
pas une ques­tion d’argent.

À l’analyse économiste
du cli­vage dominants/dominés on pour­rait sub­stituer une
approche psy­cho-soci­ologique à par­tir des styles de vie des
sovié­tiques et la morale ambiante dans cette société.
On pour­rait alors bross­er ce cli­vage comme suit : 200 millions
de lumpen-pro­lé­tari­at con­tre 50 mil­lions de com­plices des
truands du Kremlin.

Éluci­dons
ce sché­ma provoquant :

On peut avancer sans
risque le chiffre de 50 mil­lions de privilégiés ;
on compte ne effet 17 mil­lions de com­mu­nistes et plus de 3 millions
de mil­i­taires, aux­quels il faut ajouter la foule des flics et des
mouchards attitrés, les cadres « sans parti »
respon­s­able dans la dis­tri­b­u­tion, enfin les bons stakhanovistes et
les pio­nniers « libres » de Sibérie. On
sait que cette classe n’est pas homogène et ne se dis­tingue de
la masse que par son accès aux faveurs ; celles-ci sont
de toutes sortes : accès aux mag­a­sins réservés,
aux écoles « biens » pour les gosses,
pis­ton dans les études, voy­ages à l’étranger…
Les mem­bres du PCUS et les vétérans de l’armée
se retrou­vent dans de petites coter­ies poli­tiques, ces gangs qui se
dis­putent le pou­voir à tous les niveaux et se purgent
régulière­ment les uns les autres… C’est encore parmi
ces gens que se recru­tent les dis­si­dents, ceux qui sont en vedette
chez nous du moins.

Poli­tique­ment, les
mass­es ne sont nulle part ; l’église ne contrôle
plus que les paysans agés. Alors quelle idéologie,
quelle morale sociale tient ces peu­ples ? Si l’idéologie
offi­cielle sem­ble accrocher dans les com­porte­ments de foule, à
tra­vers le lan­gage quo­ti­di­en (« Citoyens ! »,
« Cama­rades ! »), on s’aperçoit
bien vite que la ques­tion de la survie prime sur toutes les autres
considérations.

À son stade de
développe­ment la société crée des besoins
qu’elle reste inca­pable de sat­is­faire. Tous les soviétiques
ont une soif indi­ci­ble de con­som­ma­tion. Comme partout la classe
dom­i­nante donne l’ex­em­ple ; le pou­voir ne sig­ni­fie plus la
gloire mais le con­fort. Les arriv­istes n’ont pas le moin­dre scrupule,
à l’in­star de nos pro­mo­teurs… On ne saurait longtemps
deman­der aux dom­inés d’en avoir devant la gabe­gie et la
cor­rup­tion qui se répand désor­mais (surtout dans le sud
et l’Asie cen­trale). Cha­cun spécule donc à son
échelle : sur les pro­duits de son jardin, sur l’alcool,
les vête­ments occi­den­taux et, bien sur, les devis­es. Si le
pou­voir amal­game le délit d’opin­ion à celui de droit
com­mun, il faut bien dire que la résis­tance pop­u­laire passe
avant tout par le traf­ic et le sab­o­tage. Par ailleurs, les licenciés
pour opin­ions doivent tra­vailler au noir et faire du marché
noir pour ne pas être sans ressources (ce qui est condamné
comme par­a­sitisme). Beau­coup se mari­ent dans le sim­ple but d’avoir un
apparte­ment… ce qui explique le record de divorces. La dissidence
est d’abord MARGINALITÉ
par rap­port aux con­cepts et à la morale officielle ! ! !
chez nos chers dis­si­dents, elle va dans le sens d’un retour aux
valeurs bour­geois­es ou judéo-chré­ti­ennes ; dans le
peu­ple ce n’est encore qu’une réac­tion d’égoïsme
sauvage, sans perte pour autant de la con­science collective.

Deux facteurs
inter­vi­en­nent encore dans la dégra­da­tion des moeurs (de
valeurs bour­geois­es s’en­tend ; Marx et Lénine ne
pou­vaient pas engen­dr­er d’autres sociétés vu leur
étroitesse d’e­sprit, con­cep­tion de la famille en
particulier) : 

La crim­i­nal­i­sa­tion de
toute la société à tra­vers les purges. Bientôt
un sovié­tique sur qua­tre aura con­nu l’u­nivers des camps et des
pris­ons ; chaque famille ou presque, a eu son condamné !
L’emprisonnement est devenu chose si banale qu’on n’en a même
plus honte. Dans les camps à « régime
nor­mal » sont mélangés assas­sins, petits
drogués, faus­saires et trafi­quants avec ceux qui « l’ouvrent »
ou chez qui on a trou­vé des textes pro­hibés… tous y
fument du thé ou de la « makhor­ka » qui
« allège le coeur ». un amal­game qui
donne un sens de la com­mu­nauté à ces éternels
sus­pects que sont tous les citoyens dans ce pays.

Les deux guerres
mon­di­ales, la guerre civile, la famine et les grandes purges
stal­in­i­ennes ont fait des mil­liers d’or­phe­lins, placés sous la
dépen­dance directe des com­mis­saires et soumis à une vie
col­lec­tive de type spar­ti­ate, après avoir con­sti­tué de
véri­ta­bles ban­des, dan­gereuses pour l’or­dre du monde des
adultes. Il est recon­nu offi­cielle­ment que très peu d’entre
eux se sont inté­grés depuis, rares sont ceux qui
fondent une famille, beau­coup vagabondent.

Ajou­tons encore que 40%
de la pop­u­la­tion a quit­té les cam­pagnes pour des villes
sou­vent nou­velles, tou­jours énormes. Quand les tradition
paysannes s’estom­pent, celles du mou­ve­ment ouvri­er, muselé
depuis 60 ans, ne peu­vent pren­dre la relève. Évidem­ment
la plus grande par­tie de la jeunesse et des étu­di­ants intègre
cette société de « sans foi ni loi » ;
les trafi­quants les plus doués y ont la pop­u­lar­ité de
Man­drin. Toutes ces car­ac­téris­tiques d’im­moral­isme définissent
bien tra­di­tion­nelle­ment la lumpen ! N’ou­blions pas qu’il était
cher à Bak­ou­nine qui le voy­ait gros de l’or­age révolutionnaire
le plus vio­lent et le plus radical

Dierzky

  À Moscou, on raconte :
« Pourquoi l’URSS est-elle l’E­tat le plus riche du monde ?
Parce que depuis 60 ans que ses citoyens le volent, il y a encore
quelque chose à voler »…


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