La Presse Anarchiste

Amnistie !

Qu’est-il deve­nu ce
grand mot dont ont reten­ti tous les chaos qui ont secoué
l’his­toire ? Ce mot qui fait table rase des haines passées,
qui ouvre les fron­tières, qui vide les geôles et qui
donne un sens humain, réel, véri­table aux changements
sociaux pro­cla­més du haut des tribunes.

Si scep­tique que l’on
puisse être devant un ave­nir par­ti­cu­liè­re­ment lourd, si
bla­sé que l’on soit des gou­ver­ne­ments pas­sés, présents
et à venir, on était en droit de pen­ser qu’une amnistie
allait inter­ve­nir, que les empri­son­nés des Dala­dier, Hit­ler et
Pétain avaient payé d’as­sez d’an­nées de cachot
leur crime d’être res­tés fidèles à leur
pensée.

Car — et c’est là
un trait de l’im­po­tente, omni­po­tente et indécrottable
admi­nis­tra­tion, l’on pour­rait comp­ter par­mi ces pri­son­niers des
hommes condam­nés pour rébel­lion contre Vichy et Hitler.

Ain­si, le gouvernement
change et le geô­lier reste en place ; quant au détenu,
il ne connaî­tra la nou­velle liber­té sur­ve­nue que par les
échos qui fran­chi­ront les grilles de sa prison.

On a tout juste pris une
vague mesure tou­chant ceux qui ont ren­du des ser­vices de la
Résis­tance. For­mule impré­cise et facile, porte ouverte
aux cas d’ex­cep­tion comme à la plus criante inégalité.

Non, ce n’est pas cela
l’am­nis­tie, ce n’est pas le passe-droit pour cer­tains hommes auxquels
il fal­lait refaire une virginité.

L’am­nis­tie, c’est la
lumière pour tous, pauvre ou riche, incon­nu ou célèbre,
ter­ras­sier ou ministre.

Amnis­tie totale, sans
réserve, sans res­tric­tions, pour les insou­mis comme pour les
révo­lu­tion­naires, pour les objec­teurs de conscience comme pour
les cama­rades étran­gers. Amnis­tie pour tous

Et, pour ceux dont le
patrio­tisme est cha­touilleux, et qui pro­tes­te­raient contre une telle
mesure de clé­mence, qu’ils songent aux magnats et aux hauts
digni­taires, cou­pables des pires com­pro­mis­sions avec l’oc­cu­pant et
qui sont tou­jours en place ! Puis­qu’il existe tant d’indulgence
pour ceux-ci, ne pour­rait-il exis­ter un peu de jus­tice pour ceux-là ?

Ce n’est que lorsque ce
grand geste, qui délivre le pré­sent du passé,
aura été accom­pli que cer­tains mots dévalorisés
pour­ront reprendre cours.

La Presse Anarchiste