La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

Impres­sions de
Music-Hall

Dans bien des cas, les
gou­ver­nés ont tort de se plaindre des gou­ver­ne­ments, car ils
font ce qu’ils peuvent pour le bien public. Avec une continuité
de vue qui ne se dément pas depuis deux mille ans. A cette
époque, les Romains, fati­gués de faire la guerre aux
Bar­bares, récla­maient à César du pain et des
jeux de cirque. Et ça n’est certes pas une aspi­ra­tion si bête
que de vou­loir cas­ser la croûte et de se dis­traire un brin.

C’est pourquoi,
s’ins­pi­rant de la sagesse antique, les diri­geants actuels ont fait un
gros effort.

Pour le pain, c’est
réso­lu. On la saute ! Et avec l’es­poir de sauter
longtemps.

Quant au spectacle,
c’est du soi­gné. Mer­veilleux ! Et pour rigo­ler, il y a de
quoi rigo­ler ; on ne sait pas à quel moment ; mais
tout de même pour du bur­lesque, c’est du bur­lesque. Ça
com­mence d’a­bord par un drôle de pacte de non agression ;
puis ça conti­nue par une drôle de guerre ; une
drôle de défaite et des inter­mèdes nombreux.
« Maré­chal, nous voilà ! »
« Mon­toire, me voici ! »

De là, on passe à
la comé­die ita­lienne. Le rideau se lève sur un
poli­chi­nelle toni­truant. « Pour Hit­ler ! une,
deux ! » Le coup du cro­chet, crac, ça y est,
kid­nap­pé l’in­di­vi­du. « Contre Hit­ler ! une,
deux ! »

Et le spectacle
conti­nue, tou­jours drôle.

Entrez voir, mesdames
et messieurs !

Vous ver­rez la Grèce
libé­rée. Et le Grand Turc ! « Vous
n’a­vez rien à décla­rer ? » « Si,
la guerre ! » « Mais je ne la déclare
que pour avoir la paix ! » La Pal­lice avait du bon.

Allons, entrez !
Entrez dans le camp des démo­cra­ties. Voi­ci l’A­ra­bie Saoudite,
le Liban, la Syrie Et l’E­gypte en guerre défen­sive. Aux
der­nières nou­velles, l’Al­le­magne déclare la guerre à
l’Allemagne !

Prestidigitation,
illu­sion, tout est très bien. C’est du grand art.

Mais de grâce, une
petit entr’acte, s’il vous plaît, mes­sieurs de la scène
diplo­ma­tique. Car, à force d’ordres du jour, de contre-ordres
de nuit, les figu­rants du théâtre des opérations
n’y com­pren­dront plus rien. S’i­ma­gi­nant peut-être qu’on joue à
pile ou face, ou qu’on doit cher­cher l’ad­ver­saire à
Colin-Maillard, ils pour­raient bien finir par la trou­ver moins
drôle !

Errare huma­num est

Un sous-marin américain
dans le Paci­fique tor­pille deux navires de guerre également
amé­ri­cains, dont un de 14.250 tonnes. Une esca­drille de
bom­bar­diers anglo-saxons bom­barde Calais, en se figu­rant que c’est
Dunkerque.

En échange, on
n’an­nonce aucune erreur dans le ration­ne­ment du mois de mars… Ceci
com­pense cela.

Qui ne tra­vaille pas
ne mange pas…

Le vieil Hugo, dans
« Notre-Dame de Paris », nous en a fait toute
une tirade. Quel est le prince de la plume capable de nous expliquer
la for­mule : «  ne mange pas… ne tra­vaille pas. » ?

Parce que, entre nous
soit dit, il n’y a que la « machine » humaine
qui soit capable de pro­duire sans être alimentée.
Essayez donc de mettre en marche une loco­mo­tive sans gar­nir la
chau­dière, et vous m’en direz des nouvelles !

Liber­té de la
presse

« La Croix »,
qui a paru pen­dant toute l’oc­cu­pa­tion, repa­raît. Il est vrai
que, dans les hautes sphères, le vin de messe coule à
pleins bords. « La Dépêche »,
nou­veau jour­nal, regrou­pant les radi­caux pel­le­ta­nistes, vient d’être
créé, au moment où « Le Monde »
(4 pages) annonce que, dans un mois, pour le papier, le problème
sera aus­si « cru­cial » que pour le charbon.

En échange,
« L’Hu­ma » pro­teste parce que « La
Voix de l’Est » n’est pas auto­ri­sée à
paraître.

Nous pour­rions peut-être
en citer d’autres…

Décou­verte ou
aveux… spontanés ?

A pro­pos de la
« répar­ti­tion des biens entre les classes
sociales » et sous le titre : « Dilemmes
éco­no­miques », nous lisons dans un quotidien :

« Pen­dant les
trois pre­miers quarts du dix-neu­vième siècle,
l’An­gle­terre d’a­bord, la France ensuite, ont affa­mé leur
classe ouvrière ; seule, une gigan­tesque exploi­ta­tion du
tra­vail a per­mis l’ac­cu­mu­la­tion des capi­taux qui ont construit les
che­mins de fer, créé la grande indus­trie de l’Europe
occi­den­tale. Et si, plus tard, la condi­tion des masses a pu être
rele­vée, c’est grâce à l’ex­ten­sion de la
pro­duc­tion, fruit de cet équi­pe­ment for­mi­dable. Il fal­lait que
deux géné­ra­tions d’ou­vriers fussent réduites à
la misère (à quelle misère, Engels et Villermé
nous l’ont conté !) avant qu’un bond pût être
fait hors du cercle infer­nal de la loi d’ai­rain des salaires.

Est-ce dans
l’« Huma­ni­té », dans le « Populaire »,
dans la « Vie Ouvrière », dans
« Liber­tés » ou dans « Combats »,
que nous lisons ces lignes qui, mal­gré leur vérité
his­to­rique, auraient, dans ces jour­naux, un petit air lieu-commun ?
Non, c’est dans le grave « Le Monde » du 15
février.

La Presse Anarchiste