La Presse Anarchiste

Eugène Varlin

Par­mi toutes les figures
qui illus­trèrent le mou­ve­ment d’émancipation
pro­lé­tari­enne, en est-il une plus pure que celle d’Eugène
Varlin ?

Nos adver­saires
eux-mêmes le recon­nais­sent. Aus­si avons-nous pen­sé, bien
que l’an­niver­saire de sa mort héroïque ne tombe que dans
trois mois, de nous entretenir de lui en cette sec­onde quin­zaine de
mars qui ouvre la série des anniver­saires de la COMMUNE. Cet
« oublié », cet incon­nu « dont
la classe ouvrière ignore jusqu’au nom », ain­si que
le déplo­rait la « Vie Ouvrière »
de Monat­te en 1913, ne l’est plus tout à fait. Cependant,
gageons que les quelques lignes qui suiv­ent le révéleront
à cer­tains, le fer­ont mieux con­naître à d’autres
et, dans leur sécher­esse biographique, don­neront à tous
le sen­ti­ment de l’im­por­tance de celui dont Lis­sagaray a écrit
dans son « His­toire de la Com­mune de 1871 » :
« Ce mort-là est tout aux ouvriers ! »

Il est né le 5
octo­bre 1839, à Claye-sur-Marne, où son père
était ouvri­er agri­cole. Il vient à Paris à 13
ans et, d’abord chez sen oncle, puis dans d’autres maisons, il
apprend le méti­er de relieur, et à 25 ans il est
con­tremaître. (Cette pré­ci­sion pour mon­tr­er sa maîtrise
dans son art.) Puis, pour mieux men­er de front son activité
syn­di­cale et poli­tique, il tra­vaillera chez lui. Mais, parallèlement
à son appren­tis­sage, il s’in­stru­it. Il suit les cours de
l’As­so­ci­a­tion philotech­nique : cours de français, de
géométrie, de compt­abil­ité, et reçoit
prix et men­tion. Il pren­dra même avec son frère, des
leçons de latin, puis étudiera le droit, surtout la
par­tie qui con­cerne les sociétés civiles.

Et, bien­tôt,
s’é­tant ain­si don­né des bases solides, il prend une
part active à la lutte sociale qui, sous le Sec­ond Empire,
don­na la forme de l’ac­tion ouvrière mod­erne. Voici les dates
prin­ci­pales et les faits essen­tiels de sa vie de mil­i­tant. En 1857,
il est un des fon­da­teurs de la Société des relieurs. Il
a 18 ans. En 1861, il est de la com­mis­sion qui désigne les
délégués ouvri­ers relieurs qui par­ticiper­ont à
l’Ex­po­si­tion inter­na­tionale de Lon­dres et est un des rédacteurs
du rap­port au retour de la délé­ga­tion, rap­port dans
lequel on trou­ve cette phrase essen­tielle : « Ce dont
nos cama­rades doivent bien se pénétr­er, c’est qu’ils
n’ob­tien­dront jamais rien tant qu’ils s’ab­stien­dront à
demeur­er isolés. » En 1864, il organ­ise la grève
des relieurs ; en 1865, mem­bre de la Première
Inter­na­tionale, il est un des qua­tre délégués
français à la Con­férence de Lon­dres ; en
1867, il devient mem­bre du bureau de la sec­tion française de
l’In­ter­na­tionale et, la même année, il est l’un des cinq
délégués a l’Ex­po­si­tion uni­verselle. C’est lui
qui, en 1868, pour­suivi dans le procès fait aux mem­bres de la
deux­ième com­mis­sion de l’In­ter­na­tionale, présente la
défense des inculpés. Déta­chons-en ce court
pas­sage : « Une classe qui a été
l’op­primée dans toutes les épo­ques et sous tous les
règnes, la CLASSE DU TRAVAIL, pré­tend apporter un
élé­ment régénéra­teur à la
société. Lorsqu’une classe a per­du la supériorité
morale qui l’a faite dom­i­nante, elle doit se hâter de
s’ef­fac­er. » En 1869, il est le secré­taire et la
cheville ouvrière de la Cham­bre fédérale des
Sociétés ouvrières de Paris, première
« Union des Syn­di­cats ». Et, enfin, de 1869 à
1870, tant pour l’In­ter­na­tionale que pour la Cham­bre fédérale
et la Société des relieurs, il ne cesse de se dépenser
sans compter, en voy­ages, en démarch­es, en cor­re­spon­dance. Il
est con­damné à nou­veau, au print­emps de 1870, à
un an de prison et se réfugie à Brux­elles. La guerre
éclate. Il ren­tre en France et s’en­gage dans la Garde
nationale. Il est élu à l’Assem­blée Nationale,
fait par­tie du Comité cen­tral, puis de la Com­mune, qui le
nomme, avec Jourde, délégué aux Finances. Il
s’oc­cu­pera aus­si du rav­i­taille­ment. Puis c’est la Semaine sanglante.
Il ira de bar­ri­cade en bar­ri­cade, en com­bat­tant, jusqu’à ce
banc de la place Cadet où, épuisé, il s’assied,
le dimanche 28 mai 1871. Recon­nu par un prêtre qui le dénonce,
il est arrêté et, après une marche épouvantable,
le long de la Butte Mont­martre, au milieu des out­rages, des huées
et des cris de mort d’une foule abjecte, il est con­duit rue des
Rosiers et fusil­lé. Le lieu­tenant Sicre, qui com­mande le
pelo­ton, lui déro­ba sa mon­tre et les « exécuteurs »
se partagèrent les 248 francs qui con­sti­tu­aient la for­tune de
celui qui, délégué aux Finances, avait manié,
pen­dant les trois mois de la Com­mune, des sommes considérables.

Ces notes, dans leur
sécher­esse, suff­isent pour situer cet homme qui, comme
l’écrivirent plusieurs de ses biographes, fut : LE
MILITANT.

Bib­li­ogra­phie sommaire.
— E.-E. Fri­bourg : « L’As­so­ci­a­tion internationale
des Tra­vailleurs », Paris, 1871 et « Les Procès
de l’In­ter­na­tionale », Paris ; Lissagaray :
« His­toire de la Com­mune de 1871 », Paris,
Librairie du Tra­vail (nou­velle édi­tion) ; « Eugène
Var­lin », numéro spé­cial de « La
Vie Ouvrière », 5 mai 1913 ; Edouard
Dol­léans : « Eugène Varlin »
et « His­toire du mou­ve­ment ouvri­er », tome I,
Paris ; Mau­rice Foulon : « Eugène Varlin,
relieur et mem­bre de la Com­mune », Cler­mont-Fer­rand, 1934.


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