La Presse Anarchiste

Réformes de Structure, ou institutions nouvelles ? Nationalisations ou Socialisations ?

Consé­quences de
la guerre dans l’é­vo­lu­tion capi­ta­liste américaine

La guerre a pro­voque un
accrois­se­ment inten­sif de la pro­duc­tion. M. Cal­len­der, du « New
York Times », apporte les pré­ci­sions suivantes :

« La
pro­duc­tion de guerre, en 1944, est en hausse de 80 pour cent sur
celle de 43. Les plus forts accrois­se­ments sont rela­tifs à la
sidé­rur­gie, pas­sée de l’in­dice 100 (1938 – 39) à
255 en 44, et à l’in­dus­trie chi­mique, pas­sée de 100 à
460. » 

Cela ne s’est pas fait
sans un chan­ge­ment d’ap­pré­cia­tion des faits économiques.
Nulle part, plus qu’aux U.S.A., les trusts ont de l’in­fluence, et ce,
mal­gré les lois Sher­mann et Clet­ton, dites « lois
anti-trusts ». M. Hen­ry Wal­lace a bien pu stig­ma­ti­ser, le
11 sep­tembre 1943, à Chi­ca­go, le « supergouvernement
secret des trusts », qui a usur­pé la souveraineté
du peuple. Il pou­vait bien ajou­ter que les car­tels internationaux
étranglent la pro­duc­tion, usent de manoeuvres déloyales
à l’é­gard de leurs adver­saires et pra­tiquent des
méthodes qui conduisent à la guerre. En fin de compte,
les trusts ont eu la dépouille (poli­tique) du vice-président,
et l’ont évincé.

M. A. Johnston,
pré­sident de la Chambre de Com­merce des U.S.A., pou­vait bien
don­ner à la délé­ga­tion sovié­tique qui
l’ac­cueillit à Mos­cou sa défi­ni­tion du fas­cisme, donc
de l’antifascisme :

« Un fasciste
pense que les indus­tries pri­vées d’un pays doivent être
confon­dues dans un car­tel mono­po­li­sé sous la direc­tion d’un
« Füh­rer ». Mais cela, c’est exac­te­ment ce
qu’un indus­triel amé­ri­cain nor­mal ne pense pas. »

Il n’empêche qu’un
impor­tant sec­teur de la pro­duc­tion est actuel­le­ment direc­te­ment sous
le contrôle de l’E­tat, usines construites pour accroître
la pro­duc­tion et dont voi­ci les prin­ci­pales : 534 usines
d’a­via­tion, moteurs et pièces déta­chées, 84
d’a­lu­mi­nium, 35 de raf­fi­ne­ries de pétrole, 116 de
machines-outils, 164 métal­lur­giques, 60 de caoutchouc
syn­thé­tique, etc,. Etc.

Il y aura donc, demain,
un pro­blème des natio­na­li­sa­tions aux U.S.A., à moins
que les indus­tries pri­vées ne l’emportent sur l’État
et ne se fassent attri­buer ces usines.

D’autre part, les
comi­tés d’en­tre­prises, obli­ga­toires depuis la loi Wag­ner de
1943, et consti­tués uni­que­ment en vue d’aug­men­ter la
pro­duc­tion, ne dési­re­ront-ils pas sub­sis­ter et étendre
leur influence ? Il est dif­fi­cile de répondre ;
néan­moins, les U.S.A. auront à faire face à
d’im­por­tants pro­blèmes éco­no­miques après la
guerre. Il leur fau­dra pour­voir à 56 mil­lions d’emplois (10
mil­lions de plus qu’en 1940), plus 700.000 annuel­le­ment, pour tenir
compte de l’aug­men­ta­tion de la popu­la­tion laborieuse.

En Angleterre

Les comités
d’en­tre­prises existent éga­le­ment en Angle­terre. Ils avaient
déjà vu le jour (Works Com­mit­tees) au cours de la
guerre pré­cé­dente, mais ne sub­sis­tèrent pas.

Les « Joint
Pro­duc­tion Com­mit­tees » actuels pro­viennent de deux
accords : l’un du 26 février 1942, pour les usines
d’État ;
l’autre, du 8 mars 42, pour les usines pri­vées, ceci pour les
usines de plus de 150 ouvriers.

Mais là aus­si ils
n’ont qu’un rôle d’ac­cé­lé­ra­tion de la production.
L’ac­crois­se­ment du ren­de­ment est leur pré­oc­cu­pa­tion dominante.

En France

C’est sur le vu de ces
deux expé­riences que sont nés, à Alger d’abord
(22 mai 1944), puis à Paris (25 jan­vier 1945), les comités
mixtes à la pro­duc­tion. Leur champ d’ac­tion est le même
que ceux des U.S.A. et de l’An­gle­terre, en ce qui concerne
l’Aé­ro­nau­tique (Alger) et les arse­naux de la Marine (Paris).

« Le
per­son­nel est invi­té à col­la­bo­rer effi­ca­ce­ment à
ces dif­fé­rents comi­tés par un sys­tème de
récom­penses et d’a­van­ce­ment, les bonnes sug­ges­tions étant,
d’autre part, por­tées, par voie d’af­fi­chage, à la
connais­sance de l’en­semble du per­son­nel. » (« Le
Peuple ».)

Néan­moins, on
doit recon­naître qu’un effort plus sérieux (?) a été
fait en France, avec le pro­jet Parodi.

Les comités
d’en­tre­prises pré­vus par ce pro­jet sont délibératifs,
pour les ques­tions sociales, et seule­ment consul­ta­tifs pour les
ques­tions professionnelles.

Ain­si, on reconnaît
que ce comi­té est « capable » de gérer
les fonds sociaux, mais on lui dénie la même capacité
en matière corporative !

Depuis 1918, la C.G.T.
récla­mait des comi­tés de « gestion »,
avec par­ti­ci­pa­tion aux béné­fices. On lui offre des
comi­tés consul­ta­tifs, et elle s’en satisfait !

Ain­si, par­tout, dans ces
trois pays, le même leit­mo­tiv revient.

Aug­men­ter la production,
recru­ter des cadres que l’on puisse extraire de la classe ouvrière,
sans espoir de retour.

Mais, patience. Juin 36
ne s’est pas fait « sur l’ordre » des bonzes ;
le mou­ve­ment est sor­ti spon­ta­né­ment de l’ac­tion des masses.
J’ai bon espoir que là encore les tra­vailleurs sauront
dépas­ser, dans les faits, les ins­ti­tu­tions juri­diques dont on
veut les ligoter.

Mais, en cas de
dépas­se­ment révo­lu­tion­naire de tous ces projets
réfor­mistes, dans quel sens doit se faire l’action ?

Natio­na­li­sa­tions ou
Socialisations

La solu­tion ne réside
pas dans la natio­na­li­sa­tion d’un sec­teur par­tiel de l’économie,
ce que l’on réclame actuel­le­ment. Elle ne réside pas
non plus dans une natio­na­li­sa­tion totale. Car, enfin, rem­pla­cer les
pro­prié­taires natio­naux par des nations propriétaires
ne pour­ra, en aucun cas, sup­pri­mer les causes de guerre qui sont la
lutte pour les matières pre­mières et la lutte pour les
mar­chés. Car, actuel­le­ment, tous les pro­blèmes sont à
l’é­chelle mondiale.

Mieux, à quoi
peut ser­vir à la classe ouvrière de remettre entre les
mains d’un État, contrô­lé par la finance et
l’in­dus­trie, la finance et l’in­dus­trie du pays ? Cela serait un
simple paravent, com­mode pour conti­nuer le petit jeu en honneur.
Comme il n’y aurait pas réqui­si­tion, on conti­nue­rait à
payer des divi­dendes (en cas de béné­fices). Et, en cas
de pertes, l’É­tat sub­vien­drait aux besoins, l’État,
c’est-à-dire les contri­buables, nous.

Il faut exproprier
pure­ment et sim­ple­ment tous les pro­prié­taires et actionnaires.
La socié­té machi­niste actuelle est en mesure d’allouer
à cha­cun, à par­tir de 50 ans par exemple, une retraite
sub­stan­tielle. Ne pâti­ront de cette mesure que ceux qui, moins
âgés, ne tra­vaillent pas du fait de leur naissance.

Ne pas remettre la
ges­tion aux mains d’un quel­conque admi­nis­tra­teur-séquestre de
l’É­tat, homme de paille des ex-pro­prié­taires, mais aux
tech­ni­ciens et ouvriers vivant de cette entreprise.

Mais il est cer­tain que
de telles ques­tions demandent à être approfondies
sérieu­se­ment, et je me pro­pose d’y reve­nir par la suite, ainsi
que sur la recherche du moteur des acti­vi­tés humaines :
l’in­té­rêt col­lec­tif contre le profit.

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