La Presse Anarchiste

Lettre d’Albert Sold

Dans la revue « Fédé­ra­tion » de mai-juin, M. Albert Sold, ana­ly­sant le livre de Brup­ba­cher, « Socia­lisme et Liber­té », regret­tait, à pro­pos d’une note ter­mi­no­lo­gique rec­ti­fiant l’adjectif « méca­niste » appli­qué par Br. à la pen­sée de Marx, « l’insistance du tra­duc­teur à pré­ser­ver les ins­tru­ments de la jon­gle­rie mar­xiste » [[Pour plus de clar­té, voi­ci la note en ques­tion : « Il nous faut bien lais­ser le mot (méca­niste) tel que l’emploie Brup­ba­cher, bien que ce terme… ne cor­res­ponde guère à la pen­sée phi­lo­so­phique d’un hégé­lien comme Marx. L’on sait de reste que le tout jeune Marx repro­chait pré­ci­sé­ment à la « phi­lo­so­phie cri­tique » de B. Bauer, son absence de prin­cipe d’action, de même que sa thèse sur Démo­crite et Epi­cure fait un mérite à ce der­nier d’avoir com­bat­tu le méca­nisme pur du sys­tème de Démo­crite. »]]. Dési­reux de ne pas lais­ser de mal­en­ten­du sur ce qui n’avait été, de ma part, que simple sou­ci de pro­prié­té dans les termes, j’écrivis à M. Albert Sold quelques mots d’explication, accom­pa­gnés de notre n° 3 – 4, en grande par­tie consa­cré à la cri­tique, pré­ci­sé­ment, de la « jon­gle­rie » en ques­tion, com­mu­né­ment dénom­mée dia­lec­tique. Bien m’en avait pris, car je viens de rece­voir de mon cri­tique et cor­res­pon­dant une lettre qui pose si bien tant de pro­blèmes cen­traux que je m’en vou­drais de ne pas en repro­duire ci-des­sous l’essentiel. – Bien enten­du, le fait de repro­duire cette lettre ne signi­fie pas que j’en approuve tous les termes, entre autres la pré­oc­cu­pa­tion qui s’y exprime de poser avant tout le pro­blème reli­gieux. D’ailleurs, dis­tinc­tion ne veut pas dire polé­mique. De nos amis – Silone ou Jean Rou­nault, par exemple – sont cer­tai­ne­ment très proches de la pen­sée de M. Sold, et n’en sont pas moins nos amis. Et de plus, si, pour ma part, je refuse de pen­ser en termes d’ontologie ce qui à mes yeux doit être conçu et sen­ti en termes de « valeurs », l’ontologisme de ceux de mes amis qui y ont ou tendent à y avoir recours n’empêche en rien nos valeurs d’être com­munes. – Et ce qui vaut pour ces grandes ques­tions n’est pas moins valable dans les détails : inutile de dire, par exemple, que je ne prends pas davan­tage à mon compte les quelques lignes où M. Sold met notre ami Camus un peu vive­ment en cause. Camus, j’en suis sûr, sera le pre­mier à en sourire.

« Je com­prends fort bien votre dis­tinc­tion [[Dans ma lettre. (S)]] entre Démo­crite et Héra­clite. Elle est en soi juste et vraie. C’est l’utilisation qu’en fait le mar­xisme qui n’est plus vraie. Je joins ici un ancien article sur ce thème [[« Les mys­tères de la dia­lec­tique hégé­lo-mar­xiste », dans « la Répu­blique moderne ».]]… et vous ver­rez pour­quoi l’apparition de la dis­tinc­tion entre « méca­nisme » et « dia­lec­tique » me sem­bla inquié­tante. Bien enten­du, en ce qui vous concerne, « Témoins », par les conclu­sions de Madame Aebi, me montre qu’il n’en est rien. Mais je dois avouer (est-ce une simple impres­sion sub­jec­tive ?) qu’à la lec­ture de votre livre, et des pré­faces, j’ai eu cette sen­sa­tion fâcheuse que l’on res­sent auprès de tous ces cri­tiques de Marx qui, sitôt ter­mi­née la mise en accu­sa­tion, opèrent un brusque recul « dia­lec­tique » sur la « plate-forme » qu’ils pré­tendent aban­don­ner. Vous me direz qu’il faut dis­tin­guer entre le « sys­tème » et la « méthode ». Je l’ai cru. Mais est-ce pos­sible ? Est-ce que le sys­tème est un simple pla­cage ? Ne fait-il pas corps avec la méthode au point que la répu­dia­tion de l’un doive néces­sai­re­ment por­ter atteinte à l’autre ? Que reste-t-il du mar­xisme quand on a confron­té ses « concepts réa­listes » au réel concret ? Avez-vous lu le livre de Ber­trand-Ser­ret sur le « mythe des classes » ? Qu’avez-vous à répondre ? Votre réponse importe. Car il y va de l’orientation future de quelques gens qui, peu nom­breux peut-être, et dans un pays for­te­ment abru­ti, conti­nuent quand même à s’interroger.

« Ce que je vais dire main­te­nant, je ne sais si cela doit vous concer­ner, mais je sais bien que cela concerne beau­coup de socia­listes en rup­ture d’orthodoxie hégé­lo-mar­xiste. Même des liber­taires. Car il faut bien que, par quelque manière, il y ait un com­mun déno­mi­na­teur entre l’anarchisme et le mar­xisme, entre Bakou­nine et Marx ; de même qu’il y a un com­mun déno­mi­na­teur entre toutes les « gauches ». Et le « sys­tème » que vous tâchez d’extirper du mar­xisme, est-il absent du bakou­nisme ? N’y a‑t-il pas, dans le socia­lisme en géné­ral, fût-il le plus flou, une ossa­ture com­mune que je nom­me­rai « téléo­lo­gie tem­po­relle » ou « mes­sia­nisme sécu­lier » ou « mytho­lo­gie sociale » ou « sur­na­tu­ra­lisme social emprun­tant les images de sa fable à l’ingrate socio­lo­gie » ? La mytho­lo­gie du pro­grès, par exemple ? N’est-ce pas elle, qui par ses anti­no­mies en spi­rale « fina­lise » la vieille dia­lec­tique d’Héraclite ? N’est-ce pas elle qui fait la grande dif­fé­rence entre la dia­lec­tique de Prou­dhon et celle de Marx, en intro­dui­sant le troi­sième terme « pro­gres­siste » ? Il y a, de la sorte, des « socia­lismes », voire des « radi­caux-socia­lismes » qui ont de bénins airs libé­raux, liber­taires, mais dont la struc­ture doc­tri­nale mythique intro­duit dans la pen­sée et dans l’action les très contrai­gnantes ser­vi­tudes de la pen­sée et de l’action reli­gieuses. Et dès lors, à quoi cela sert-il de se dire libé­ral, liber­taire ? Quoi qu’on fasse, dans ce cas, l’action n’ira pas vers le but. C’est fort com­mode. On ras­semble des masses vers le but social, libé­ral, etc., mais la doc­trine étant essen­tiel­le­ment inapte à conduire au but, toutes les exploi­ta­tions éhon­tées de la masse deviennent possibles !

« Il est fort juste d’extirper ce pro­gres­sisme hégé­lien au moyen duquel Marx a fait de sa doc­trine un suc­cé­da­né de la reli­gion, apte à ras­sem­bler les masses vers le sublime but sans les y conduire (Marx n’en avait pas conscience, ni Lénine : mais Sta­line l’a bien com­pris !), mais ce n’est qu’un ali­bi si, par une ana­lyse impla­cable, vous ne tra­quez pas dans les théo­ries sociales toutes les formes camou­flées de la divi­ni­té. Et il y en a ! C’est, en fin de compte, l’être mes­sia­nique de ces doc­trines qu’il faut extir­per ! Toutes ces doc­trines grouillent de pro­jec­tions sub­jec­ti­vistes, d’entités socio­lo­giques divi­ni­sées, de pré­ten­dues « réa­li­tés », sophis­ti­quées en concepts mytho­lo­giques et réa­listes… Un super-athéisme s’impose dans ce domaine, une confron­ta­tion de ce sur­na­tu­ra­lisme social au natu­ra­lisme social. Est-ce que Brup­ba­cher, aus­si loin qu’il ait été dans son auto-libé­ra­tion (qui est aus­si une désa­lié­na­tion du socia­lisme), est-ce que Brup­ba­cher est allé jusqu’à ce retrait total de soi, jusqu’à cette abné­ga­tion spi­ri­tuelle inté­grale, jusqu’à ce sacri­fice du moi et des pro­jec­tions du moi, tel­le­ment radi­cal qu’il en devien­drait inhu­main si… (voir plus bas !). A‑t-il envi­sa­gé ce super-athéisme, par le moyen duquel, non content de nier le pro­vi­den­tia­lisme du style Bos­suet (ce qui est en somme facile), on se met en état de débus­quer tous les autres pro­vi­den­tia­lismes laïcs, ratio­na­li­sés, naturalisés ?

« Voi­là sur­tout ce que je veux dire. Il s’agit bien plus que d’un mar­xisme hon­teux. Il s’agit du fon­de­ment mes­sia­nique tem­po­rel. Vous ne pou­vez pas résoudre ce pro­blème sans poser le fait reli­gieux. On me dit que Camus est un athée fon­da­men­tal, ce dont je ne doute pas si l’on entend athée par rap­port au mythe trans­cen­dant. Mais quand je le vois sévir, en com­pa­gnie de cet autre grand athée qu’est Mal­raux, à « l’Express », où s’annonce cette forme très floue de mes­sia­nisme, autre­ment plus dan­ge­reux que celui de Hegel que, du moins, l’analyse peut appré­hen­der, je doute que Camus soit un athée fondamental…

« Je ne dis pas que ceux qui trouvent Dieu nous débar­ras­se­ront des mes­sia­nismes tem­po­rels. Ce serait trop simple. Ce serait igno­rer que si, par le moyen du mythe trans­cen­dant, le mes­sia­nisme a été exhaus­sé, spi­ri­tua­li­sé, il a été, d’abord, enchâs­sé dans le tem­po­rel et qu’une désas­cen­sion est tou­jours pos­sible… Les pro­jec­tions ont ten­dance à se repor­ter dans les théo­ries de l’histoire. Et ça c’est catas­tro­phique pour des gens qui ont la pré­ten­tion de trans­for­mer le monde après l’avoir inter­pré­té ! Et ça, loin de don­ner le but social, donne le clan et le cler­gé du social, le mana social. Rien d’autre ! Et, en somme, tout ce qu’il faut pour fabri­quer, avec le socia­lisme, un superbe opium du peuple !

« Il faut que « Témoins » soit déjà sur la voie de la libé­ra­tion pour que je sois à vous écrire ces lignes. S’il en était autre­ment, il n’y aurait pas de dia­logue. Aus­si y a‑t-il quelque injus­tice à vous pla­cer dans le sac des à moi­tié ou par­tiel­le­ment « déso­phis­ti­qués ». Ai-je jamais renoué avec les anciens cama­rades com­mu­nistes, ou trots­kistes ou piver­tistes de mon ado­les­cence ? Mais, puisque vous vous dites des amants des « grues méta­phy­siques » et puisque le mot spi­ri­tuel ne vous fait pas peur, vous ne pou­vez igno­rer que vous voi­là sur un plan très voi­sin de celui de cer­tains hommes, qui, chré­tiens, et par ce fait même, sont en pos­ture d’accéder à la véri­table athéi­sa­tion nomi­na­liste des doc­trines sociales et donc à l’action vraie vers le but social. Nous voi­là bien loin de cet « opium céleste » qui, aux dires de Marx, empêche l’action terrestre.

« C’est par une médi­ta­tion col­lec­tive sur l’essence du chris­tia­nisme que, dans un pays de pen­sée idéa­liste d’ailleurs (Hegel n’a jamais véri­ta­ble­ment été chré­tien, c’est un gnos­tique, c’est un mani­chéen. Madame Aebi a fort bien vu que la « construc­tion de Dieu » par Hegel exige le sacri­fice de l’homme, la sacra­li­sa­tion de la guerre, etc. Cela c’est de la Gnose. Ce n’est pas du chris­tia­nisme) qu’a été inau­gu­ré le grand mou­ve­ment de mes­sia­nisme tem­po­rel lan­cé par Marx. Pareille­ment, c’est par l’essence du chris­tia­nisme que va pas­ser le mou­ve­ment inverse. Les pro­dromes en sont là. Ce que le socia­lisme mytho­lo­gique et athée (contra­dic­tion mais c’est ain­si !) n’a pas pu faire, le chris­tia­nisme le peut : car, « royaume » de l’esprit hors de ce monde, il est une divi­ni­sa­tion des « grues », devant les­quelles il s’agenouille, en même temps qu’une « désa­cra­li­sa­tion » des fausses mytho­lo­gies sociales.

« Le socia­lisme nou­veau pos­tule la dif­fé­ren­cia­tion de l’Église et de l’État. Il prend place (avec qui­conque accepte une socio­lo­gie de simple obser­va­tion ; avec qui­conque est sur-athée en ces domaines) dans le volet athée du dip­tyque, enten­dons par là qu’il refuse des pro­jec­tions mythiques dans l’histoire. Car il y a, dans l’athéisme même, une véri­té, mais per­ver­tie. Il faut opé­rer avec l’athéisme comme avec le mili­ta­risme alle­mand, il faut une inté­gra­tion de l’athéisme. Et c’est pour­quoi j’écris a‑théisme, comme d’autres an-archie.

« En ce moment peuvent être édi­fiées les arma­tures idéo­lo­giques et doc­tri­nales per­met­tant, ulté­rieu­re­ment, au socia­lisme de rede­ve­nir une grande marée. Ce qui a inter­dit cette marée ce sont les anciens pos­tu­lats. Si le socia­lisme n’accède pas au super-athéisme his­to­rique, il refe­ra ce qu’il a fait : départ, mon­tée et impuis­sance. Doc­tri­na­le­ment il n’est condi­tion­né que pour la conquête du pou­voir. Les masses, qui se laissent volon­tiers duper, le font jusqu’à un cer­tain point. Elles ne com­prennent pas le pour­quoi du com­ment, mais res­sentent vive­ment la vani­té de l’action socia­liste tra­di­tion­nelle. Elles savent, d’intuition cer­taine sinon d’intellect, que toutes les mou­tures du socia­lisme mytho­lo­gique n’ont d’intérêt que pour les poli­ti­co-clercs du suma­tu­ra­lisme social, que pour la bureau­cra­tie et les fonc­tion­naires. Le socia­lisme mytho­lo­gique a impo­sé le totem du pro­lé­ta­riat au dépro­fit du pro­lé­ta­riat réel de nos villes et de nos cam­pagnes. Il a engrais­sé les clercs du totem mais il a lais­sé l’animal dans la misère. La misère des vrais pauvres de France ne crie plus vers le ciel, en ce 1955, mais elle crie vers le socia­lisme. Le socia­lisme a aban­don­né la veuve et l’orphelin pour le fonc­tion­naire plus ou moins pen­sion­né ! Il faut aller vers les vrais pauvres, vers les sans-grades, les sans-diplômes, les sans-retraite, les inor­ga­ni­sés, tout ce vrai pro­lé­ta­riat refu­sé par les syn­di­cats aris­to­cra­tiques et qui est en train de faire séces­sion. Il faut aller vers le pro­lé­ta­riat réel et non vers le pro­lé­ta­riat offi­ciel, vers le pro­lé­ta­riat vrai et non vers celui que nos tou­ristes payent pour les repré­sen­ta­tions. Alors nous vain­crons. Alors nous vain­crons parce que ce pro­lé­ta­riat-là, bien natu­rel, nous comprendra.

« Le socia­lisme, jusqu’à ce jour, a été, en géné­ral une affir­ma­tion doc­tri­nale sub­jec­ti­viste pré­sen­tée sous des habits qui avaient un air d’objectivité. Il reste cer­tai­ne­ment des choses objec­tives dans Marx, quand on les « dégangue », mais il en reste aus­si de n’importe quelle doc­trine pseu­do-reli­gieuse quand on la purge. Cette pré­pon­dé­rance sub­jec­ti­viste de la doc­trine sociale a cor­res­pon­du à une fonc­tion néces­saire : celle de l’accumulation de l’énergie des masses vers le but social. Les hommes qui ont opé­ré cette accu­mu­la­tion ont été les prêtres de l’esprit social, et ils se sont adju­gé tous les pri­vi­lèges par manière de dîme tota­li­taire. L’impuissance du socia­lisme réside dans l’inadéquation du mythe social et de la réa­li­té sociale objec­tive. L’énergie ain­si accu­mu­lée, pour être accou­plée au réel, a besoin de la connais­sance objec­tive, mais cette connais­sance exige la dis­so­lu­tion des mythes sociaux et par voie de consé­quence la fin des pri­vi­lèges clé­ri­cal-bureau­cra­tiques. D’où la ten­sion. On peut dire que le monde entier est socia­liste. En ce sens la clé­ri­cal-bureau­cra­tie a bien rem­pli son rôle ecclé­sias­tique. Mais la réa­li­sa­tion vraie du social passe soit par son retrait, soit par un exhaus­se­ment du clé­ri­ca­lisme tem­po­rel en clé­ri­ca­lisme spi­ri­tuel. La grosse dif­fé­rence entre les clercs chré­tiens et les clercs socia­listes tient dans le fait que si le socia­lisme mytho­lo­gique n’est apte qu’à la phase d’affirmation sub­jec­ti­viste le chris­tia­nisme (notam­ment romain) est apte, lui, aux deux phases. Cela signi­fie que si la ques­tion de la dis­pa­ri­tion des clercs du pro­lé­ta­riat sur­na­tu­rel est à l’ordre du jour, les clercs chré­tiens, qui ont un « mythe adé­quat » leur sur­vi­vront. Le chris­tia­nisme com­porte, dans le monde moderne, des vir­tua­li­tés et une vigueur insoup­çon­nées. L’avenir me don­ne­ra raison.

« J’ai plus ou moins éla­bo­ré tous ces thèmes dans diverses revues, dont la « Répu­blique fédé­rale » et « l’Ouvrier libre » sous mon nom ou divers pseu­do­nymes. Bien enten­du tou­jours très incon­for­ta­ble­ment. Car si les socia­listes ne veulent pas quit­ter le plan du mes­sia­nisme social, les chré­tiens sont loin de com­prendre toutes les poten­tia­li­tés qu’il y a en eux et, volon­tiers, vont se four­voyer dans ces voies sans issues du socia­lisme mytho­lo­gique. Poser les pro­blèmes reli­gieux, c’est avoir des ennuis tant avec les socia­listes qu’avec les autres. Mais il est vain d’éluder la ques­tion. Quand bien même il vous advien­dra de refu­ser mes conclu­sions vous devrez agir en fait « comme si ». Je n’ai jamais cher­ché aucun inté­rêt dans mes recherches. Je ne suis can­di­dat à aucun hon­neur. Je tra­vaille pour gagner ma vie dans une branche qui n’est pas jour­na­lis­tique. Je ne cherche pas à me créer des illu­sions. Si je cherche Dieu, croyez bien que ce ne sera pas pour mettre un terme à mes inter­ro­ga­tions. Je regrette seule­ment qu’il soit si dif­fi­cile d’aborder cer­tains pro­blèmes avec les socia­listes et j’en arrive à me deman­der s’il n’en est pas comme pour Brup­ba­cher avec cer­tains devant qui il fal­lait évi­ter de pro­non­cer le mot âme ? Où y a‑t-il en France un lieu de libre recherche ? Où y a‑t-il une revue de libre esprit ? Une, deux, à cher­cher, bien enten­du par­mi les incon­nus, très exac­te­ment là où naquit le Christ, par­mi les save­tiers et les rac­com­mo­deurs de por­ce­laine. C’est de cette cata­combe-là que remon­te­ra l’esprit, s’il remonte ! Le « socia­lisme libre » allons donc ! Il y a beau­coup de pha­ri­siens qui font cette gri­mace ! On les pren­dra au mot quand ils seront deve­nus comme des petits enfants !

« Votre Brup­ba­cher devait être un brave homme que j’aurais bien aimé connaître. On ne doit pas lui repro­cher d’avoir subi les erreurs de son temps. Il s’en est déga­gé aus­si et il fau­dra beau­coup de Brup­ba­cher pour qu’on en sorte.

« Vous excu­se­rez cette longue lettre qui, je l’espère, vous aura éclai­ré sur l’article en ques­tion. Par la même occa­sion si, en Suisse ou ailleurs, vous connais­sez quelque revue de save­tier, en fran­çais, indi­quez. On ne refuse pas d’élargir son hori­zon, bien au contraire. Peut-être des œuvres de vous ?

« Excu­sez mon ignorance !

« A. Sold »

La Presse Anarchiste