La Presse Anarchiste

Silone vu de Milan

Lors de mon der­nier pas­sage dans la moins ita­lienne des cités d’Italie, je m’étais échoué à l’une des ter­rasses de café qui sont proches du Cas­tel­lo (pour vous repré­sen­ter celui-ci, ima­gi­nez que l’on ait recons­truit la Bas­tille : le vieux châ­teau Sfor­za fut en effet rasé par Napo­léon, et ce que l’on voit à sa place n’en est qu’une imi­ta­tion qui, du reste, pour­rait être plus laide). Sou­dain j’avise, arrê­tée au bord du trot­toir, devant la ter­rasse, une auto dont le flanc rabat­tu offrait au regard un éta­lage de bou­quins. Et comme, curieux de voir quelle sorte de nour­ri­ture intel­lec­tuelle on pro­pose ain­si aux pas­sants, je m’étais levé et appro­ché du véhi­cule, je constate aus­si­tôt que c’est un petit camion des édi­tions Einau­di, dont le pro­prié­taire, cha­cun le sait, est le fils du pré­sident sor­tant, lui-même grand éco­no­miste et l’un des doyens du par­ti libé­ral. Tout de suite, je tique : à part cer­tains « clas­siques », Proust entre autres, il y a là, en majo­ri­té écra­sante, des auteurs tels que le phi­lo­sophe alle­mand Cas­si­rer, Brecht, etc., tous « acti­vistes » de bon ton. Beau­coup de Russes, aus­si, spé­cia­le­ment mis en évi­dence. En fait de pro­pa­gande pour les édi­tions Einau­di, cela m’a bien l’air d’être de la pro­pa­gande tout court. C’est une jeune femme qui est au volant, et, debout à côté de la voi­ture, le jeune homme appa­rem­ment char­gé de la vente, lui parle, la tête enfon­cée dans la por­tière, de sorte que, tout d’abord, je ne dis­tingue pas un mot. Ten­dant l’oreille, je finis par attra­per quelques syl­labes, et, à ma stu­peur, je m’aperçois que c’est du fran­çais. Un peu plus tard, j’aurai l’explication de ce mys­tère lin­guis­tique : la jeune femme au volant, des moins sym­pa­thiques d’ailleurs et très évi­dem­ment bien déci­dée à ne pas se lier avec le tou­riste bour­geois pour qui elle me prend de toute évi­dence, est fran­çaise, et le ven­deur, lui, est son mari. De toute façon – on a des jours pour les langues et, Dieu sait pour­quoi, je ne me sens pas dans l’instant très en forme pour par­ler ita­lien – je n’engage que plus volon­tiers la conver­sa­tion, deman­dant com­ment fonc­tionne l’organisation, intel­li­gente à n’en pas dou­ter, de cette dif­fu­sion, je l’ai dit, orien­tée de façon si par­tielle et par­tiale. Quelque chose me fait cepen­dant hési­ter encore sur l’intention poli­tique de l’entreprise : ils ont en éven­taire l’admirable « Conver­sa­tion en Sicile » de Vit­to­ri­ni, lequel a notoi­re­ment rom­pu avec la hié­rar­chie sta­li­nienne. Alors, sorte de contre-épreuve, et aus­si pour savoir si les lec­teurs ita­liens ont un peu renon­cé à leur stu­pide habi­tude de le bou­der plus ou moins, je demande : « Et Silone ? Est-ce que vous le ven­dez beau­coup ? – Oh, non, nous ne l’avons pas. Einau­di n’a pas d’auteurs de droite. »

Tex­tuel.

Tout essai de mise au point était évi­dem­ment inutile. Le petit gars, bien gen­til, à qui j’avais affaire, n’était pas seule­ment aveugle… de bonne pen­sée, poli­ti­que­ment ; ne m’avait-il pas dit, en pas­sant, du livre de Vit­to­ri­ni : « Ce n’est pas d’un très haut niveau lit­té­raire (!), mais c’est un docu­ment » ? Je m’éloignai donc, et revins ter­mi­ner mon cam­pa­ri-soda, deve­nu désor­mais un cam­pa­ri – découragement.

[/​J. P. S./]

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Silone vu de Genève. – Dans « la Tri­bune de Genève » du 4 juillet, un cer­tain J. T. Brütsch, membre du Pen-Club suisse, ren­dant compte du congrès inter­na­tio­nal des Pen-Clubs à Vienne, note, avec com­bien de grâce et de per­ti­nence : « … le bouf­fon déma­gogue qu’est Igna­zio Silone. » Sans commentaire.
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