Le gouvernement allemand
a essuyé. dernièrement au Reichstag plusieurs défaites.
La plus importante fut
le rejet du projet de loi dirigé contre les tendances
révolutionnaires « Umsturz Vorlage ».
L’acceptation de ce curieux projet, dont la rédaction était
si ambiguë, équivalant à l’abolition du droit de
la presse, aurait rendu presque impossible toute critique de l’État,
de ses institutions et de la religion, sanctionné non
seulement les procédés arbitraires que les cours de
justice emploient depuis quelque temps, mais aussi laissé la
faculté d’infliger des punitions plus dures ; elle aurait
menacé aussi, outre les anarchistes et les socialistes, toutes
les tendances libertaires (libres penseurs, etc.).
L’agitation contre ce
projet fut très vive et ne fut pas seulement entretenue par
des révolutionnaires ou des social-démokrates, mais
aussi par les bourgeois libéraux et radicaux, et même
les cléricaux. Née de la peur générale
qui saisit tous les gouvernements, depuis les derniers attentats de
Paris, cette loi laissait visiblement percevoir, dans la forme comme
dans le fond, la terreur folle qui l’avait inspirée, quoique,
cependant, les mesures cruelles prises dernièrement contre le
Sozialist et tout ce qui s’intitule anarchiste ou
révolutionnaire eussent démontré sa superfluité.
Le Reichstag s’est
souvenu aussi du refus opposé, il y a cinq ans, à la
demande d’une prolongation de la loi exceptionnelle contre la
Social-démokratie, refus occasionné par l’inefficacité
constatée de pareilles mesures ; et il ne se dissimulait
pas non plus que, par l’abolition de cette loi, la Social-démokratie
avait modifié sa ligne de conduite dans un sens plus politique
et plus pacifique. Le rejet acquit donc des majorités
considérables.
Au cours des débats,
les chefs de la Social-démokratie, surtout Auer et Bebel, se
sont donné naturellement, comme toujours, tout le mal possible
pour récuser toute solidarité avec les anarchistes et
ont tenu une conduite pitoyable. Bebel, par exemple, déclara
(ce qui est vrai, d’ailleurs) que le gouvernement se faisait une idée
absolument fausse de la Social-démokratie s’il lui prêtait
l’intention de gagner l’armée à ses théories
pour que, en cas de révolution, il ne puisse pas compter sur
elle. Si le développement économique est la cause d’un
tel résultat, ce n’est pas la faute de la Social-démokratie.
Du reste, pour lui, la solution violente de la question sociale est
hors de toute probabilité. Et il ajoutait, avec intention, que
ses déclarations étaient bien l’expression de sa pensée
et nullement une manœuvre destinée à faire paraître
à ce moment la Social-démokratie plus pacifique qu’elle
ne l’est en réalité.
Durant les derniers
jours des débats, le gouvernement, voyant que le projet serait
rejeté, prit une attitude étrange. Le ministre de
l’intérieur, von Kœller,
fit entre autres cette déclaration peu constitutionnelle :
« Le gouvernement se « fiche » du
Reichstag, dont la seule attribution consiste à voter l’argent
nécessaire et les lois que le gouvernement lui propose. »
Cette déclaration
et quelques remarques de la presse officielle ont amené la
Social-démokratie et les journaux radicaux à croire
probable une dissolution du Reichstag ou même un coup d’État.
Il est difficile de dire
ce qu’il y a de fondé dans cette supposition. Il est vrai que
l’attitude du Reichstag contre Bismarck, le rejet de la loi
mentionnée et de deux autres lois ultérieures, doivent
avoir froissé le gouvernement et surtout son chef. Mais ce
dernier, quoique réputé énergique et
inflexible ; est aussi doué d’une certaine souplesse,
qu’il a bien su montrer, en se conciliant très humblement le
vieux Bismarck, alors qu’il l’avait mis à la porte deux années
avant. Quant à la répression des tendances
révolutionnaires, il trouvera bien d’autres moyens.
B. K.