À partir du mois d’octobre, l’organisation entre dans une dynamique nouvelle qui se traduit essentiellement par l’intervention directe dans les luttes et conflits, et par un processus de consolidation organique ; tout cela assure une meilleure implantation parmi les travailleurs et permet d’assurer de nouvelles tâches et de nouveaux objectifs.
Ainsi on passe d’une intervention extérieure (Roca, Numax, Eurostil, création de comités d’appui…) à une entière insertion dans la lutte ouvrière, à la dotation d’une réponse anarcho syndicaliste au mouvement ouvrier (grève des pompistes, Carbones de Berga, Bimbo, grève des spectacles publics, Montessa, Ossa Bertan y Serra, et un grand etc.).
Le haut degré de combativité de la CNT dans ces luttes ― qui ont obtenu certaines victoires ― ont redonné confiance aux travailleurs en l’action directe comme étant leur arme d’émancipation face aux positions défaitistes et bancales (négociations et pacte prônés par les centrales majoritaires (CCOO, UGT). L’authentique image d’organisation anarcho-syndicaliste reprend corps dans le monde du travail. La CNT que certains connaissaient et dont d’ autres avaient entendu parler retrouvait son image d’unique option émancipatrice pour les exploités et les opprimés ; le regard de beaucoup de travailleurs catalans se tourna vers la CNT.
Parallèlement s’était forgé le processus de consolidation syndicale, avec la création dans la majorité des entreprises de comités d’usines, la dynamisation des sections de Bureaux et le fonctionnement des secrétariat et comités syndicaux ; et pour achever le tout, l’attachement de tous ces organes et de la base militante aux problèmes les plus urgents de la classe ouvrièe. Ainsi, nous pouvons constater la présence et l’incidence de la confédération dans toutes les conventions collectives de secteur avec ses alternatives spécifiques : la défense à outrance de l’autonomie syndicale face à la dépendance des partis, de la solidarité de classe face aux compromis, de l’action directe face à la négociation et aux pactes, de l’assemblée ouvrière et de l’autogestion face au parlementarisme et à la manipulation.
D’autres part le mouvement de consolidation organique cessa d’être le seul fait de Barcelone et de sa zone industrielle pour s’étendre à toute la Catalogne, se traduisant par le saut qualitatif que représente le passage d’une structure multiforme de fédérations locales à une organisation fédérative, basée sur les départementales et plénières de Catalognes.
Ces nouveaux pas franchis par l’organisation impliquait forcement l’adéquation de l’infrastructure organique aux nouvelles nécessités. Dans ce sens, le travail du S.P. et du C.R. dans son ensemble s’est orienté de manière à doter l’organisation des mécanismes rendus nécessaires par ces nouvelles nécessités organisatives. Ainsi se sont créés des centres juridiques départementaux, une assistance économique s’est mise en place, un assainissement financier a été réalisé, et on a tenté de rationaliser l’administration, base indispensable pour un fonctionnement autogestionnaire et fédératif ; une régularité de la propagande a été assurée et l’on a entrepris l’étude de nouveaux canaux de diffusion, etc.
C’est maintenant, quand la CNT peut élaborer des alternatives globales, que l’on peut dépasser le stade de déclarations de principes pour devenir une force sociale (et non groupusculaire) capable de faire front à la nouvelle stratégie de domination du capital (élections syndicales, pacte de la Moncloa).
La convocation de la manifestation du 15 janvier était un pas de plus vers l’affirmation de l’anarcho-syndicalisme dans la pratique quotidienne. Et c’est alors, coïncidant avec la manif, que se produisit l’attentat de la Scala qui stoppa de fait la dynamique débutée en Octobre pour placer l’organisation dans une situation différente, fruit d’une double attaque : le complot extérieur mis en place par le pouvoir et l’apparition au sein de l’organisation d’une série de positions irresponsables qui substituent leur intérêt de groupe à la marche générale de la confédération, favorisant par leur conduite irresponsable les machinations qui, de l’extérieur, se font et se montent contre la CNT pour sa position révolutionnaire.
Ces positions au sein de la CNT donne des arguments de type contraire aussi bien à ceux qui veulent convertir la CNT en une organisation avant-gardiste et autoritaire, élitaire, séparée des aspirations des travailleurs qu’à ceux qui souhaitent qu’elle devienne une organisation domestiquée, et purement revendicative. C’est précisément dans la pratique que toutes les opinions se complètent et se justifient mutuellement.
Certains prétendent que ce processus de consolidation organique tend à vider la CNT de ses idées anarchistes (voir pour cela le dernier n° de Bicicleta). Rien n’est plus loin de la réalité ; pour nous, faire de la CNT l’instrument de combat de l’émancipation de large masse de travailleurs, signifie imprégner le nouveau mouvement ouvrier, sorti d’une nuit de 40 ans de franquisme, des idéaux d’émancipation et d’autogestion consubstantiel à la CNT. Développer la CNT, c’est développer le mouvement libertaire et jeter les bases d’une issue révolutionnaire et libertaire à la crise du système capitaliste. Fortifier la CNT c’est développer le mouvement libertaire au niveau international, qui aujourd’hui se débat dans le triste spectacle de la lutte intergroupusculaire et de chapelles.
La mission des militants anarchistes trouve au sein de la CNT une pleine dimension, à propager parmi les travailleurs les idéaux de liberté et d’émancipation, à aider à faire de chaque salarié un homme libre qui, solidarisé avec tous les autres exploités et opprimés, collabore à la création d’une société neuve, sans classes et libre du joug de tout pouvoir. Une société qu’ébauche le congrès de Zaragosse dans ses résolutions sur le « communisme libertaire » et que le propre peuple travailleur a mis en pratique date les collectivités. La tâche de reconstruction sociale et morale de la société est une tâche avant tout collective et responsable.
Ainsi il est urgent d’éliminer de la Confédération ces positions qui par ignorance ou différemment, confondent le rebelle avec le révolutionnaire, le radicalisme avec la révolution, c’est à dire qui substituent l’ action collective et libératrice de l’anarcho syndicalisme par l’action exemplaire de quelques illuminés.
Cela ne signifie pas que la CNT renonce à utiliser des moyens comme le sabotage et l’autodéfense qui ont été tant de fois utilisés lorsque c’était nécessaire dans la lutte contre le capital et l’État. Sans ambages, leur utilisation est venue imposée par la propre dynamique de l’organisation, qui a forgé ses organes responsables pour les appliquer dans les moments adéquats. Personne ne peut avec des actes unilatéraux prétendre imposer une dynamique distincte de celle accordée à l’organisation lors de ses plénums, parce que personne n’est autorisé à jouer avec le destin de la CNT, ou à décider en son nom.
Le culte de la violence indiscriminée comme réponse au terrorisme d’ état, créé au sein de la base militante jeune la confusion entre radicalisme et révolution, entre liberté individuelle et responsabilité collective. Les attitudes de ce genre précipitent l’organisation dans des situations qui menacent sa propre capacité à déjouer les attaques de l’état.
D’autre part, nous vivons plongés dans une société régie par un état dont les moyens sont beaucoup plus puissants qu’autrefois (non seulement matériel mais moraux ; la religion était l’instrument idéologique de domination avec sa morale de soumission ; aujourd’hui cette idéologie a été avantageusement remplacée par la corruption, la consommation et le Bien-être) avec un appareil répressif intact, hérité du franquisme, et qui a appris au long de 40 années à s’infiltrer et à manipuler les groupes d’opposition. S’opposer à l’État, le neutraliser et le désarticuler, cela est possible seulement par une attitude énergique mais responsable. Nous savons tous que les groupes les plus radicaux sont manipulés et abritent une quantité d’infiltrés, de mouchards, etc. qui font dévier les actions entreprises ou être les authentiques inspirateurs de celles-ci avec l’objectif de détruire le mouvement révolutionnaire et la CNT. Si nous voulons que la CNT subsiste, et se transforme en l’organisation révolutionnaire que nous voulons, il est urgent d’extirper ces attitudes.
Le secrétariat permanent croit à voir interprété la mandat octroyé par le plénum au moment de son élection avec succès et erreurs dans sa gestion mais se maintenant dans les directives qui lui furent indiquées par les syndicats.
Aujourd’hui l’organisation est entrée dans une spirale dangereuse, pour des raisons absolument contraires à notre volonté. C’est aux délégués qu’il revient de juger et de décider quels doivent être les remèdes et les moyens pour sortir heureusement de cette situation. Sans détours, nous tenons à insister fortement sur le fait que nous croyons que la seule ligne d’action possible pour que la CNT soit la force motrice du mouvement ouvrier et l’épine dorsale du mouvement libertaire, passe par la clarification de ces positions.
Salut et anarchie
4 février 77, Secrétariat permanent du Comité de Catalogne CNT.