La Presse Anarchiste

À propos d’un article de la Federacion de Barcelone

La
Fede­ra­cion de Bar­ce­lone du 30 juin publie un article
impor­tant, qui fera voir quelle est l’o­pi­nion des Espa­gnols sur le
dif­fé­rend qui divise l’In­ter­na­tio­nale. Voi­ci cet article :

« En
pré­sence de la ques­tion qui a été débattue
par divers congrès régio­naux et par les organes les
plus auto­ri­sés de l’In­ter­na­tio­nale, — ques­tion dont le côté
posi­tif paraît être l’exis­tence du Conseil général
et la révi­sion des Sta­tuts, — nous allons rompre enfin notre
silence et abor­der fran­che­ment et réso­lu­ment la ques­tion, tout
dis­po­sés d’ailleurs à rec­ti­fier les inexac­ti­tudes que
nous pour­rions com­mettre dans l’ex­po­si­tion ou dans l’appréciation
des détails ; car notre but n’est pas d’é­mettre un
juge­ment, mais seule­ment de cher­cher à poser un problème.

Entrons
dans le fond de la question.

À
notre point de vue, aucun des Congrès régio­naux ou des
jour­naux qui se sont occu­pés de la sup­pres­sion ou du maintien
du Conseil géné­ral, n’ont éle­vé la
dis­cus­sion à la hau­teur qu’elle mérite, excepté
la Fédé­ra­tion juras­sienne et son organe. Tous ont
dis­si­mu­lé — bien qu’ils n’aient pas pu empê­cher que ce
point ne frap­pât les yeux de tous ceux qui ont sui­vi avec
inté­rêt la marche de cette affaire — que la question
de la sup­pres­sion du Conseil géné­ral et de la révision
des Sta­tuts ren­ferme en soi une grande ques­tion de prin­cipes et une
lutte de ten­dances qui sûre­ment ne tar­de­ra pas à éclater
dans notre sein.

Il y
a quelque temps, la Fédé­ra­tion juras­sienne a exposé
avec clar­té les vrais termes de la ques­tion ; mais
per­sonne jus­qu’à cette heure n’a dai­gné les reconnaître
et les exa­mi­ner. Cette indif­fé­rence ne doit pas trou­ver son
excuse dans la crainte de pro­duire un schisme, car une pareille
lâche­té pour­rait nous coû­ter cher, en présence
des intrigues employées pour faire pré­va­loir une de ces
ten­dances diver­gentes, un des prin­cipes anta­go­nistes, au détriment
de l’autre.

Nous
avons tous à por­ter la res­pon­sa­bi­li­té des résultats
de cette indif­fé­rence et de cette crainte déplacée.
Nous dont les doc­trines sont les mêmes et qui pro­fes­sons des
prin­cipes anti­au­to­ri­taires, iden­tiques, nous ne devons pas être
les der­niers à répa­rer notre faute et à tendre
la main aux socia­listes du Jura, qui ont eu l’hon­neur de jeter les
pre­miers le cri d’a­larme pour nous pré­ve­nir du dan­ger qui nous
menace.

Ce
dan­ger, c’est l’an­nu­la­tion de l’es­prit an-archique et la prévalence
de l’es­prit auto­ri­taire dans l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des
tra­vailleurs ; ce péril n’est autre que la prédominance
du pan­ger­ma­nisme dans notre Asso­cia­tion, avec la ten­dance à
consti­tuer un vaste État com­mu­niste auto­ri­taire, en opposition
à la véri­table et saine ten­dance à réunir
l’hu­ma­ni­té, par la des­truc­tion de tous les États et
l’a­néan­tis­se­ment du prin­cipe d’au­to­ri­té, en une libre
fédé­ra­tion de libres asso­cia­tions productives.

Voi­là
les véri­tables termes du pro­blème ; voilà
la véri­table lutte de prin­cipes qui com­mence à se
révé­ler sous cette forme embrouillée de
sup­pres­sion du Conseil géné­ral et de révision
des Sta­tuts, aus­si bien que sous la forme de polémique
per­son­nelle entre les repré­sen­tants les plus mar­quants de ces
deux tendances.

Notre
tra­vail, le tra­vail de tous ceux qui s’in­té­ressent à la
pros­pé­ri­té de notre Asso­cia­tion, ne doit pas être
tant d’é­mettre un juge­ment sur les détails qui
obs­cur­cissent et voilent en grande par­tie la grande ques­tion, que de
mettre cette der­nière en relief pour que les esprits
s’é­clairent et se pro­noncent, et qu’une fois prononcés,
ils s’aident à for­ti­fier l’o­pi­nion de nos frères des
autres régions, afin d’ac­cé­lé­rer le triomphe de
notre prin­cipe, du prin­cipe sau­veur de l’In­ter­na­tio­nale, qui est
l’a­nar­chie. Et quand vien­dra le moment d’é­mettre le vote de
notre région sur les points de forme qui excitent aujourd’hui
l’in­té­rêt géné­ral, il n’est pas à
craindre que la voix de nos délé­gués au Congrès
géné­ral manque de se faire entendre en faveur des
réso­lu­tions les plus propres à nous faire sortir
heu­reu­se­ment de la grande crise que nous tra­ver­sons. Nous ne voulons
pas, par là, mécon­naître l’im­por­tance des
ques­tions de forme qui s’a­gitent, et nous leur accor­de­rons en leur
temps l’at­ten­tion qu’elles méritent. Aujourd’­hui, les
cir­cons­tances nous com­mandent de por­ter la dis­cus­sion sur un terrain
plus élevé.

C’est
pour­quoi, nous regret­tons que nos frères belges n’aient pas
fait pré­cé­der leur pro­jet de sta­tuts généraux
d’une franche expo­si­tion des prin­cipes en lutte, expo­si­tion au moyen
de laquelle les opi­nions auraient pu se for­mer plus rapidement.

Si
nous exa­mi­nons le pro­jet belge à la lumière des
prin­cipes qui forment le fond réel du débat, nous
voyons que l’es­prit de ce pro­jet n’est pas tant de com­battre en
prin­cipe l’exis­tence d’un Conseil géné­ral, que de
com­battre celle du Conseil géné­ral anglo-allemand
actuel, contre lequel sont pro­duites de graves accu­sa­tions, pour ne
s’être pas limi­té, comme il le devait, à être
un simple centre de cor­res­pon­dance et de sta­tis­tique, et pour s’être
arro­gé des fonc­tions auto­ri­taires en har­mo­nie avec les
ten­dances de ses membres et au pré­ju­dice de l’esprit
anti-auto­ri­taire, sau­ve­garde de notre chère Asso­cia­tion. C’est
ce Conseil qui, en pré­sence des per­sé­cu­tions contre
l’In­ter­na­tio­nale en France, en Ita­lie, en Autriche, en Alle­magne et
en Espagne, et aupa­ra­vant sous pré­texte de la guerre, s’est
abs­te­nu de convo­quer les Congrès géné­raux de
1870 et 1871, cher­chant ain­si à gagner du temps, qu’il a mis à
pro­fit pour para­ly­ser par le dis­cré­dit et la calom­nie des
hommes qui appar­tiennent aux plus dévoués
révolutionnaires.

Étant
don­née l’in­fluence des idées auto­ri­taires qui existent
dans le Conseil géné­ral ; étant donnée
la guerre achar­née qui est faite au sein de l’In­ter­na­tio­nale à
plu­sieurs des plus ardents révo­lu­tion­naires et à leurs
idées ; une telle situa­tion vaut-elle la peine d’occuper
tous les esprits, et n’est-il pas néces­saire de se prononcer
caté­go­ri­que­ment pour l’une ou l’autre des ten­dances en lutte ?
ou bien est-il per­mis aux inter­na­tio­naux de regar­der impas­sibles les
ravages que fait au sein de l’As­so­cia­tion le can­cer de la discorde ?
N’est-il pas pré­fé­rable de voir écla­ter un
schisme et une sépa­ra­tion en deux camps, plu­tôt que de
voir se per­pé­tuer une lutte sourde, d’un genre funeste,
sem­blable dans ses pro­cé­dés à la lutte des
inté­rêts bour­geois, au milieu d’hommes qui devraient
être unis par les liens de la soli­da­ri­té et de la bonne
foi ?

C’est
seule­ment en ne per­dant pas de vue ces ques­tions-là, qu’il
sera pos­sible de résoudre conve­na­ble­ment les ques­tions de
forme qui sont en ce moment à l’ordre du jour ; et nous
ne ces­se­rons pas de le répé­ter : sans prétendre
émettre un juge­ment, et seule­ment dans l’in­ten­tion de poser
clai­re­ment les termes d’un pro­blème, nous croyons, pour notre
part, que la lutte, qui com­mence à rugir sour­de­ment, est la
diver­gence des deux prin­cipes anar­chique et auto­ri­taire, de laquelle
toutes les autres ne sont que de simples manifestations.

Nous
devons appe­ler par consé­quent tous nos frères, et
par­ti­cu­liè­re­ment ceux de la région espa­gnole, à
don­ner à cet objet l’at­ten­tion qu’il mérite, afin que
le jour de la célé­bra­tion du Congrès
inter­na­tio­nal, les délé­gués de langue espagnole,
forts de l’o­pi­nion de leurs sec­tions, contri­buent au triomphe des
idées radi­cales dans les points qui seront dis­cu­tés, et
agissent à la lumière que seule peut leur don­ner la
claire concep­tion des deux prin­cipes qui sont en lutte dans
l’Internationale. »

La Presse Anarchiste