La Presse Anarchiste

La situation en Amérique

(Extrait
du Socia­liste de New York, 18 mai.)

Quand
on observe les mou­ve­ments poli­tiques de notre époque, l’œil
le moins exer­cé sai­sit incon­ti­nent les pro­fondes divisions,
les anta­go­nismes inévi­tables, et par suite l’impuissance
radi­cale des par­tis bour­geois, en regard de l’ac­cord spontané
des classes ouvrières dans le monde entier.

D’une
part, dans le même pays, les diverses fac­tions bour­geoises sont
à cou­teau tiré les unes contre les autres. Qu’elles
applau­dissent en chœur aux mitraillades des Ver­saillais, aux
fusillades, aux empon­ton­nades et aux déportations ;
qu’elles édictent d’un com­mun accord des lois et des décrets
de per­sé­cu­tion ; qu’im­porte ! à l’instant
même de cette alliance aus­si fic­tive que momentanée,
elles ne s’en­tre­dé­chirent que de plus belle, pour se disputer
le pouvoir.

D’autre
part, simul­ta­né­ment et comme par un mou­ve­ment ins­tinc­tif, les
classes ouvrières de tous les pays, mal­gré les
dif­fé­rences des lan­gages et des mœurs, mal­gré celles
bien plus grandes des ins­ti­tu­tions poli­tiques, montrent par­tout les
mêmes aspi­ra­tions, pro­clament par­tout les mêmes
prin­cipes, orga­nisent par­tout les mêmes mou­ve­ments, poursuivent
par­tout le même but.

En
France, Thiers ne se main­tient que grâce au pro­fond antagonisme
des par­tis bour­geois, anta­go­nisme qui les rend impuis­sants les uns et
les autres. En Espagne, Amé­dée ne se sou­tient que par
la même cause, et la coa­li­tion bour­geoise for­mée contre
lui, n’a pas même duré l’es­pace d’une journée
élec­to­rale. En Alle­magne, les mêmes divisions
main­tiennent la fac­tice uni­té ger­ma­nique. En Angle­terre, la
reine Vic­to­ria ne règne encore que grâce aux divisions
des par­tis bour­geois. Même en Amé­rique, si le parti
répu­bli­cain triomphe aux pro­chaines élec­tions, il ne
devra la vic­toire qu’à la mul­ti­pli­ca­tion des can­di­dats à
la pré­si­dence qui menacent bien­tôt de se comp­ter par
douzaines.

Au
contraire, si nous exa­mi­nons le mou­ve­ment ouvrier, nous trouvons,
dans tous les pays, iden­ti­té com­plète d’as­pi­ra­tions, de
vues et de moyens. Mou­ve­ment com­mu­na­liste, grèves pour la
dimi­nu­tion des heures de tra­vail, décla­ra­tions for­melles que
les ouvriers ne peuvent et ne doivent avoir rien de com­mun avec les
par­tis bour­geois, orga­ni­sa­tions fédé­ra­listes de la
classe ouvrière, reven­di­ca­tions col­lec­ti­vistes, tout cela se
passe simul­ta­né­ment, dans les pays les plus éloignés,
avec un tel accord, une telle spon­ta­néi­té, qu’on
croi­rait voir une série d’ac­teurs ayant ensemble et de longue
main répé­té le même rôle.

Pour­quoi
cette diver­gence d’un côté, pour­quoi cet accord de
l’autre ? C’est que les par­tis bour­geois ne représentent
plus des prin­cipes, mais des inté­rêts plus ou moins
sor­dides, plus ou moins égoïstes, et qu’ils doivent
for­cé­ment se divi­ser et se sub­di­vi­ser tout autant que ces
inté­rêts eux-mêmes.

C’est
que la classe ouvrière reven­dique la jus­tice dans toutes les
rela­tions sociales ; que son mou­ve­ment d’or­ga­ni­sa­tion repose sur
un prin­cipe éter­nel­le­ment vrai, et non sur des intérêts
oppo­sés et chan­geants. Aus­si, tous les mou­ve­ments de la classe
ouvrière doivent être, par tous pays, identiquement
sem­blables, car la véri­té est une, la science est une,
et la classe ouvrière ne pour­sui­vant que la réalisation
de la véri­té et de la science, dans les relations
éco­no­miques, toutes ces mani­fes­ta­tions doivent avoir le cachet
de l’unité.

Cepen­dant,
en Amé­rique, tan­dis qu’une frac­tion de l’In­ter­na­tio­nale se
trouve en par­faite com­mu­nion de vues et de ten­dances avec des
orga­ni­sa­tions ouvrières qui n’ont cepen­dant aucun rapport
direct avec l’In­ter­na­tio­nale, preuve cer­taine que cet accord n’est le
résul­tat d’au­cune action pré­con­çue, nous voyons
une divi­sion de plus en plus pro­fonde et accen­tuée se créer
dans les rangs mêmes de l’Internationale.

Pour­quoi
cela ?

La
rai­son en est bien simple :

L’In­ter­na­tio­nale
n’est pas, ne peut pas être per­sé­cu­tée en
Amé­rique ; les poli­ti­ciens, loin de viser à la
détruire, ne songent qu’à s’en ser­vir comme levier et
point d’ap­pui pour le triomphe de leurs vues per­son­nelles. Que
l’In­ter­na­tio­nale se laisse entraî­ner dans cette voie, et elle
ces­se­ra d’être l’Asso­cia­tion des tra­vailleurs pour
deve­nir un RING de politiciens.

Depuis
long­temps, un cri d’a­larme a été jeté ;
mais la Conven­tion d’A­pol­lo Hall, nom­mant, au nom de
l’In­ter­na­tio­nale, madame Wood­hull comme can­di­dat à la
pré­si­dence, doit désor­mais ouvrir les yeux aux moins
clairvoyants.

Inter­na­tio­naux
d’A­mé­rique, pre­nez garde à vous !

La Presse Anarchiste