La Presse Anarchiste

La situation en Espagne

(Extrait
de la Liber­té de Bruxelles, 30 juin.)

La
situa­tion en Espagne reste tou­jours éga­le­ment embrouillée.
Les car­listes ne sont nul­le­ment bat­tus. Depuis l’a­vè­ne­ment de
M. Zorilla, le radi­cal, leurs bandes s’aug­mentent d’éléments
nou­veaux déta­chés des par­tis conser­va­teurs. Que les
car­listes tiennent encore quelque temps et les anciens monarchistes,
l’un après l’autre, vien­dront s’y joindre. Qu’au contraire M.
Zorilla réus­sisse à dis­per­ser les car­listes, les
anciens par­tis se ral­lie­ront autour du fils d’I­sa­belle et essaieront
de res­tau­rer le trône de la filleule du Pape. C’est encore le
fils d’I­sa­belle qui, en ce moment a le plus de chances de réunir
autour de lui toute la coa­li­tion réac­tion­naire, de même
qu’en France Bona­parte reprend l’a­van­tage sur les Orléanistes
et sur Hen­ri V. Le petit roi Amé­dée res­semble trait
pour trait à M. Thiers, et comme M. Thiers, en se rejetant
vers la gauche, il a per­du du ter­rain plu­tôt qu’il n’en a
gagné. M. Zorilla et M. Gam­bet­ta rem­plissent un rôle à
peu près iden­tique et au fond ne sont pas plus solides l’un
que l’autre.

Les
socia­listes ont, en Espagne, le bon esprit de lais­ser pas­ser, sans
s’y mêler, cette tour­mente des réac­tion­naires. En vain,
les répu­bli­cains, presque tous fédé­ra­listes, les
convient à faire cause com­mune sur ce ter­rain de la
fédé­ra­tion, les socia­listes avec leur esprit posi­tif et
réa­liste s’abs­tiennent, sachant bien que lorsque la poire sera
mûre. elle leur tom­be­ra plus sûre­ment dans les mains que
s’ils avaient secoué l’arbre intem­pes­ti­ve­ment. L’Es­pagne va
droit à la fédé­ra­tion et les convulsions
per­pé­tuelles du pou­voir cen­tral le feront périr
d’é­pui­se­ment. Il suf­fit aux forces ouvrières de
s’or­ga­ni­ser loca­le­ment et de nouer for­te­ment les liens de leur propre
union, pour res­ter bien­tôt la seule puis­sance constituée
que gar­de­ra l’Espagne.

Ce
sont les Inter­na­tio­naux espa­gnols qui sont, avec les Belges, les plus
fermes par­ti­sans, en Europe, de l’abs­ten­tion en matière
gou­ver­ne­men­tale [[La Liber­té oublie les internationaux
ita­liens et la fédé­ra­tion juras­sienne.]]. Ils
n’en­tendent pas être gou­ver­nés mais ne veulent aussi
gou­ver­ner per­sonne. Ils poussent comme nous, jus­qu’à ses
extrêmes consé­quences, le prin­cipe fécond de la
Fédé­ra­tion et de l’au­to­no­mie des groupes. Dans les
der­niers temps, la ten­dance contraire a vou­lu s’im­plan­ter, et
nous-mêmes avons publié, pour l’ins­truc­tion du lecteur,
des com­mu­ni­ca­tions rela­tives à cette ten­dance nouvelle ;
mais jus­qu’i­ci la grande majo­ri­té des sec­tions nous paraît
déci­dée à per­sé­vé­rer dans
l’an­cienne voie. L’In­ter­na­tio­nale lui doit son orga­ni­sa­tion, et c’est
à cette atti­tude radi­cale qu’il faut attri­buer sur­tout la
forte assiette que le socia­lisme a prise en Europe, en opposition
avec tous les par­tis bour­geois coa­li­sés. C’est en s’abstenant
de se mêler aux pro­grammes de tous les par­tis poli­tiques, que
le socia­lisme a réus­si à prendre conscience de sa
propre des­ti­née et de ses propres inté­rêts. Les
par­tis bour­geois s’en­tre­dé­truisent suf­fi­sam­ment entre eux pour
que nous n’ayons pas besoin de nous y mêler pour hâter
leur dis­so­lu­tion. Notre inter­ven­tion, au contraire, ne ferait que
recons­ti­tuer l’u­ni­té bour­geoise. En revanche, par la ferme
volon­té de tant de mil­liers d’hommes de s’en tenir d’une façon
abso­lue à l’i­dée de la réforme sociale, les
agi­ta­tions des par­tis poli­tiques sont d’a­vance frappées
d’im­puis­sance finale.

La Presse Anarchiste