La Presse Anarchiste

Correspondance

Nous
n’avons pas pro­tes­té tout à fait pour rien dans notre
pré­cé­dent numé­ro contre les propos
inqua­li­fiables tenus sur Silone par cer­tain col­la­bo­ra­teur de «
 la Tri­bune de Genève » à son retour du congrès
inter­na­tio­nal du Pen Club à Vienne. Ledit col­la­bo­ra­teur, en
effet, nous a fait par­ve­nir copie de la lettre d’excuse qu’alerté
par nos remarques il a fina­le­ment adres­sée à l’auteur
de « Fon­ta­ma­ra ». Allons tant mieux, encore qu’il
eût été plus cor­rect – et plus cou­ra­geux – de
rec­ti­fier dans le jour­nal même…

  *  *  *

D’autre
part, nos lec­teurs n’auront cer­tai­ne­ment pas oublié la si
vivante « Étape à Zurich » d’Arthur
Koest­ler, parue dans notre numé­ro 9 ; aus­si sommes-nous
per­sua­dés qu’ils pren­dront avec intérêt
connais­sance des quelques rec­ti­fi­ca­tions de détail qu’apporte
la lettre sui­vante, adres­sée par Silone à Koestler :

Rome, le
30 sep­tembre 1955.

Mon cher
Koestler,

Sur le
fon­de­ment de la petite contro­verse entre vous et l’« Europa
Ver­lag », à pro­pos de la pre­mière édition
de « Fon­ta­ma­ra », je peux vous assu­rer que la vérité
est quelque peu dif­fé­rente. Le mérite majeur de la
tra­duc­tion alle­mande de « Fon­ta­ma­ra », n’est, en
réa­li­té, d’aucun mécène ni d’aucun
édi­teur, mais de Mme Net­tie Sutro-Kat­zen­stein, qui se chargea
de la tra­duc­tion tout de suite après avoir lu mon manuscrit.
Jakob Was­ser­mann, ayant pris connais­sance de la tra­duc­tion de Mme
Sutro, fit ensuite accep­ter le livre par Ber­mann-Fischer (Ber­lin),
qui s’apprêtait à l’imprimer après que le
texte eut été agréé par la «
 Frank­fur­ter Zei­tung » comme feuille­ton. Mais les événements
d’Allemagne firent échouer ces plans. Avant de nous adresser
à M. Oprecht, qui à l’époque était
sur­tout libraire, la tra­duc­tion fut d’abord offerte à
d’autres édi­teurs suisses (je me rap­pelle encore la réponse
inso­lente de M. Rascher, l’ancien édi­teur de Bar­busse et
futur édi­teur des Œuvres com­plètes de Mussolini.)
C’est aus­si un fait connu que, mal­heu­reu­se­ment, l’édition
« aux frais de l’auteur » était et reste
lar­ge­ment pra­ti­quée par les édi­teurs suisses. Mais dans
le cas de « Fon­ta­ma­ra » il faut recon­naître que le
risque « moral » était, à l’époque,
plus grand que le maté­riel ; or, pour­quoi nier que M.
Oprecht accep­ta consciem­ment le risque d’être un éditeur
anti­fas­ciste au moment où M. Mot­ta diri­geait le Département
d’État à Berne ? En effet, à cause de cela, il
eut à souf­frir plu­sieurs incon­vé­nients. Oui, le contrat
de publi­ca­tion de « Fon­ta­ma­ra » était ce qu’on
appelle un « Kom­mis­sions­ver­trag ». Le livre fut imprimé
à Schaff­house, par l’Imprimerie coopérative
(socia­liste) qui ne deman­da aucune avance et aucune garantie,
d’autant plus que, avant l’impression, j’avais pu recueillir,
par­mi les amis de Zurich, envi­ron 800 sous­crip­tions, ce qui suffisait
lar­ge­ment pour le paye­ment des 2 000 pre­miers exem­plaires, tirage
pré­vu. M. Ber­nard Maier n’eut donc pas à intervenir
dans cette affaire, bien qu’il en eût été
ques­tion à un moment où les sous­crip­tions n’avaient
pas encore été recueillies. À pro­pos de lui et
de mes livres, je me rap­pelle aus­si que l’« Universum
Büche­rei » de Bâle (Willi Mün­zen­berg) eut à
lui pro­po­ser, deux ans plus tard, de sub­ven­tion­ner une édition
spé­ciale de « Brot und Wein » pour l’Allemagne ;
mais, encore une fois, cela demeu­ra un pro­jet. Tou­jours est-il que je
garde un bon sou­ve­nir de M. Maier. Lorsque je l’ai connu, à
Asco­na, il était déjà vieux, et s’il concevait
encore des pro­jets, ceux-ci res­taient désor­mais des rêveries,
car, à part les affaires, il vivait sur­tout des réminiscences
de sa jeu­nesse, pen­dant laquelle il avait côtoyé des
milieux liber­taires belges. Quant à sa femme, je crois qu’on
lui ferait du tort en lui attri­buant des intérêts
lit­té­raires : elle était quelque chose de plus, une
char­mante hôtesse. Enfin, je n’ai aucune rai­son de taire que,
à cette époque-là, je fré­quen­tais sa
mai­son sur­tout pour y ren­con­trer une jeune étudiante,
sta­li­nienne farouche, qui s’appelait Eli­nor Lipper.

Cor­dia­le­ment,
votre

Igna­zio
Silone

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