La Presse Anarchiste

La poésie

Ne jamais être trop sûr
de ses idées et oser le dire, c’est un devoir d’humilité,
peu com­mode pour s’entourer de par­ti­sans, certes, mais le premier
auquel devrait s’astreindre tout cri­tique, même occasionnel.
Et qu’il serait déplo­ra­ble­ment mes­quin de me sous­traire à
cet impé­ra­tif, voi­là bien ce que je dus me résigner
à me dire en lisant la si belle, si sérieuse, si
péné­trante étude à laquelle Maurice
Blan­chot a don­né le titre ci-des­sus dans le numéro
d’hommage à Clau­del publié par la NNRF en septembre.
Dieu sait cepen­dant si nom­breux sont les amis qui ont approuvé
les réserves de mes « Notes détachées »
de cet été ; et cepen­dant je ne suis pas loin de me
sen­tir plus inti­me­ment en accord avec ceux qui, au contraire, m’ont,
sur mes remarques d’alors, expri­mé leurs propres réserves.
Pour le dire en abré­gé – mais les rac­cour­cis, dans le
domaine poé­tique, sont tou­jours fâcheu­se­ment déformants
– je rap­pel­le­rai sim­ple­ment ici que, devi­nant quelque chose comme
une cas­sure chez Clau­del, j’avais par­lé du porte-à-faux
entre son cre­do sur­ar­chaïque et le confus appel des formes
modernes. Main­te­nant que j’ai lu Blan­chot, je m’accuse d’avoir
hor­ri­ble­ment sim­pli­fié. Et pas seule­ment lu Blan­chot, mais
relu à la lumière de ce qu’il expose l’ode de «
 La Muse qui est la grâce » et les autres grands poèmes
des débuts. Assu­ré­ment, il y a une « cassure »,
mais bien autre­ment pro­fonde, la cas­sure du Néant, cet appel
de l’extra-monde qui, peut-être, est la poé­sie en sa
plus haute essence. C’est la faute à Clau­del si, tentés
de le prendre au mot, nous cédons par­fois à la
ten­ta­tion de le croire, comme il se croyait lui-même, muré
de cer­ti­tudes, qui seraient, si elles étaient ce qu’il nous
dit, autant d’abdications et de com­pli­ci­tés. Je reste
per­sua­dé qu’une grande par­tie de l’œuvre est, de ce fait,
enta­chée de faux-sem­blant. Mais là où elle y
échappe nous serions aus­si bor­nés que l’homme Claudel
le fut tant de fois dans la vie, si nous refu­sions d’en reconnaître
l’authenticité et la grandeur.

J. P. Samson

Morale pas morte

Cer­taine édition
illus­trée, ven­due sous le man­teau, de « Que­relle de
Brest » et de « La Galère », vient, sous
pré­texte de lèse-morale, de valoir en cor­rec­tion­nelle à
Jean Genet huit mois de pri­son ferme.

Nos com­pli­ments. À Jean
Genet, bien entendu.

Quant à la magistrature,
loin de nous la pen­sée de pré­tendre qu’elle en est
encore à 1857, date du pro­cès des « Fleurs du mal
 ». L’un des juges de 1955 n’a‑t-il pas, en effet, félicité
Jean Genet de la musi­ca­li­té de ses vers ?

On arrête les poètes
– on n’arrête pas le progrès.

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