La Presse Anarchiste

Trois poèmes

Quand le bonheur me définit

Seul après Dieu et sans boussole
Voi­là mon geste et ma victoire.

Je suis en paix avec le ciel
avec la vie, avec les hommes.
J’ai tout fer­mé der­rière moi
J’ai tout ouvert à l’horizon
cer­tain d’y joindre le bonheur
dans la confiance des amis.
Et ma joie s’établit
hors du temps, près d’ici
en cer­ti­tude majestueuse
comme une allée de promenade
où c’est tou­jours soleil levant.

J’écoute le prin­temps et les feuilles s’allongent
à chaque bat­te­ment de mon cœur dans les arbres.
Je suis plein de dési­rs qui font du miel en moi
je ne demande rien que de gar­der l’essaim.

Pas d’espoir sur la main
pas de prière pour demain
Mon sang suf­fit à la demande.

La mort ne prouve rien et je le prouverai.

Quand vous sau­rez confondre une vague et la vie
la rose du pen­seur et l’étoile du sage
mêler aux inno­cents les bêtes criminelles
réunir à Caïn un Abel repentant
et construire au soleil une église de feuilles
sans but, sans loi, au nom de Rien
vous aurez décou­vert mieux que moi, loin de moi
que la vie n’a besoin pour annon­cer sa gloire
que de vie et de vie ajou­tée à la vie.

Car je suis trans­por­té d’avoir été vivant
sous un autre regard que celui de l’instant
où j’écris ce poème.
Cet ins­tant éternel
qui m’habille d’abeilles
de sel et d’étincelles
et qui m’offre un pou­voir sans rai­son ni légende
acces­sible à tous ceux qui ne meurent qu’au passé.

Le poète majeur

J’ai l’heure en moi, dit le poète
je n’ai jamais séché dans le champ des autres
jamais grap­pillé les rai­sins du prochain.
Pas de pirouettes, ni de faux sourires
je me crois tel, ni plus, ni moins.
Pas de génie, je suis moi-même
j’ai dépas­sé l’âge des clowns
des volon­taires de l’enfance
des bien-pen­sants en culottes courtes.

Vous pou­vez visi­ter, tout est simple et lumière.
Je n’ai pas de cou­loirs aux portes interdites
je n’ai pas de recette à éton­ner la foule.
Roman­tiques élans, bour­sou­flures sans nom
n’abîment pas mes lèvres
nuages, tra­gé­dies, ne sont pas de mon ciel.
Aucun doigt mort ne me conduit
aucun clo­cher ne me montre la vie
aucun mot d’ordre n’a puissance
pour qui défend le droit des mots.

Je suis majeur, c’est plus honnête.
Pas de défaite littéraire
ni de com­pli­ci­té édifiante.

L’âge du monde est inconnu.

Constat

Depuis le temps que nous prê­chons la Révolution
que nous jetons les Mani­festes au vent de l’enthousiasme
depuis notre jeu­nesse et la sai­son sensible
au crime d’obéir, aux men­songes de l’ordre
aux abus de la nuit et de l’injuste force
depuis le temps où nous avons découvert
la cou­leur rouge de notre cœur

ce n’est pas que les mots aient per­du leur saveur
ce n’est pas que l’amour ait rom­pu son élan

mais tant de guerres sont pas­sées sur la plaine et dans les airs

tant de cris sont res­tés sans échos sur la mer
sans pou­voir sur la foule et sur le poids des âges

que le balan­cier des misères
et les marées de l’injustice
nous ont mar­qués à notre tour.

Et le désir nous vient parfois
de recon­si­dé­rer le silence
et le pres­tige d’une attente
où la vraie vie se ferait seule.
Les poings se des­serrent, l’esprit se détend
la colère éton­née n’entend plus ses raisons.

Sagesse, calme, salut de l’âme !
Est-ce la paix
que de la por­ter seul au monde ?
Est-ce la paix par­mi les guerres
dans la débâcle du NON magique
de la sublime négation ?

Dans la folie qui nous assiège
nous suf­fit-il d’être vivants
heu­reux, confiants et sans espoir ?

Pierre Bou­jut

La Presse Anarchiste