Il y combattit, les armes à la main, au sein de la colonne italienne dont il fut un des organisateurs.
Il y combattit avec sa plume , en particulier en fondant et en dirigeant la revue Guerre de classes.
Un recueil des articles qu’il y publia vient de sortir aux Éditions Spartacus sous le titre : Guerre de classes en Espagne.
Voilà une réédition qui tombe à pic en ces temps de renaissance du mouvement anarchiste ibérique. Elle permet de faire connaître l’histoire de la révolution espagnole entre 36 et 37, avec ses points forts, mais également avec ses faiblesses.
Les analyses de Berneri sont d’une extrême lucidité et tout particulièrement celles concernant la situation intérieure espagnole et la position de l’Espagne sur l’échiquier international.
Dans l’article « Que faire » il montre l’hypocrisie de la politique de non intervention qui fait le jeu des fascistes espagnols et de leurs alliés allemands et italiens qui ne sont pas dans l’immédiat prêts à entrer en conflit armé contre l’Angleterre et la France.
Il dénonce les erreurs qui consistent à ménager l’Allemagne et l’Italie. Il nous faut, dit-il, adopter une politique étrangère énérgique :
« En ce qui concerne l’Allemagne et l’Italie : expulsion immédiate de tous leurs représentant diplomatiques, suspension du droit de survoler le territoire espagnol aux compagnies de navigation aérienne allemandes ; interdiction à tous les navires battant pavillon allemand ou italien de rentrer dans les ports espagnols, suspension de toute immunité pour les sujets bourgeois allemands et italiens résidant en Espagne ».
Il pense qu’avec une telle politique la France et l’Angleterre devraient prendre position et tant pis si cela doit déclencher un conflit armé international. De toute façon, à plus ou moins brève échéance, il est inévitable.
Il serait malhonnête de nous faire des illusions, écrit-il dans « Entre la guerre et la Révolution ». « Une intervention armée brusquée de la part de l’Angleterre, la Russie et la France n’est pas probable mais une telle intervention n’aurait rien d’impossible au moment où l’Espagne est sur le point de mourir. Ce sera l’intervention qui arrachera peut-être l’Espagne à l’impérialisme italo-allemand, mais ce sera pour étouffer l’incendie de la Révolution Espagnole ».
Et qui s’opposera à la CNT et à la FAI une fois le fascisme écrasé ? Le bloc socialo-communiste bien sûr, à qui l’intervention russe assure l’hégémonie, alors que jusqu’à maintenant, note-t-il dans « Troisième étape », il était complètement dominé par les anarchistes.
Berneri sait parfaitement les buts poursuivis et atteints par Moscou et ses fidèles. D’une phrase il en fait le constat : « Déjà aujourd’hui, l’Espagne est entre deux feux : Burgos et Moscou ». Mais nous ne sommes qu’en 36, l’espoir demeure, car : « Entre Burgos et Madrid, il y a Barcelone ».
Dans un certain nombre d’autres articles ce qui prime et passionne ce sont les prises de position de Berneri relevant du réalisme politique.
Il en est ainsi dans « La ville et la campagne » où il aborde le problème du ravitaillement alimentaire des villes. S’appuyant sur les expériences révolutionnaires précédentes (et en particulier sur la Révolution Russe) il souligne les effets désastreux que produisirent la réquisition ou l’achat des produits agricoles avec une monnaie sans valeur ou à des prix trop bas. L’échange de produits manufacturés contre des produits agricoles n’est pas non plus la solution car les paysans n’ont que très peu de besoins.
Pour éviter que ne surgissent un antagonisme entre ville et campagne, il faudra répondre aux possibilités et aux préférences des paysans et sans doute payer les produits agricoles avec une monnaie de poids et de valeur reconnue.
Dans « Guerre et Révolution » c’est ce même réalisme politique qui lui fait adopter une voie entre « ceux qui sont contraires à la socialisation » et « ceux qui y sont favorables de façon absolue et avec des tendances maximalistes ». Il explique ainsi cette prise de position qu’il qualifie lui-même de « centriste » : « Je pense que la socialisation de la grande et de la moyenne industrie est une « nécessité de la guerre » et une création indispensable de l’« économie de guerre ». Certains antifascistes en sont aussi persuadés que moi, mais il ne sont pas par principe collectivistes. En soutenant la « nécessité actuelle » de la socialisation de la grande et de la moyenne industrie, j’aurai pour moi ces antifascistes qui y consentiront et éventuellement apporteront leur aide ».
Le recueil se termine par quelques articles n’ayant pas trait à l’Espagne. Ils sont tous intéressants par l’actualité de leurs thèmes et comme bonne illustration de la pensée de Berneri. Nous n’en citerons que deux : « Abolition et extinction de l’État » est une critique du léninisme : « Qui dit État prolétaire » dit « capitalisme d’État » ; qui dit « dictature du prolétariat » dit « dictature du parti communiste » ; qui dit « gouvernement fort » dit « oligarchie tsariste des politiciens ». Léninistes, trotskistes, bordiguistes, centristes, ne sont divisés que par des conceptions tactiques différentes. Tous les bolcheviques, à quelque courant ou fraction qu’ils appartiennent, sont des partisans de la dictature politique et du socialisme d’État. Tous sont unis par la formule « dictature du prolétariat », formule équivoque qui correspond au « peuple souverain » du jacobinisme. Quel que soit le jacobinisme, il est destiné à faire dévier la révolution sociale. Et quand elle dévie, « l’ombre d’un Bonaparte » se profile. Il faut être aveugle pour ne pas voir que le bonapartisme stalinien n’est que l’ombre horrible et vivante du dictatorialisme léniniste ».
« La franc-maçonnerie et le fascisme » est une dénonciation des liens existant entre certains anarchistes et la F.M. : « Le fait que la F.M. ait été l’objet de persécutions et de violences de la part des nervis fascistes et du gouvernement de Mussolini est utilisé par les francs-maçons antifascistes qui tendent à faire oublier l’énorme responsabilité de cette association dans l’accession du fascisme au pouvoir. (…) Il existe une minorité d’anarchistes qu’aiguillonés par les « grands moyens », se sont laissés prendre au jeu politique de cet antifascisme équivoque »…
Berneri fut arrêté le 5 mai 37 par des flics en civil comme contre-révolutionnaire. La nuit même on découvrit son cadavre parmi d’autres, assassinés par des communistes aux ordres de la Guépéou.
Consort.