La Presse Anarchiste

À propos de Nietzsche

    Nietzsche ! Pauvre
cher grand homme, si décrié, si peu com­pris ! Ton
évan­gile de dure­té n’est qu’un hom­mage au cou­rage, à
la ver­tu virile par excel­lence. Per­sonne n’a sen­ti mieux que toi la
beau­té de l’homme qui est seul, qui le sait, qui porte seul
son faix, et allè­gre­ment si pos­sible, sans espé­rer de
rien ni de per­sonne. Ton « sur­homme » n’est
qu’un autre nom de l’homme, celui qui n’est pas, qui ne sera
peut-être jamais. Tu ne veux pas que sa volon­té ni ses
actes, la part faite, la plus petite pos­sible, aux nécessités
vitales, se subor­donnent aux inté­rêts, sou­vent sordides,
de la tri­bu. Tu veux que cha­cun soit d’a­bord lui-même et qu’il
œuvre a le deve­nir, sans fai­blesse ni com­plai­sance. Ton idéal
n’est pas une imper­son­nelle table de valeurs : il n’est ni tracé
ni pré­fi­gu­ré, en avant dans le temps, nul­le­ment au fond
des choses. Il est pour chaque être au dedans de lui, et il
s’a­git pour cha­cun de le recon­naître, de le déga­ger, de
l’a­me­ner à être, — en soi-même en se préparant
â acqué­rir les ver­tus actives ; dans ses actes,
sans quoi il n’est qu’illu­soire bavar­dage. Être dur pour soi,
pour tout ce qui détourne de l’œuvre, sculp­ter sa statue,
comme disaient les anciens, Pour être soi, c’est-a-dire pour
être ce qu’on a choi­si d’être. Car il faut que l’individu
soit, puisque sans lui rien n’est et rien ne naît. Vive donc
l’u­nique et périsse l’« idéal »
men­teur et meurtrier.

Paul Zwilling

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