Je résume
brièvement mon exposé.
J’ai essayé de
démontrer que l’homme était le produit de la tradition.
J’ai suivi l’évolution des diverses traditions et des
conditions qui les ont rendues bonnes ou mauvaises.
Il m’a semblé
qu’on pouvait en déduire qu’aucune d’elles n’était
fatale et que l’homme était apte à vivre n’importe quel
système social. De ce chaos il se dégage la certitude
que nous n’allons pas fatalement vers le bien, ni inévitablement
vers la stagnation. Puisque l’homme n’est pas la proie fatale d’une
tradition inexorable, j’ai esquissé les grandes lignes d’une
tradition nouvelle et ses chances de réalisation, qui me
paraissent résider dans l’évolution des relations
intercontinentales et l’apparition d’une certaine unité, créée
par l’esprit scientifique et rationnel et la technicité de la
production et de la consommation. Les religions, les morales, les
philosophies, les lois, les codes ont échoué dans leur
poursuite du bien et du mal. Le mal persiste et l’homme n’est pas
meilleur qu’il y a dix mille ans, parce que ses traditions, issues de
l’ignorance, de la peur et des nécessités, le façonnent
tel que nous le voyons.
Une autre tradition fera
d’autres hommes, lesquels seront peut-être bons, honnêtes,
équitables et fraternels, non pas parce qu’ils seront
meilleurs, mais parce qu’il leur sera impossible d’être
autrement.
Le seul écueil
dangereux, c’est l’anéantissement de la tradition par la folie
humaine, détruisant d’un seul coup tout l’acquis péniblement
accumulé. Avec le développement de son pouvoir,
l’homme intensifie toutes ses activités, les bonnes comme les
mauvaises. Que sa puissance soit employée à la
destruction et l’humanité perd dix mille ans d’expérience
et d’efforts ; qu’elle soit employée au bien-être
général et l’individu fait un bond gigantesque en
avant, devient maître de son temps et de ses activités
éthiques et esthétiques.
La durée seule
permettra l’évolution lente et progressive de la tradition par
le jeu des forces coordonnatrices des humains, plutôt
intéressés à vivre bien qu’à vivre mal.
Quant aux certitudes de
réalisation, elles reposent sur le déséquilibre
des forces en présence. Tout dépend des efforts que
tenteront les peuples intéressés, les groupements
sociaux, les individus. Une tradition ne se forme pas en un an. Elle
ne peut triompher qu’a la suite des siècles. Et j’ignore en
fin de compte si elle triomphera.
Il ne faut pas oublier
que les traditions actuelles sont emmêlées et
s’influencent les unes les autres. Faire triompher l’une et faire
disparaître les autres n’est pas chose aisée. Ceux qui
ont cru y parvenir par des révolutions violentes ont échoué,
car leurs soi-disant nouvelles traditions ressemblaient étrangement
aux anciennes et déterminaient a leur tour les mêmes
effets désastreux pour la paix et le bonheur des humains. Il
est très difficile de faire disparaître totalement, et
d’un seul coup, les erreurs du passé. Celui-ci nous domine
encore par le culte de la force, celui du profit, de la ruse, de
l’autorité ; celui de la jungle. Leur substituer l’usage
de la raison, de la douceur, de la bonté, de la générosité
et l’étude objective de tous les problèmes humains ;
faire triompher le droit sacré de l’individu de s’appartenir
en totalité et le respect de la vie de tout être humain,
ne sont pas l’œuvre d’une seule génération.
D’autre part,
l’organisation sur une vaste échelle des groupements humains
importants sur un modèle fédératif, me parait
impossible par spontanéité. Les provinces françaises
auraient pu former une fédération ; les cités
grecques et romaines également. Or, c’est la lutte qui en est
résultée et seule leur unification violente la fait
cesser.
Il me semble donc
difficile d’espérer l’organisation des peuples par une
fédération volontaire de groupements autonomes et
indépendants, variant de quelques centaines à quelques
millions d’individus, se respectant mutuellement et participant
librement à la production et à la consommation
générale. Là encore, je vois un processus
nécessaire d’unification, et plus tard d’organisation
fédérative par émancipation progressive des
groupements réintégrés alors volontairement dans
un système mondial répartiteur et purement technique,
basé sur l’heure de travail, avec faculté, pour les
indépendants, de régler leur vie à leur façon.
J’ajoute qu’à mon
sens une nouvelle formule sociale transitoire est à trouver.
Le capitalisme est condamné, le libéralisme également ;
le collectivisme, sous sa forme actuelle, est trop écraseur
d’individualité. J’ignore donc quel sera le système
social de demain, capable d’harmoniser les contraires, de se prêter
par sa souplesse à des transformations réelles et
profondes sans catastrophes sociales, capable surtout d’assurer
l’abondance en tout et pour tous, seule manière de transformer
les traditions agressives et malfaisantes, et d’y substituer une
tradition d’entr’aide et de liberté, aidée, dans ce
travail gigantesque, par la culture incessante de tous les humains de
la planète.
Mais si ce système
social se réalise et s’impose au cours des siècles, ce
sera par l’effort continu des véritables élites
désintéressées, qui sauront convaincre les
hommes qu’il est plus avantageux d’associer leurs efforts pour le
bien-être de tous, que de lutter les uns contre les autres pour
le triomphe d’une parasitaire minorité.
Ixigrec.