Je
reçois d’un ami la lettre suivante qui répond,
croyons-nous, aux sentiments d’un grand nombre de nos lecteurs.
Morteau, 16 Juin 1901.
Cher Monsieur Coulon,
Merci
pour « l’Ère Nouvelle » je vous assure
que je la lis attentivement. Je la trouve très intéressante
et mes vœux les plus sincères vont aux vaillants champions
qui l’ont créée. Ici nous avons un groupe socialiste
indépendant, j’en ai fait partie pendant quelques temps. Mais
comme je déteste les sectaires j’ai du démissionner. Je
suis très observateur, certes l’idée socialiste
collectiviste est très noble mais ce que j’ai observé
m’a écœuré. Une grande majorité de ses membres
sont trop combatifs, trop autoritaires, trop matérialistes.
Ils ont fait de leurs principes, une chapelle et tout ce qui fait
quelques réserves ou qui croit à une autre tactique
plus large, plus rationnelle, est excommunié. Vous l’avez vu à
Lyon tout récemment. Or, comme je comprends vos principes ou
comme je crois les comprendre, vous avez laissé de côté
toute intransigeance vous faites appel à toutes les bonnes
volontés, en vous inspirant d’un seul principe qui est
l’Évangile. Certes, Jésus-Christ fut un grand
socialiste, il fut davantage même, il fut un libertaire, car il
était en opposition continuelle avec les lois, les mœurs et
les coutumes de son temps. Rempli de miséricorde pour les
petits, dur envers les puissants et les riches, il combattit pendant
sa vie terrestre, l’hypocrisie et l’injustice sous toutes leurs
formes.
Comme
vous, je crois fermement que l’idée sociale doit s’inspirer de
ce grand Maître socialiste.
Comme
vous, je crois que ses principes ont été truqués,
faussés, mis au service des puissants pour asservir et
opprimer la grande masse du prolétariat. Donc honneur à
ceux qui ont le courage et l’énergie de les redresser et les
présenter au peuple sans fausse interprétation.
Dans
ma dernière lettre j’avais fait quelques réserves
concernant votre programme. À mon avis, j’aimerais plus de
matérialité dans votre propagande ; sans doute il
est toujours bon de s’inspirer du Maître, mais il est aussi
urgent de considérer que nous vivons dans une société
corrompue, où l’on voit constamment la justice la plus
élémentaire faussée au bénéfice
des puissants, où l’on voit un bloc réactionnaire
faisant, au nom de Dieu, la besogne la plus inhumaine qui soit au
monde ; où l’on voit la classe possédante se
vautrer dans les jouissances les plus viles ; où l’on
voit enfin la vie du prolétaire devenir de plus en plus
difficile et défectueuse, où la famille n’existe pour
ainsi dire plus ; où la femme et les enfants dès
qu’ils peuvent à peine se tenir sur leurs jambes sont envoyés
à l’atelier, afin de rapporter à la maisonnée un
salaire de famine les empêchant à peine de crever la
faim. Jésus-Christ a prêché la résignation
et la douceur mais il a proclamé aussi le bonheur et la
justice pour tous.
Je
termine Monsieur Coulon, peut-être mes principes ne sont-ils
pas tout à fait en communion avec les vôtres, mais
j’espère que nous pouvons combattre ensemble pour le généreux
idéal de la Justice et de l’Humanité.
Je
vous serre cordialement la main.
G.
Schmitt.
J’ai
demandé à mon Camarade Armand la publication in-extenso
de cette lettre, car elle constitue à elle seule tout un
article et comme la Rédaction m’en demande un depuis le
premier numéro, je lui ai donné celui-là avec la
réponse que voilà,
Cher
Camarade,
Nous
savons que la Société est tout ce que vous dites et
dans l’Ère Nouvelle nous acceptons, comme vous le dites si
bien, toutes les bonnes volontés, afin de combattre les
iniquités de toute espèce. Nous avons deux façons
d’examiner ce qui se passe autour de nous, l’une au point de vue
social, l’autre au point de vue spirituel ; ceux qui se sentent
portés à lutter socialement le font, et ceux qui
veulent lutter sur le terrain spirituel le font aussi ; donc
liberté entière à condition qu’aucun de nous ne
veuille que son frère partage absolument sa façon de
voir, c’est-à-dire qu’il faut que nous ayons les uns envers
les autres l’esprit de support et l’esprit de tolérance.
Marchons
dans l’union de nos idées diverses pour un seul but :
celui de la régénération sociale, de la
véritable fraternité de l’entière liberté,
et surtout de l’amour fraternel ; plus de haine, plus de
divisions, laissons de côté les sectaires et
unissons-nous dans la doctrine du Christ qui est celle-ci :
« Aimez-vous les uns les autres »
N.B.
Cher camarade, je dois ajouter que je suis porté a parler du
Christ au point de vue spirituel, car par l’expérience qui
s’est passé en moi à l’âge de 24 ans, j ai appris
que l’homme, (moi par conséquent) est mauvais et qu’il ne peut
aimer son prochain autant que lui-même s’il n’y est aidé
par une force toute puissante. J’étais mauvais et si
aujourd’hui j’aime tous les hommes, pardonnant à tous ceux qui
m’ont fait du mal, aimant ceux qui me persécutent c’est parce
que mon cœur a été transformé par la puissance
de Dieu, c’est parce que j’ai pris Jésus-Christ pour ce qu’il
est véritablement : mon Sauveur ; Celui qui a payé
ma dette vis-à-vis de Dieu et qui vient vivre en moi par son
esprit ; et pour moi je crois que la société ne
sera bonne que quand chaque individu, en venant au Christ, aura subi
sa propre régénération.
Mon
opinion n’engage pas la vôtre ni celle de ceux qui adhèrent
à l’Ère nouvelle, car j’ai des amis qui croient que la
régénération sociale aura lieu d’abord et
qu’ensuite les hommes, ayant le temps de pouvoir étudier
Christ, viendront à Lui, mais en attendant nous sommes unis
pour combattre les iniquités, chacun dans la sphère ou
il se sent appelé ; ceux qui adhèrent à nos
principes s’abonnent et ceux qui veulent même de loin, faire
partie du groupement parisien l’Ère Nouvelle sont priés
de nous aider pécuniairement pour pouvoir soutenir une salle
que nous avons ouverte et où nous annonçons ces
choses ; nous ne sommes que des petits, que des pauvres, mais le
monde a été remué et transformé par
quelques pêcheurs galiléens que Christ avait choisi pour
ses disciples ; si nous sommes unis, nous ferons des choses
semblables.
Cher
camarade, je vous serre affectueusement la main et à bientôt.
G.
Coulon