Notre attitude actuelle
à l’égard de la menstruation est une survivance de
l’état d’esprit qui régnait jadis chez les primitifs.
Parmi ces peuples, la femme en état de menstruation était
regardée comme impure, possédée par de mauvais
esprits, et l’on croyait que quelque fantôme ou bête
sauvage avait mordu ses parties sexuelles. Non seulement elle-même,
mais tout ce qu’elle touchait, était cru « impur ».
Conséquemment, tant que durait l’écoulement, on
l’isolait et on la considérait temporairement comme uns
proscrite. On lui interdisait de préparer la nourriture ou de
toucher à quoi que ce soit dans la hutte ou la cabane,
particulièrement de s’approcher des hommes ; on défendait
également à ces derniers de toucher la femme
menstruante ou tout objet lui appartenant ; ils ne devaient pas
lui permettre de s’approcher d’eux ou de quoi que ce soit en leur
possession.
Les primitifs croyaient
que le sang menstruel est doué de pouvoir magique ; on
s’imaginait qu’il pouvait amener le malheur et même la mort sur
ceux qui le voyaient ou le touchaient. Un chasseur ou un guerrier, en
route pour une expédition, revenait sur ses pas, dès
qu’il apercevait une trace de ce qu’il croyait être du sang
menstruel sur son sentier ; il préférait ajourner
son entreprise à courir le risque d’un malheur. On peut
facilement concevoir la crainte et la honte que faisaient peser sur
la femme ces croyances et ce sentiment d’impureté. Évitée
par tous, fuie de tous, elle se sentait vraiment au ban de son milieu
social, la coupable de quelque terrible crime. Ce n’était
certes pas une pensée agréable pour la femme d’être
considérée comme se trouvant sous la dépendance
d’un mauvais esprit, d’autant plus qu’elle le croyait, elle-même.
Elle ignorait la véritable explication physiologique du
phénomène, la seule interprétation valable
consistait dans l’intervention magique des esprits, interprétation
qui expliquait alors tout ce qui autrement restait inexplicable.
Jusqu’à un certain point, nous paraissons nous-mêmes
avoir hérité de cette attitude à l’égard
de la menstruation, legs des générations qui ont
précédé la nôtre. Nous la voyons
réapparaître, cette attitude, dans les sentiments
d’infériorité, de dépression, de négligence
dont les femmes se plaignent d’être victimes tout de suite
avant, pendant et immédiatement après la période
menstruelle.
L’histoire de la vie
individuelle répète celle de la race. Chaque femme
subit dans sa vie l’alarmante expérience de la menstruation
première, succédant à une période plus ou
moins troublée, physiquement et émotionnellement,
annonciatrice de l’adolescence.
Des modifications
corporelles et des émotions inconnues jusqu’alors et
auxquelles la jeune fille n’était préparée par
aucune explication préalable et sympathique, s’achèvent
par une décharge sanglante, accompagnée souvent de
vives douleurs. Ceci naturellement engendre la crainte et la patiente
a fréquemment le sentiment qu’elle est la proie de quelque
terrible maladie ; elle se compare à la femme « au
flux de sang en sa chair » de la Bible. De plus, dans son
angoisse, elle n’ose demander information ou conseil, redoutant la
réponse qu’on lui donnera ou même d’encourir un blâme.
Les premières
menstrues agissent comme un choc dans la vie de la jeune fille. Tilt
a trouvé que sur 100 jeunes filles, 25 n’étaient
absolument pas préparées à l’apparition de
l’écoulement menstruel. Sur ces 25, 13 furent si effrayées
qu’elles se mirent à pousser des cris et à manifester
des attaques de nerfs. Sur ces 13, six essayèrent d’arrêter
l’écoulement en se lavant à l’eau froide. Chez deux de
ces six, les règles ne réapparurent pas pendant
plusieurs années.
la toxine menstruelle2
On a toujours cru, depuis
une haute antiquité — et nombreux sont ceux qui partagent
encore cette croyance — que l’attouchement d’une femme en état
de menstruation peut amener les fleurs à se faner et provoquer
une corruption rapide de la nourriture. De récentes
investigations scientifiques ont montré que tout n’est pas
erroné dans cette croyance. Schick, en 1920, observa que des
fleurs coupées manipulées par des femmes indisposées
se flétrissaient bientôt, et il attribue ce fait à
une substance toxique contenue dans leurs sécrétions
cutanées, car l’effet ne se produisait pas chez les femmes
gantées. Plus tard, Macht et Lubin constatèrent
l’existence d’une « toxine menstruelle »
exsudée dans la sueur des femmes en état menstruel et
qui a un effet délétère sur les tissus des
plantes vivantes.
Les observations de
Schick que les fleurs coupées manipulées par des femmes
en état de menstruation se fanaient rapidement, l’amenèrent
à conclure que la sécrétion cutanée de
leur peau contient une substance toxique agissant sur les fleurs de
façon défavorable. Cette substance toxique (ménotoxine)
fut découverte dans le sérum sanguin, les corpuscules
sanguins, la salive, la sueur, le lait et autres sécrétions
de toute femme en état menstruel, pratiquement parlant, bien
qu’on remarque de notables variations individuelles dans le degré
de toxicité, ainsi qu’il résulte d’expériences
faites sur les jeunes plantes. Les effets les plus sensibles se
produisent juste avant le déclenchement des périodes et
durant les quelques premiers jours du flux menstruel. Cette toxine
menstruelle aurait un rapport chimique avec l’oxycholestérine.
Novak est d’opinion que si les observations de Schick, Macht et Lubin
montrent que certains des fluides du corps féminin en état
de menstruation contiennent une substance nuisible à la vie
végétale, cela ne peut être interprété
comme signifiant que la menstruation ait des effets purifiants pour
la femme.
Même aujourd’hui,
chez les paysans allemands, on croit qu’une femme en état de
menstruation, fait tourner le vin et arrête la croissance de la
végétation des champs qu’elle traverse. Dans certaines
parties de la France, on leur interdit, parai-il, l’accès des
sucreries, de crainte qu’elles ne fassent noircir le sucre. En
Afrique, on croit qu’elles font surir le lait qu’elles touchent. Au
Mexique, on ne leur permet pas de pénétrer dans les
mines d’argent, de crainte que ne disparaissent les veines du métal.
En Chine, on croit qu’elles rendent l’opium amer. En Angleterre, on
les accuse parfois de corrompre la viande. Dans quelques endroits des
États-Unis, on prétend qu’elles peuvent briser les
cordes de violon et même, a distance, arrêter les
pendules !
de certaines croyances des primitifs2
Parmi les tribus les
plus anciennes, la fonction menstruelle est regardée a peu
près comme elle l’était par les anciens hébreux.
Durant la période menstruelle, on évite la femme de la
même façon qu’on le faisait pour les lépreux au
Moyen-Age. Dans quelques régions du monde, il lui faut porter
un vêtement spécial tant que durent les règles.
On exige souvent de la femme en état de menstruation qu’elle
avertisse à haute voix ceux qu’elle rencontre, de façon
à ce qu’ils ne deviennent pas impurs a son contact. Au Japon,
parmi les Hottentos, chez les Indiens de l’Amérique du Nord
(comme dans nombre d’autres pays), on assigne aux femmes en cet état
une demeure spéciale. Dans l’Angola, elles portent un bandage
autour de la tête et on les fouette si la crise dépasse
le temps normal. Selon Colombat, les Indiens Illinois punissaient de
mort toute femme qui négligeait d’avertir qu’elle était
indisposée.
Dans le Zend Avesta (le
livre sacré des Perses) la femme en état de
menstruation est, tout connue dans la Bible, considérée
comme « impure ». Le Lévitique range
dans la même catégorie la femme ayant « un
flux de sang » et l’homme atteint de gonorrhée.
Tous deux sont impurs et l’un et l’autre sont sujets aux mêmes
procédés de purification quand ils se présentent
au sacrificateur.
Le Lévitique
interdit les rapports sexuels durant la menstruation et pendant
plusieurs jours ensuite ; c’est a l’observation de cette
prescription que certains attribuent la vitalité des Juifs.
Les Perses proscrivaient également les relations sexuelles
pendant la période cataméniale. Les raisons de ces
prohibitions s’expliquent par le fait bien établi que les
rapports de l’homme avec la femme se trouvant en cet état,
peuvent amener chez lui la gonorrhée, alors même
qu’auparavant l’un et l’autre étaient sains.
quelques superstitions2
Parmi les races
primitives, les prêtres ne conversent pas avec les femmes
menstruantes. Chez les premiers chrétiens, on ne les laissait
pas pénétrer ni prier dans les églises, ni
communier ; elles ne pouvaient être baptisées. On
ne leur permet pas non plus d’entrer dans les temples shintoïstes.
Les prêtres païens, au temps de Porphyre, n’avaient aucun
rapport avec elles. Chez les Juifs, on ne les autorisait pas à
pénétrer dans une synagogue, prier, prononcer le nom de
la divinité, ou manipuler un livre sacré.
Chez les Tshis, on
affirme que les dieux manifestent une grande répugnance à
l’égard des femmes menstruantes. Chez les Ewes, elles ne
peuvent pas rendre visite à un prêtre pour lui demander
d’intercéder pour qu’elles deviennent mères. Dans la
Perse, on ne leur permet pas de contempler le ciel, les étoiles,
l’eau courante ou un homme pur.
S’il est quelque chose
que redoute au monde l’indien Winnebago, c’est bien le flux
menstruel, car il prétend que les esprits eux-mêmes
meurent de ses effets, Parmi les indiens Pieds-Noirs, la femme
indisposée doit être tenue éloignée des
objets sacrés et des malades ; quelque chose frapperait
le patient « comme s’il s’agissait d’une balle et
empirerait son état », si une femme indisposée
l’approchait.
L’anthropologiste Lowie
eut, en 1906, l’occasion d’observer la mise à l’écart
des femmes Shoshoni de l’Idaho, durant la période menstruelle.
Il observa que parmi eux, l’abstention de viande était alors
obligatoire. Le même tabou alimentaire était observé
par une tribu apparentée, les Pavostso de Nevada, qui ne
permettaient pas à leurs femmes de manger de la viande. Les
Shasla californiens aménagent une hutte spéciale,
prescrivent une alimentation strictement tabou et enjoignent à
la femme en état de menstruation de ne regarder personne tant
que dure cet état. S’il arrive à une femme d’être
soudainement indisposée à la maison, tous les hommes
qui se trouvent la ramassent leurs arcs, leurs flèches, leurs
filets et parlent en toute hâte, de peur d’être
contaminés.
Chez les Athabascans du
Nord « on ne redoutait presque personne autant qu’une
femme indisposée » qui ne mangeait que du poisson
séché, absorbait de l’eau au moyen d’un tube, n’était
autorisée ni à vivre avec son mari, ni à toucher
à quoi que ce soit appartenant aux hommes, ou ayant rapport à
la chasse, de crainte qu’elle contamine ces objets et condamne les
chasseurs à l’échec. Chez les Chipewans, les femmes
vivaient solitaires dans un abri tant que durait la crise menstruelle
et on ne leur permettait ni de déambuler près d’un
filet ou de manger la tête d’un animal quelconque.
les motifs de la ” mise à part “2
La mise à part,
la solitude imposée aux femmes en état de menstruation
chez les primitifs, semble avoir un double but : 1°
permettre à celles-ci de se reposer durant la période
cataméniale en leur fournissant tout ce dont elles peuvent
avoir besoin matériellement parlant et en les exemptant de
tout travail ; 2° les éloigner des hommes, empêchant
ainsi tout rapport sexuel au cours de cette période. Il parait
évident que les interdictions mosaïques poursuivaient le
même dessein. Tout cela nous amène à nous
demander si les peuples primitifs, en prenant de telles précautions,
ne montraient pas une plus réelle humanité et une
sagesse plus grande que les soi-disant civilisés qui se
soucient fort peu des femmes menstruantes, les obligeant à
travailler tout le long du mois et à vivre dans la même
chambre à coucher que leur compagnon, quand ce n’est pas à
partager son lit.
Chez les primitifs, en
général, dès l’apparition du flux menstruel, la
jeune fille est astreinte à la solitude, séparée
des hommes, soumise à une diète spéciale. Cette
situation se prolonge une année durant. Il est évident
que l’attention témoignée a la jeune fille en cette
période critique influencera favorablement sa future
existence maternelle et menstruelle. Dans la Guyane anglaise, quand
les régles apparaissent chez une jeune fille, on l’enferme
pendant trois jours, durant lesquels elle jeûne, puis elle
demeure solitaire pendant un mois et, au cours de celle période,
ne mange d’aliments carnés d’aucune espèce, se
nourrissant de racines crues, de pain de cassava, et buvant de l’eau.
Selon Parker, chez les indiens Ojybway, lorsque approche le moment où
les règles apparaissent chez une jeune fille, la mère
surveille attentivement les signes précurseurs ; aussitôt
l’écoulement sanguin survenu, la jeune fille quitte la maison
et s’en va vivre solitaire dans un wigwam, là elle jeûne
pendant cinq jours, et plus longtemps elle jeûne mieux elle se
porte, croit-on ! Bien entendu, on lui interdit, tant que dure
sa situation, la compagnie des hommes.
Chez les Chinook de la
Basse-Colonie, la jeune adolescente est sujette à de sévères
restrictions ; elle ne peut se chauffer, elle ne peut jeter les
yeux sur autrui ; elle ne peut cueillir de baies. Lors des
périodes cataméniales ultérieures, elles ne peut
être vue par un malade ; il est interdit d’ailleurs aux
malades de manger des baies cueillies par une femme indisposée.
Les naturels de la Terre
de Feu imposent un jeûne à leurs jeunes filles au moment
de la puberté. De même, chez les Siusi, on leur impose
certaines restrictions alimentaires. Les habitants des îles
Andaman, interdisent aux femmes, à l’époque des règles,
certaines nourritures, à cause de l’effet déplorable
qu’elles pourraient avoir sur leur santé. Chez les Bushmen,
l’adolescente est, pour un temps, confinée dans une petite
hutte, dont la porte est refermée sur elle par sa mère.
Sous-jacentes à
tous ces cas, et tenant compte des exagérations, bien entendu,
il semble qu’on se trouve en présence de saines lois
physiologiques et psychologiques.
Dr Walter Siegmeister.
(The Modern Psychologist).