La Presse Anarchiste

L’équilibre du monde est menacé par la banqueroute politique des USA

Nous
vivons des heures graves, dan­ge­reuses pour la paix rela­tive du
monde.

En
effet, la conven­tion tacite, sur laquelle se fon­dait, depuis 1946, la
« coexis­tence » des blocs, est ébranlée
de toutes parts. Elle com­por­tait la non-inter­ven­tion soviétique
dans les pays du bloc atlan­tique – et, à titre de
réci­pro­ci­té, le dés­in­té­res­se­ment de
l’Occident dans les affaires des pays est européens
tom­bés, à Yal­ta, Téhé­ran et Pots­dam, dans
l’orbite de l’URSS. En fait, la non inter­ven­tion a été
à sens unique et l’action des cin­quièmes colonnes
com­mu­nistes n’a ces­sé de mar­quer des points. Bien qu’au
départ, les pays « du gla­cis » aient été
consi­dé­rés comme sou­mis à un contrôle
lar­ge­ment inter­na­tio­nal qui y garan­tis­sait l’exercice d’un
sys­tème « clas­si­que­ment démocratique »,
la pré­ten­due « démo­cra­tie populaire »
deve­nue à l’ombre des tanks russes l’équivalent
de la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » – a
évo­lué, en Pologne, en Alle­magne de l’Est, en
Rou­ma­nie, en Hon­grie, en Bul­ga­rie, en Alba­nie et dans deux autres
pays, d’influence « mixte », la
Tché­co­slo­va­quie et la You­go­sla­vie, vers le régime du
Par­ti unique, de l’Etat tota­li­taire et de l’intégration au
Sys­tème mili­taire sovié­tique. En outre, la Chine
entière, soit un conti­nent mas­sif de 600 à 700 millions
d’habitants, est tom­bée comme un fruit mûr des mains
mal­propres de Chang Kai-chek entre les mains trem­pées de sang
de Mao Tsé tung, ren­ver­sant ain­si, au pro­fit du
bol­che­visme sta­li­nien, l’équilibre rela­tif des
forces
tel qu’il avait été réta­bli, vaille
que vaille, après la chute des puis­sances de l’Axe
Ber­lin Rome Tokio Madrid. Ces défaites
accu­mu­lées ont mar­qué l’échec de la politique
de Tru­man, dite de « conten­tion », et l’accès
au pou­voir des Répu­bli­cains avec la présidence
d’Eisenhower.

Dès
lors à la for­mule du contain­ment fut sub­sti­tuée
sur le papier, mais sur le papier seule­ment, celle dite de la
« libé­ra­tion ». Plus exac­te­ment, à
la double tac­tique effec­tive de sabo­tage et de conquête
pour­sui­vie par le Krem­lin à tra­vers tout le « monde
libre », a répon­du l’agitation pure­ment verbale
des agences de pro­pa­gande amé­ri­caines du type Free Europe.
En somme, le prin­cipe de la non immix­tion s’est borné
à l’aspect mili­taire des choses, les armées restant,
en prin­cipe, can­ton­nées d’un côté et de l’autre
du fameux « rideau de fer » euro­péen et
de ce que l’on a appe­lé, par ana­lo­gie, le « rideau
de bam­bou » extrême orien­tal. Mais le travail
poli­tique de des­truc­tion entre­pris par les sta­li­niens en Occident
reste sans contre par­tie. Sur le plan pure­ment défensif,
les crises aiguës de Ber­lin Ouest, de Corée et
d’Indochine ont même démon­tré une volonté
tou­jours moins effec­tive de résis­tance de la part du bloc
mari­time, et c’est pour­quoi ces crises se sont sol­dées, la
pre­mière par le suc­cès du pont aérien, la
seconde par un grave recul stra­té­gique, la troisième
par une liqui­da­tion presque totale des posi­tions locales de
l’Occident – la brèche ouverte par les offensives
orien­tales étant pour­tant tant bien que mal colmatée.
La fai­blesse notoire de l’administration répu­bli­caine étant
un encou­ra­ge­ment évident à une poli­tique encore plus
dyna­mique des Soviets, il fal­lait s’attendre à quelque coup
de théâtre. Or, deux faits nou­veaux d’une importance
incal­cu­lable sont venus signa­ler coup sur coup l’impuissance
amé­ri­caine ; le pre­mier est la crise de déstalinisation
écla­tant en Rus­sie et dans les pays satel­lites européens
sans trou­ver à Washing­ton aucun appui ; le second, celui
de l’entrée en scène mas­sive du monde arabe comme un
élé­ment échap­pant au contrôle occidental
et tom­bant sous la domi­na­tion du Krem­lin, sans que MM. Dulles et
Hoo­ver aient rien fait (bien au contraire) pour évi­ter cette
catastrophe.

La crise
du sta­li­nisme peut se résu­mer ain­si : les Partis
com­mu­nistes de plu­sieurs nations enchaî­nées au pacte de
Var­so­vie ont, après une infla­tion énorme d’effectifs
et une expé­rience désas­treuse sur le plan
éco­no­mi­co social, ces­sé d’être « sûrs » ;
la dévia­tion titiste est deve­nue le cou­rant domi­nant, non
seule­ment en You­go­sla­vie, mais en Pologne, en Hon­grie, en Roumanie,
et ces pays ne sont rete­nus dans l’alliance et sous le joug
mos­co­vite que dans la mesure où ils bénéficient
sur le plan étroi­te­ment natio­nal d’avantages territoriaux,
dont l’URSS est le prin­ci­pal garant. [[Ain­si
la dif­fé­rence de com­por­te­ment entre les Polo­nais et les
Hon­grois est liée à l’octroi à la Pologne d’un
ter­ri­toire alle­mand en com­pen­sa­tion des annexions russes, opérées
à l’est du pays, tan­dis que la Hon­grie, trai­tée en
pays vain­cu, a été réduite à son noyau le
plus pur, selon le pré­cé­dent du trai­té de Trianon.]]

Dans les
pays arabes, l’influence du Krem­lin ne s’exerce point par
l’intermédiaire des Par­tis com­mu­nistes. Loin de se
déve­lop­per comme ins­tru­ments de contrôle du pouvoir,
ceux ci demeurent embryon­naires et sou­vent ils sont plongés
dans l’illégalité, car le monde musulman,
essen­tiel­le­ment théo­cra­tique, ne tolère pas l’athéisme
bol­che­vik. Cepen­dant les Soviets ont réus­si à exploiter
les res­sen­ti­ments pro­fonds des pays arabes contre l’impérialisme
« mou », en déclin conti­nuel, de
l’Angleterre et de la France et, plus géné­ra­le­ment, à
faire des mou­ve­ments anti­co­lo­niaux d’Afrique, d’Asie (et même
d’Amérique) leurs ins­tru­ments sur le plan diplo­ma­tique et
mili­taire. Le triomphe de cette poli­tique offen­sive, qui a pour
théâtres prin­ci­paux l’Afrique du Nord et le
Moyen Orient, a été une opé­ra­tion qui
ébranle jusqu’en ses fon­de­ments le sys­tème économique
et tech­nique de l’Ouest Europe par le sabo­tage du canal de
Suez et celui des pipe fines qui relient le Moyen Orient à
la Médi­ter­ra­née. Mais, le plus fort, c’est que cette
opé­ra­tion sovié­tique s’est accom­plie avec la
béné­dic­tion des Amé­ri­cains, qui ont lais­sé
faire,
en Égypte comme en Hon­grie, et même ont pris
le par­ti de Nas­ser. Or, si la crise de l’uranium hon­grois n’est
pour le bloc orien­tal qu’une dif­fi­cul­té compromettant
l’avenir, et par­ti­cu­liè­re­ment celui du poten­tiel de
guerre des bol­che­viks, la crise du pétrole et l’interruption
des rela­tions mari­times par la mer Rouge frappe les bases les plus
pro­fondes d’une civi­li­sa­tion actuel­le­ment fon­dée sur
l’usage des car­bu­rants liquides, comme source d’énergie et
de matières pre­mières. Ce n’est pas seule­ment le
poten­tiel de guerre de l’Occident qui se trouve atteint ;
c’est le fonc­tion­ne­ment même des indus­tries, des transports
et, par des­sus tout, d’une ali­men­ta­tion fon­dée sur
l’usage rural des tracteurs.

Ain­si,
en se livrant à une déma­go­gie élec­to­rale ou
idéo­lo­gique sans lende­main, le Par­ti républicain
vient de consom­mer, sans même s’en aper­ce­voir, une double
ban­que­route ; il a tué la confiance des satel­lites en un
appui quel­conque face aux tyrans du Krem­lin, et il a paralysé
les der­niers efforts de l’Occident pour assai­nir les rap­ports avec
le monde arabe.

A.P.

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