Que
l’on veuille bien nous excuser si le présent numéro
d’« automne » sort avec un si notable retard.
L’admirable sursaut du peuple hongrois nous imposait de parler
d’abord et avant tout du grand petit pays martyr, et l’on
concevra qu’il a fallu du temps pour rassembler des textes
significatifs. Mais ce n’est point là l’unique raison de
l’ajournement que nous avons subi : l’horreur de la répression
russe fut si abjecte et le sentiment de notre honteuse impuissance à
tous devant le crime à tel point étouffant que nous
avons été à deux doigts de céder à
la tentation de saborder ces modestes cahiers. À quoi bon parler,
écrire, penser même, quand seuls les tanks gardent le
dernier mot ? Et pourtant non : abdiquer ainsi eût
été indigne de nos frères de Hongrie, qui ont si
bien su démontrer que, fût elle vouée à
un échec militaire, la révolte du cœur et de l’esprit
n’en suffit cependant pas moins à ébranler tout un
empire. La seule chose, hélas, que nous puissions faire pour
eux c’est au moins de ne pas nous taire et, dans la triste mesure
de nos trop faibles moyens, de rendre hommage à la grandeur –
dont nous ne sommes que trop exclus – de leur fierté et de
leurs actes.
Hommage
malheureusement fragmentaire.
D’autres
seront mieux qualifiés que nous pour tirer les leçons
historiques et sociales de la tragédie. D’autres
aussi, de par leur connaissance plus approfondie de la vie
intellectuelle hongroise contemporaine, pourront donner une image
plus circonstanciée de l’explosion de pensée libre
qui fut à l’origine de l’insurrection – comme on en a
déjà pu trouver ailleurs la pertinente esquisse sous la
plume de François Fetjö et telle que Silone en mesure ici
même l’inestimable portée. Mais cette
résurrection de la liberté serait impensable sans la
magnifique tradition de non conformisme de l’esprit et de
l’art hongrois. Et c’est pourquoi il nous a paru pouvoir
rendre hommage au miracle actuel du risorgimento magyar
en réunissant quelques textes de poètes de Hongrie dont
les plus grands ici représentés – un Petöfi, un
Attila Jozsef – ne sont plus nos contemporains. Qu’importe
en effet : car, contemporain, leur esprit le demeure.
Précisons
que la réalisation du présent numéro n’eût
pas été possible sans l’inappréciable apport
d’André Prudhommeaux. Entre autres, toutes les traductions
non signées sont de sa main, établies avec
l’aide d’amis hongrois, dont le conteur et dramaturge Miklos
Hubay.
Ajoutons
enfin que c’est parce que nous sommes nettement conscients du
caractère fragmentaire du choix ici rassemblé que nous
avons préféré ne point donner au présent
cahier la forme spécifique d’un numéro double.
Janvier
1956
Témoins