Dans le
New Leader du 6 août dernier, Jaime Miratvilles, ancien
secrétaire à l’Information du gouvernement autonome
de Catalogne pendant la guerre civile espagnole, raconte la
ténébreuse histoire de « Pedro »,
qui fut le véritable plénipotentiaire de Staline en
Espagne ; peu le connaissaient, mais à son obédience
n’en étaient pas moins assujettis tous les communistes, tant
espagnols qu’étrangers de même que l’ambassadeur
soviétique à Madrid, Rosenberg, et le consul général
soviétique à Barcelone, Antonov Ovsienko, l’homme
qui, pendant les journées d’octobre, avait conçu,
ensemble avec Trotzki, l’assaut au Palais d’Hiver, et l’avait
commandé en personne.
La
mission d’Antonov Ovsienko était de persuader les
anarchistes et les autonomistes catalans de soutenir la position
communiste. Non seulement il ne le fit pas – dit Miratvilles –
mais encore il fit tout le contraire, sympathisant avec les
anarchistes au point qu’il lui arriva une fois de crier en public
en catalan : « Vive la CNT ! » (la
Confederación nacional del trabajo, anarchiste). Il ne devait
pas s’écouler beaucoup de temps avant qu’Antonov Ovsienko
ne fût rappelé en Russie : on lui fit savoir qu’en
récompense de ses éminents services, il avait été
nommé commissaire à la justice, et, quelques jours plus
tard, il recevait un numéro de la Pravda contenant
l’annonce officielle de sa nomination. Arrivé à
Moscou, Antonov Ovsienko fut immédiatement accusé
de « faiblesse criminelle », arrêté
et fusillé. Il est – le second est Kossior l’un des deux
« vieux bolcheviks » sur le sort desquels
Khrouchtchev, dans son fameux rapport, s’est le plus apitoyé.
Or,
Miratvilles affirme qu’un ancien membre du Comité central du
parti communiste catalan, Cabrer Palls, lui a personnellement assuré
que le dénonciateur d’Antonov Ovsienko ne fut autre que
« Pedro ». Détail digne de remarque, le
numéro de la Pravda contenant la nomination d’Ovsienko
au poste de commissaire à la justice, n’existe pas dans la
collection ordinaire du journal.
« Pedro »
fut aussi, par la suite, l’homme qui ordonna l’assassinat d’André
Nín, leader du POUM.
Qui
était « Pedro » ? Nul autre qu’Erno
Geroe successeur de Rakosi à la charge de secrétaire du
PC hongrois. « Sa nomination – écrivait
Miratvilles dès l’article ici mentionné – est l’un
des aspects les plus contradictoires de l’actuelle phase
antistalinienne. » C’est le moins qu’on puisse dire…
Nicola
Chiaromonte (Tempo presente,
nov.)