La Presse Anarchiste

Assurance contre la grève

    Les vœux exprimés
par le récent Congrès des Maîtres Imprimeurs,
concer­nant, l’as­su­rance contre la grève et l’organisation
d’une assu­rance contre le chô­mage, sont l’ob­jet d’une étude
inté­res­sante dans le Bul­le­tin offi­ciel de l’U­nion syndicale
des Maîtres Impri­meurs de France
(numé­ro de septembre).

    On a l’im­pres­sion que
les Maîtres Impri­meurs ont la ferme réso­lu­tion de
résis­ter à l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière et cherchent,
avec per­sé­vé­rance, les moyens les plus effi­caces pour y
par­ve­nir. Tous les tra­vailleurs doivent s’in­té­res­ser à
ces ten­ta­tives par­ti­cu­lières. Le jour où les patrons
d’une cor­po­ra­tion auront décou­vert un orga­nisme pra­tique de
défense de leurs inté­rêts, ils trou­ve­ront des
imitateurs.

    Le jour­nal des Maîtres
Impri­meurs, par la plume de M. Vignal, demande si « l’Imprimerie
doit elle-même consti­tuer sa caisse d’as­su­rance contre la grève
au moyen d’une Mutuelle, et ten­ter l’es­sai qui a d’ailleurs réussi
pour les Socié­tés Métal­lur­giques, ou doit-elle
s’a­dres­ser à une Socié­té existante ? »

    Les détails très
com­plets don­nés sur le fonc­tion­ne­ment pos­sible d’une caisse
cor­po­ra­tive n’of­fri­raient aucun inté­rêt général.
Ils tendent à mon­trer que le grou­pe­ment des Imprimeurs
gagne­rait à être auto­nome. « Mais ce
grou­pe­ment lui-même peut-il se constituer ? »,
demande le rap­por­teur de la Com­mis­sion de l’U­nion. Et il répond :
« C’est l’im­pos­si­bi­li­té abso­lue où nous
sommes de pou­voir for­mer ce grou­pe­ment qui nous ral­lie à
l’o­pi­nion de nous affi­lier, au moins pro­vi­soi­re­ment, à la
Caisse Mutuelle Indus­trielle et Com­mer­ciale. » Mais le
rap­por­teur n’est pas par­ti­san d’une affi­lia­tion immé­diate, il
est pour qu’on attende le moment « par une compréhension
mieux éten­due de leurs inté­rêts, les Imprimeurs
se déci­de­ront à s’as­su­rer contre la grève en
assez grand nombre pour for­mer un grou­pe­ment suffisant ». 

    Un seul fait met donc en
échec le pro­jet de Caisse cor­po­ra­tive d’as­su­rance contre la
grève : le manque d’empressement des Maîtres
Impri­meurs à s’as­su­rer. Mais cette éventualité
peut se réa­li­ser sous l’ac­tion d’un événement
inat­ten­du. Les ouvriers devront suivre avec atten­tion les efforts
faits en ce sens par leurs employeurs.

    La consti­tu­tion d’une
caisse d’as­su­rance contre la grève pour­ra modifier
pro­fon­dé­ment la tac­tique ouvrière. Dans le rap­port qui
a ser­vi de base de dis­cus­sion à la Com­mis­sion de l’U­nion. des
Maîtres Impri­meurs, on estime, en effet, que la Caisse-grève
entre Impri­meurs est pos­sible par ce fait que « les
Impri­meurs dis­sé­mi­nés sur tout le ter­ri­toire ne
sau­raient être atteints, tous ensemble, par la grève,
qui ne pour­rait jamais être décla­rée que dans une
petite région ».

    Le rap­por­teur de la
Com­mis­sion de l’U­nion estime bien que « la possibilité
d’une grève géné­rale cor­po­ra­tive est dans
l’ordre des choses », mais la même possibilité
de consti­tu­tion d’une Caisse d’as­su­rance contre la grève va
obli­ger, inévi­ta­ble­ment, les Orga­ni­sa­tions ouvrières à
com­bi­ner des mou­ve­ments d’en­semble de plus en plus considérables,
et les entraî­ner, de gré ou de force, à sor­tir du
cadre cor­po­ra­tiste, et à consti­tuer des fédérations
d’industrie.

    Un excellent aveu à
rete­nir : l’im­puis­sance momen­ta­née et abso­lue de
consti­tuer cette Caisse-grève corporative.

    En ce qui concerne
l’as­su­rance à la Caisse Mutuelle indus­trielle et Commerciale,
il semble que les Maîtres Impri­meurs n’aient pour elle, aucun
enthou­siasme. La prime à payer est trop considérable,
et, au Congrès des Maîtres Impri­meurs de la région
du Centre, l’un d’eux décla­ra caté­go­ri­que­ment que
« l’in­té­rêt des Maîtres Impri­meurs à
l’é­gard d’une telle caisse était de s’as­su­rer le plus
tard possible ».

    Devant l’impossibilité
momen­ta­née de faire fonc­tion­ner la Caisse-grève, la
Com­mis­sion de l’U­nion pré­co­nise l’or­ga­ni­sa­tion d’une assurance
contre le chô­mage, dans la croyance que le jour où elle
sera réa­li­sée « le motif le plus dangereux
de la grève aura dis­pa­ru et que toute autre assu­rance contre
la grève sera inutile ».

    Le jour­nal patronal
déclare qu’ac­tuel­le­ment l’ou­vrier peut atté­nuer la
misère cau­sée par la mala­die avec l’aide des Sociétés
de Secours mutuels ; que la loi sur les acci­dents, bien
qu’im­par­faite encore, assure les moyens d’exis­tence à la
vic­time d’un acci­dent pro­fes­sion­nel ; et qu’en­fin une loi
pro­chaine assu­re­ra une vieillesse digne à une longue vie de
travaux.

    En veine de tendresse,
le porte-parole de l’U­nion ajoute « Il ne faut pas
craindre de le dire, c’est une grande injus­tice sociale, que
l’ou­vrier le plus valide et le plus dési­reux de trou­ver à
s’oc­cu­per ne puisse même pas avoir la cer­ti­tude d’a­voir du
tra­vail, alors que ce seul tra­vail peut assu­rer son existence. »

    Quand on pense que ce
sont les patrons les plus réso­lu­ment adver­saires des
reven­di­ca­tions ouvrières qui contre­signent ces paroles, on
reste rêveur. Les fédé­rés du Livre, pour
dimi­nuer le chô­mage, ont fait une grève très rude
pour obte­nir la jour­née de neuf heures. Et ils ont trouvé
en face d’eux, tous, ou presque tous les membres du Comi­té de
l’U­nion des Maîtres Imprimeurs !

    Ne récriminons
pas, et voyons le pro­jet d’as­su­rance contre le chô­mage. Il
contient, en germe, une idée intéressante.

    Les patrons proposent
d’as­su­rer le chô­mage invo­lon­taire comme on assure les accidents
ou l’in­cen­die. Ce chô­mage invo­lon­taire, disent-ils, par son
carac­tère for­tuit et acci­den­tel, consti­tue un risque, et tout
risque est assu­rable. Et les patrons vou­draient voir se constituer
une Socié­té d’as­su­rances à primes fixes.

    Voi­ci leur hypothèse :
L’in­dem­ni­té de chô­mage serait de 50 % du salaire
et, comme dans l’as­su­rance-acci­dents, pro­por­tion­nelle au salaire ;
l’in­dus­triel n’as­su­re­rait que les ouvriers ayant un cer­tain temps de
pré­sence chez lui. Cette durée de présence,
point très inté­res­sant, n’est pas fixée.

    Ce pro­jet n’a de brillant
que l’ap­pa­rence. Si sa loyau­té n’é­tait pas sus­pecte, si
la bour­geoi­sie était capable de réa­li­ser pour tous les
tra­vailleurs, un pareil pro­jet, il aurait une répercussion
pro­fonde sur la vie ouvrière.

    Mais on s’imagine
dif­fi­ci­le­ment les indus­triels fai­sant des sacri­fices volon­taires pour
conser­ver des ouvriers dont l’exis­tence leur est totalement
indifférente.

    Les déclarations
des Maîtres Impri­meurs au Congrès de Mar­seille ont été
catégoriques.

    Ce qu’ils espèrent,
c’est avoir à leur dis­po­si­tion, à la faveur de
pro­messes illu­soires, des ser­vi­teurs dociles et résignés,
prêts à tra­hir leurs camarades.

    Nous com­men­çons à
com­prendre. Il y a bien long­temps qu’on nous montre la lanterne
magique et nous nous fati­guons les yeux pour ne rien voir. Si vous
allu­miez un peu la lan­terne, mes­sieurs les Maîtres Imprimeurs !

Hen­ri Normand

La Presse Anarchiste