La Presse Anarchiste

Le contrat collectif

    La fin de l’ar­ticle de Pierrot|Le Contrat col­led­tif, Vie Ouvrière n°3 du 5 ‑11 – 1909 conte­nait quelques phrases qui me démangent fort.
N’é­tait l’u­ti­li­té d’a­jou­ter quelques ren­sei­gne­ments à
ceux que j’ai don­nés pré­cé­dem­ment et de préciser
divers points qui en ont grand besoin, je me lais­se­rais facilement
aller à le chi­ca­ner. Lui, d’ailleurs, ne se gêne pas
pour nous attra­per, et croit-il vrai­ment que nous ava­lions sans
souf­france ses cri­tiques amères sur une prétendue
déchéance du syndicalisme.

    Ah ! il est heureux
et superbe le phi­lo­sophe qui, du haut des prin­cipes, regarde la
pauvre huma­ni­té grim­per la route de son affran­chis­se­ment. Gare
au mal­heu­reux qui, tom­bant de fatigue, s’as­sied un moment ; gare
à celui qui, inca­pable de mon­ter tout droit une par­tie plus
raide de la côte, fait un détour qui l’attarde
peut-être, mais qui le fatigue moins.

    — Toi, mon gaillard,
lui crie-t-on, tu nous as déçu. Nous atten­dions mieux
de toi. Jamais tu n’ar­ri­ve­ras tout en haut. La Révolution
aurait tort de comp­ter sur toi.

    Les ouvriers de la
maçon­ne­rie, répu­tés révolutionnaires,
viennent de conclure un « accord » avec les
entre­pre­neurs ! Un « accord », c’est
entendu !

    Cet accord, comme tout
armis­tice, est cri­ti­quable en bien des articles. D’ailleurs, dans un
clan comme dans l’autre, on se pro­met bien de n’en appli­quer que ce
que l’on y trouve de favo­rable per­son­nel­le­ment. Telle clause qui gêne
les entre­pre­neurs risque fort d’être vio­lée par eux.
Pour­quoi telle autre qui gêne les ouvriers ne se
trou­ve­rait-elle pas dans la même situation ?

    Les ouvriers obtiennent
la sup­pres­sion du tâche­ron­nat. Dans la lutte contre ce système
de tra­vail, une connexi­té d’in­té­rêts a été
recon­nue par les entre­pre­neurs et par les ouvriers. Est-ce à
dire qu’il ne reste pas des forces et des inté­rêts en
anta­go­nisme profond ?

    Des ouvriers et des
patrons sont encore mal convain­cus de leur intérêt
com­mun à sup­pri­mer le tâche­ron­nat. Et encore, peut-on
croire que les patrons n’es­pèrent pas retrou­ver, par une autre
manière, les béné­fices qu’ils reti­raient du
tâche­ron­nat ? Peut-on croire que les ouvriers n’espèrent
pas rendre cette sup­pres­sion réel­le­ment pro­fi­table à
leurs inté­rêts ? Il est bien pro­bable que les uns
comme les autres en dedans ou en dehors du contrat, avec ou sans
res­pect des formes, défen­dront leur espoir et leur intérêt.

    Dans le système
d’ex­ploi­ta­tion par le tâche­ron­nat, la pro­duc­tion n’était
pas déter­mi­née sui­vant un barème nettement
éta­bli, mais sim­ple­ment par l’ha­bi­le­té du tâcheron
à spé­cu­ler sur l’i­gno­rance, la bêtise et la
misère des ouvriers.

    Pense-t-on
qu’au­jourd’­hui le patro­nat n’es­saie­ra pas, par un pour­boire à
la paye, par la pro­messe d’un emploi sans chô­mage, sans parler
de la répar­ti­tion aux béné­fices régulièrement
orga­ni­sée, de réta­blir le sys­tème de
sur­pro­duc­tion ? Si la men­ta­li­té des ouvriers n’est pas
assez haute, nul doute que le tâche­ron­nat ne sévisse
sous une autre forme.

    La sup­pres­sion du
tâche­ron­nat est un arrêt dans la spé­cia­li­sa­tion à
outrance ; les patrons y gagnent plus de sta­bi­li­té dans
le taux des salaires ; mais les ouvriers de spécialités
rap­pro­chées y accé­lèrent leur marche vers
l’u­ni­fi­ca­tion des salaires et l’at­té­nua­tion du chômage.

Production équivalente au salaire

    Dans la situation
actuelle, il y a inté­rêt, pour les ouvriers de la
maçon­ne­rie, à ce que la pro­duc­tion soit déterminée.
Toute la dif­fi­cul­té consiste à impo­ser la fixation
d’une tâche rai­son­nable pour l’ou­vrier moyen sans porter
pour­tant pré­ju­dice à l’ou­vrier faible.

    Jus­qu’à présent,
autant qu’il est per­mis de le démê­ler dans les
bizar­re­ries de la série 1909, sur laquelle doit être
basée la pro­duc­tion équi­va­lente au salaire, celle-ci
semble assez favo­rable aux ouvriers. Les ouvriers éclairés
sont assu­rés que leur inté­rêt, tant que la
Révo­lu­tion ne sera pas faite, leur com­mande d’im­po­ser la
régle­men­ta­tion de la pro­duc­tion ; ils n’i­gnorent pas que
trop d’ou­vriers, de la maçon­ne­rie et d’ailleurs, sont envieux
des titres : d’hon­nête, de conscien­cieux, de courageux
ouvrier, que les patrons décernent généreusement
à leurs fidèles ser­vi­teurs ; ils savent que dans
une période de chô­mage, le plus grand nombre, dans
l’âpre lutte pour man­ger, aban­donne toute phi­lo­so­phie et se
sur­mène afin de ne pas perdre sa place. Si les militants
arri­vaient à faire com­prendre à leurs cama­rades, par
n’im­porte quels moyens, qu’ils sont les maîtres de leurs bras
et de leur cer­veau, qu’ils ont le droit et le devoir d’en disposer,
qu’ils peuvent, par une pro­duc­tion cal­cu­lée, en per­lant le
tra­vail, pro­duc­tion qui ne serait pas dépas­sée, agir
vigou­reu­se­ment sur le patro­nat, que pour­rait ce der­nier ? Il
n’au­rait qu’à capi­tu­ler ou à décla­rer le
lock-out.

    L’or­ga­ni­sa­tion capable
de manier cette arme avec assu­rance ne méri­te­rait-elle pas
qu’on recon­naisse une cer­taine men­ta­li­té révolutionnaire
chez ses adhé­rents ? Consti­tue­rait-elle un élément
de conser­va­tion sociale ?

    Eh bien ! c’est
cette forme de lutte qui a contri­bué pour beau­coup à
faire flé­chir l’in­tran­si­geance des entre­pre­neurs et à
hâter la dis­pa­ri­tion du tâche­ron­nat. M. Vil­le­min l’avoue
dans une étude publiée dans les Études
pro­fes­sion­nelles (nº d’oc­tobre). Dans son ardent désir
de grou­per les forces patro­nales autour du contrat de tra­vail. Il
insiste sur l’a­van­tage que vont reti­rer ses confrères de
l”équivalence du ren­de­ment avec le salaire ; il
s’ef­force de leur faire sen­tir que la res­tric­tion de pro­duc­tion dont
ils ont tant souf­fert dis­pa­raît avec cet article du contrat. 

    L’ex­pé­rience de
la lutte a pu ame­ner les entre­pre­neurs à s’as­su­rer contre les
ris­qués de grève. Mais com­ment s’as­su­rer contre le
cou­lage que peut leur infli­ger une cor­po­ra­tion for­te­ment groupée
et qui veut faire abou­tir ses revendications ?

    La
régle­men­ta­tion de la pro­duc­tion va obli­ger ceux des maçons
qui, jus­qu’à pré­sent, tra­vaillaient comme des brutes —
mal­heu­reu­se­ment, ils sont encore nom­breux — à réfléchir
et à consta­ter qu’ils n’ont aucun béné­fice à
sur­pro­duire, et qu’en l’é­tat actuel de la société,
c’est sur leur ardeur au tra­vail que les fre­lons de cette société
comptent pour bien vivre et pour main­te­nir en chô­mage et dans
la misère la chair à tra­vail. L’ha­bi­tude de travailler
en homme va leur venir. D’ailleurs, des cama­rades se char­ge­ront de
la leur faire prendre. Ce ne sera pas faire la vaine et inutile
besogne, et cela sans égra­ti­gner le contrat.

    Très
peu d’en­tre­pre­neurs, par la suite, mour­ront sur la paille, et les
loyers n’aug­men­te­ront pas plus rapi­de­ment qu’à l’ordinaire.

    Le
consom­ma­teur se trou­ve­ra lésé, paraît-il. Mais,
qui donc pro­duit plus et consomme moins que l’ou­vrier, sur­tout s’il
s’a­git de loge­ment à Paris ? L’aug­men­ta­tion de son
salaire est loin d’être en rap­port avec le coût des
loyers. De plus, il faut cher­cher l’é­lé­va­tion de
ceux-ci direc­te­ment chez les capi­ta­listes spé­cu­la­teurs de
ter­rain, et non pas dans les frais de construc­tion ; ceci est un
fait indéniable.

    Il
y aurait, peut-être, un dan­ger dans la déter­mi­na­tion de
la pro­duc­tion : c’est que les ouvriers les mieux doués ne
soient ten­tés, pour éle­ver leur salaire, d’augmenter
leur pro­duc­tion, et d’en récla­mer le sup­plé­ment de
salaire cor­res­pon­dant, et cela mal­gré la clause du contrat. On
peut être cer­tain qu’ils y seront aidés par le patronat,
qui trou­ve­ra bien le moyen de favo­ri­ser l’é­goïsme de ces
indi­vi­dus, sachant que ce sera la meilleure manière d’élever
le quan­tum de la pro­duc­tion et d’ar­ri­ver à déprécier
les salaires. Cela trans­pa­raît, d’ailleurs, de l’exposé
de M. Vil­le­min dans les Études pro­fes­sion­nelles.
Cet expo­sé est très curieux. Éta­bli dans le but
de faire ava­ler au monde de l’en­tre­prise les bien­faits du contrat du
tra­vail, en fai­sant entre­voir les avan­tages reti­rés du fait de
ce contrat, son auteur mori­gène les « renards
patrons », c’est-à-dire les entre­pre­neurs de la
chambre syn­di­cale indé­pen­dante, qui à chaque instant
dérangent ses com­bi­nai­sons de meneur patro­nal et, l’empêchent
par leur « naï­ve­té » de mâter
les ouvriers comme il le voudrait.

    Les
consi­dé­ra­tions dont il accom­pagne cer­tains articles du contrat
sont vrai­ment lumi­neuses, et nous aurions tort de les négliger.

    En
voi­ci une :

    Il
ne sau­rait, d’ailleurs, faire doute que la juris­pru­dence qui s’est
for­mée rela­ti­ve­ment aux règle­ments d’a­te­lier, ne soit
pas, par ana­lo­gie au contrat col­lec­tif, régulièrement
por­tée à la connais­sance des ouvriers. Comme
consé­quence, si le ren­de­ment déter­mi­né par le
tableau d’é­qui­va­lence du tra­vail au salaire n’est pas atteint,
il va de soi que le salaire qui n’a été pro­mis qu’en
vue de ce ren­de­ment, n’est pas entiè­re­ment dû et qu’il
doit subir une réduc­tion pro­por­tion­nelle à la
dimi­nu­tion du rendement.

    Ainsi,
le défaut de res­pon­sa­bi­li­té, qu’on impute au contrat
col­lec­tif, se trouve pal­lié, parce qu’à
l’ir­res­pon­sa­bi­li­té des syn­di­cats qui n’ont pas le droit de
pos­sé­der, se trouve sub­sti­tuée la responsabilité
per­son­nelle de cha­cun des ouvriers.

    En
voi­ci une autre, rela­tive, celle-là, à la liberté
du travail : 

    Nous
avons obte­nu que la liber­té du tra­vail soit sauvegardée
par le para­graphe « in fine » de l’art. 4 :
« Des inci­dents, y est-il dit, ne peuvent être
sou­le­vés du fait de l’emploi simul­ta­né d’ouvriers
syn­di­qués et non syn­di­qués : aucune mesure
concer­nant l’af­fi­lia­tion au syn­di­cat ne peut être prise contre
les ouvriers. »

    Ce
para­graphe, comme le pré­cé­dent, peut don­ner lieu à
recours contre les ouvriers défaillants, chaque patron pouvant
pour­suivre l’ou­vrier pour troubles appor­tés sur ses chantiers,
et la chambre syn­di­cale pou­vant se por­ter par­tie civile pour la
col­lec­ti­vi­té, par­tie au contrat, et obte­nir une sanc­tion tout
au moins morale, extrê­me­ment intéressante. 

    Il
est fort pro­bable que les tra­vailleurs de la maçon­ne­rie ne
crain­dront pas énor­mé­ment, « la sanction
morale ». Ils crain­dront plu­tôt le renvoi :
parce que la tête ne convient pas, parce que l’on aura la
digni­té de faire res­pec­ter les déci­sions syn­di­cales, ou
parce que les fiches contre les mili­tants ne sont pas égarées,
au contraire !

    Mais,
dans ce cas, les ouvriers du chan­tier, et même tous les
ouvriers au compte de l’en­tre­pre­neur, ont tou­jours, individuellement,
le droit — qu’ils pren­dront — de ne pas tra­vailler pour un patron
qui ne leur plaît pas. Si c’est en période de chômage,
à un moment où les récal­ci­trants à un
mou­ve­ment de soli­da­ri­té sont plus nom­breux, ils
auront encore le droit d’a­gir selon leur tem­pé­ra­ment, sans
attendre la com­mis­sion mixte. Ils le feront sous leur responsabilité
per­son­nelle, s’ins­pi­rant du sou­ci d’être utiles à la
col­lec­ti­vi­té à laquelle ils appar­tiennent, c’est-à-dire
au syndicat.

    Il est fort probable,
aus­si, que les mili­tants, dans leur rai­son­ne­ment « simpliste »,
s’ar­ran­ge­ront de manière à faire syn­di­quer leurs
cama­rades de tra­vail, même au besoin par la machine à
bos­se­ler. L’ex­pé­rience leur a appris que la liber­té du
tra­vail pour le « renard » est un luxe
« d’hu­ma­ni­té » qu’ils ne peuvent pas se
per­mettre. Il serait vrai­ment trop facile aux pleutres de bénéficier
d’a­van­tages sans rien faire pour les obte­nir. C’est curieux,
d’ailleurs, comme la vio­lence active leurs facul­tés de
rai­son­ne­ment ; les résul­tats sont tels que, neuf fois sur
dix, le cama­rade vio­len­té, après une rébellion
de son indi­vi­dua­li­té au moment de la vio­lence, reconnaît
assez faci­le­ment ensuite qu’il était traître à
sa cause et à son intérêt.

    Les mili­tants se
rap­pel­le­ront les manoeuvres des patrons atti­rant à Paris la
main-d’oeuvre pro­vin­ciale pour en faire des ins­tru­ments dociles
d’ex­ploi­ta­tion, qui leur per­met­taient de lais­ser sur le pavé
les élé­ments les plus actifs du syn­di­cat et d’affaiblir
l’or­ga­ni­sa­tion. Ils se rap­pel­le­ront les jaunes de la rue Saint-Paul
occu­pant les chan­tiers et accep­tant, sans pro­tes­ta­tions, les
condi­tions de tra­vail et les salaires impo­sés par le patronat,
alors qu’eux-mêmes se ser­raient la cein­ture, pour tenir leurs
engagements.

    Ceux qui se rappellent,
se ser­vi­ront peut-être encore de la chaus­sette à clous
pour faire com­prendre à ceux qui ne voient que leur intérêt
indi­vi­duel et immé­diat qu’il y a un intérêt
col­lec­tif devant lequel l’in­té­rêt indi­vi­duel doit
quel­que­fois s’ef­fa­cer. Tant pis si ces moyens ne sont pas jugés
pra­tiques par de bonnes âmes. 

    De même, ils
s’ef­for­ce­ront d’empêcher, dans la mesure de leurs moyens,
l’en­va­his­se­ment de la cor­po­ra­tion par les gens uni­que­ment attirés
par l’ap­pât des salaires rele­vés, les gens toujours
prêts à se mettre à table quand elle est servie
et à la quit­ter sans s’oc­cu­per s’il res­te­ra quelque chose pour
ceux qui l’ont gar­nie. C’est là, peut-être, du
cor­po­ra­tisme étroit, arrié­ré, peu idéaliste.
Hélas ! c’est tout sim­ple­ment humain, c’est une
consé­quence de la lutte pour la vie, dont la société
est res­pon­sable. Mais cela ne veut pas dire qu’un cama­rade, d’où
qu’il vienne, dont on connaî­tra la volonté
d’or­ga­ni­sa­tion, ne sera pas admis. Les mili­tants savent trop ce
qu’est la lutte pour ne pas com­prendre et rem­plir ce simple devoir de
solidarité.

    Les vrais responsables
ne sont pas les « renards », c’est entendu.
Mais est-on jamais arri­vé à chan­ger un état de
choses rien que par la dou­ceur et le rai­son­ne­ment ? Aux
révo­lu­tion­naires de répondre.

L’autorité sur le chantier

    À
pro­pos des articles 2 et 3 : « L’embauchage et le
congé dépendent de la libre dis­po­si­tion de
l’employeur » et « L’en­trée des
chan­tiers est défen­due, sauf auto­ri­sa­tion du patron à
toute per­sonne non employée aux tra­vaux », Villemin
écrit :

    Par ces paragraphes,
l’au­to­ri­té du patron sur ses chan­tiers est affirmée,
recon­nue, alors qu’on cher­chait depuis quelques années à
la nier et tout au moins à la rendre à peu près
inexistante.

    Le patron reste seul
maître de l’embauchage et du débau­chage et il reste
libre d’empêcher l’ac­cès des chan­tiers à toute
per­sonne étran­gère au travail.

    M. Vil­le­min se paye de
mots. Plus jus­te­ment, il veut payer ses confrères de mots. Il
n’y a rien de chan­gé sur ce point à ce qui existait
avant le contrat. N’y a‑t-il pas quelque part un para­graphe qui
sti­pule que les us et cou­tumes sont conser­vés ? Or, le
fait de pas­ser sur le chan­tier deman­der de l’embauche ou d’al­ler voir
un copain pour l’emmener prendre un verre rentre tou­jours dans les us
et coutumes.

    Évi­dem­ment, en
temps de grève, et même en temps ordi­naire, la
réqui­si­tion des flics peut être opé­rée sur
la demande du patron ou du maître com­pa­gnon et l’ex­pul­sion des
ouvriers en être le résul­tat. Est-ce un droit nouveau ?
Nul n’i­gnore que la police est ins­ti­tuée pour la pro­tec­tion du
capi­tal contre le tra­vail. Et ce n’est pas une clause de contrat qui
chan­ge­ra cet état de choses. Seule l’éner­gie des
cama­rades se charge quel­que­fois de mettre la jus­tice à sa
place.

    Der­niè­re­ment, M.
Vil­le­min lan­çait une cir­cu­laire à tous les
entre­pre­neurs du bâti­ment pour les invi­ter à faire
arrê­ter immé­dia­te­ment, tous les per­tur­ba­teurs de
chan­tiers. S’il réus­sit assez bien en cer­tains endroits, dans
d’autres,… les flics ne purent péné­trer, et les
renards furent chas­sés. Le suc­cès de l’opération
de police dépend un peu des cama­rades qui occupent le
chan­tier, maîtres et res­pon­sables de leurs actes, et que la
col­lec­ti­vi­té syn­di­cale ne peut qu’ap­prou­ver, parce que ces
cama­rades agissent dans l’in­té­rêt de la collectivité
de laquelle ils dépendent.

Les commissions mixtes

    Voi­ci un gros morceau.
M. Vil­le­min le soigne et le pare ! L’ar­ticle 8 ins­ti­tue une
com­mis­sion arbi­trale mixte per­ma­nente qui connaî­tra de toutes
les dif­fi­cul­tés rela­tives à l’exé­cu­tion du
contrat, ain­si que les dif­fé­rends sur­ve­nus entre employeurs et
employés.

    Grâce à
cette com­mis­sion, nous allons pou­voir res­ter en contact permanent
avec les délé­ga­tions ouvrières, ce qui nous
per­met­tra d’é­tu­dier en com­mun toutes les ques­tions d’un
inté­rêt capi­tal pour notre pro­fes­sion, telles que
l’ap­pren­tis­sage et le chômage.

    Elle per­met­tra également
l’é­tude des œuvres de pré­voyance et d’assurance
sociales, dont tous les congrès d’en­tre­pre­neurs se sont montré
les par­ti­sans déterminés.

    Quel beau programme !
C’est vrai­ment dom­mage que beau­coup d’en­tre­pre­neurs ne le comprennent
pas et que les mili­tants ouvriers le com­prennent moins encore.

    Avec quelle cha­leur nos
patrons pré­co­nisent l’en­tente cor­diale ! Chômage,
pré­voyance, assu­rance : ils en ont plein la bouche.
Pour­tant, quand les ouvriers leur disent : Nous allons faire
huit heures ou neuf heures toute l’an­née pour remédier
au chô­mage, ces mêmes patrons ne com­prennent plus !

    Quant à
l’ap­pren­tis­sage, on sait ce que deviennent la plu­part des jeunes gens
qui sortent des écoles d’ap­pren­tis­sage. Ils sont de parfaits
jaunes.

    Et la mutualité ?
Par­lons-en. Nous savons avec quel soin le syn­di­cat de garan­tie que
pré­side M. Vil­le­min défend les rentes à accorder
aux ouvriers bles­sés du tra­vail. Cela suf­fit à nous
don­ner un avant-goût de ce que pour­raient être les autres
oeuvres de pro­tec­tion et d’assurance.

    Les ouvriers ont
com­bat­tu l’U­nion de MM. Vil­le­min et Cie quand elle était
indé­pen­dante. Ce n’est pas pour la créer au milieu de
leur organisation.

    Et la com­mis­sion mixte
jugeant, sous le chêne de Saint-Louis, les différends
entre employeurs et employés ? Le tableau serait
tou­chant. Cepen­dant, les ouvriers savent déjà, par la
valeur des recours au Conseil de prud’­hommes, ce que peut être
la jus­tice des com­mis­sions mixtes. Devant les prud’­hommes, le patron
malin qui veut se défi­ler ne perd que rare­ment son procès ;
il a tou­jours la tan­gente de la demande recon­ven­tion­nelle et à
son appui les res­sources de la magis­tra­ture bourgeoise.

    Devant la commission
mixte, les ouvriers se croyant lésés — ne le sont-ils
pas tou­jours — pour­raient attendre long­temps une réparation.
Peut-être, au début, le patro­nat vou­drait-il donner
confiance dans le sys­tème. Mais si, mal­heu­reu­se­ment, les
ouvriers se repo­saient sur elle pour connaître s’ils ont tort
ou rai­son, s’ils abdi­quaient toute ini­tia­tive et toute responsabilité
per­son­nelles, il est bien cer­tain que l’on cour­rait au-devant d’un
grand dan­ger. Mais la maçon­ne­rie n’en est pas là.

    Est-ce à dire que
la com­mis­sion mixte soit inutile ? J’at­tends de l’expérience
per­son­nelle une opi­nion ferme. Nous ne l’a­vons pas demandée.
En échange de la sup­pres­sion du tâche­ron­nat, on nous l’a
impo­sée ? Que vaut le cadeau ? À
l’u­sage nous le ver­rons. En tout cas, les ouvriers en contact avec
leurs patrons, au sein d’une com­mis­sion mixte ne seront pas
« désho­no­rés », pas plus qu’ils
ne seront inévi­ta­ble­ment « englués »
par de vils mar­chan­dages ; la science des patrons ne les
influen­ce­ra pas énor­mé­ment, je crois. S’ils faisaient
un faux pas, on peut être sans crainte : ils seraient vite
rap­pe­lés à la rai­son par les mili­tants qui les
entourent ou bien ces mili­tants seraient des imbéciles.

  *  *

    Hélas ! tant
que les ouvriers n’au­ront pas expro­prié les moyens de
pro­duc­tion, ils seront obli­gés de conclure des contrats
col­lec­tifs, tacites ou écrits, dont les seules forces en
pré­sence feront « le droit ».

    Plus la conscience des
syn­di­qués s’é­lè­ve­ra, plus les travailleurs
auront le sen­ti­ment de classe et plus les contrats auront de chances
d’être res­pec­tés et… vio­lés. Plus il y aura
d’in­di­vi­dua­li­tés par­mi les cama­rades et plus la collectivité
syn­di­cale aura de chances d’im­po­ser ses « droits »
en dehors de toute léga­li­té patro­nale et bourgeoise.

    Aus­si, le contrat
col­lec­tif de tra­vail de la maçon­ne­rie ne doit être
envi­sa­gé par les mili­tants que comme un pis aller, pour sortir
d’une situa­tion ; il ne doit être considéré.
comme toutes les lois dites ouvrières, qu’a­vec les dérogations
impo­sées par l’une ou l’autre des forces en présence.

    Si la mentalité
des syn­di­qués n’est pas prête pour une revendication,
s’ils ne sont pas prêts à agir pour l’ob­te­nir, une
délé­ga­tion, fut-elle com­po­sée d’ou­vriers habiles
à argu­men­ter, ne convain­cra point les patrons. Nous ne sommes
pas assez naïfs pour croire que la dis­cus­sion pour­rait amener
les patrons à com­po­si­tion sur une reven­di­ca­tion de quelque
impor­tance. Quant à l’in­ter­pré­ta­tion juri­dique du
contrat col­lec­tif de tra­vail, les ouvriers peuvent en connaître ;
mais ils ne s’en ser­vi­ront que quand ils ne pour­ront pas faire
autrement.

    Et s’ils le font, c’est
parce que, chez eux, à côté d’eux, il n’y a pas
encore assez de clair­voyance, d’es­prit de révolte pour faire
la grève géné­rale expropriatrice.

    Nous ne sommes pas
par­faits, mon cher Pier­rot. Si nous avions toutes les qualités
que vous nous sou­hai­tez, et que nous nous atta­chons à
pos­sé­der, ce n’est pas le contrat col­lec­tif que nous aurions
signé, c’est la Révo­lu­tion que nous aurions faite.

A. Schmitz

La Presse Anarchiste