La Presse Anarchiste

Une esquisse du mouvement syndical au Japon

[[Nous sommes heu­reux de repro­duire cet article du jour­nal The Pro­le­ta­rian, publié, en langue anglaise et en langue japo­naise, à Chi­ca­go, par les orga­ni­sa­tions ouvrières d’é­mi­grés japo­nais. Mal­gré sa briè­ve­té, il contient quelques pré­cieux renseignements.]]

    À
l’in­verse de ce qui arri­va au Par­ti socia­liste qui eut à subir
une ter­rible per­sé­cu­tion de la part du gou­ver­ne­ment dès
sa fon­da­tion en 1900, le mou­ve­ment syn­di­cal fut recon­nu au Japon par
les auto­ri­tés, dès 1886, à cause de ses
ten­dances « paix sociale ».

Les syndicats jaunes

    Sen­tant venir la lutte
entre le Capi­tal et le Tra­vail, lutte que pro­duit inévitablement
le déve­lop­pe­ment indus­triel, un poli­ti­cien du nom de Yajiro
Shi­na­ga­va, popu­laire à cause de ses opi­nions radi­cales, fit
cam­pagne pour qu’on éta­blisse une orga­ni­sa­tion natio­nale du
tra­vail ayant pour but de s’in­ter­po­ser dans les conflits entre le
Capi­tal et le Tra­vail. Cette cam­pagne fut bien­tôt suivie
d’ef­fet : un syn­di­cat des typo­graphes de Tokio fut fondé
sur les bases actuelles de la Fédé­ra­tion civique
amé­ri­caine [[La Fédération
Civique Amé­ri­caine est une orga­ni­sa­tion mixte, à
laquelle appar­tiennent à la fois des mil­liar­daires comme
Pier­pont Mor­gan, et des lea­ders ouvriers comme Gom­pers, Mitchele,
etc. L’i­dée à la base de, la Fédération,
Civique, c’est natu­rel­le­ment l’al­liance du Capi­tal et du Travail.]],
avec Shi­na­ga­va lui-même à la tête du comité.
J. Saku­na, pro­prié­taire d’une des plus grosses maisons
d’im­pri­me­rie, et S. Kataya­ma, le lea­der socia­liste, fai­saient partie
de ce comité.

    À
la suite de ce syn­di­cat, beau­coup d’autres se constituèrent.
Le mou­ve­ment prit même une telle exten­sion que dans plusieurs
régions, des règle­ments muni­ci­paux établirent
l’o­bli­ga­tion de se syn­di­quer pour cer­taines caté­go­ries de
travailleurs.

    Il y eut quelque
agi­ta­tion pen­dant les années sui­vantes ; néanmoins,
la grande majo­ri­té des ouvriers étaient tenus dans
l’i­gno­rance et la sou­mis­sion à l’é­gard des institutions
capi­ta­listes dont le but est d’a­veu­gler le peuple. Les syndicats
offi­ciels étaient la pire de ces institutions.

La première grève révolutionnaire

    Mais le socialisme
arri­va bien­tôt au Japon et appor­ta l’es­poir au cœur de ces
tra­vailleurs qui, un demi-siècle aupa­ra­vant, sous le régime
des Sho­gnats, étaient relé­gués dans la quatrième
classe, la der­nière de celles dont se com­po­sait la société
japonaise.

    Ceux-ci devinrent
bien­tôt agres­sifs et consti­tuèrent une solide
orga­ni­sa­tion de classe contre l’op­pres­sion des riches et des nobles.

    En 1905, deux grandes
asso­cia­tions se créèrent sur le ter­rain économique,
ins­pi­rées toutes deux par le « Manifeste
com­mu­niste », com­plè­te­ment libres de toute attache
avec les puis­sances capi­ta­listes, et sans rap­ports aucuns avec les
syn­di­cats officiels.

    C’é­tait le
« Miners’ Shi­sei-Kai », fon­dé dans le
dis­trict char­bon­nier de Yuba­ri, et l’« Association
fra­ter­nelle des mineurs du Japon », consti­tué à
la mine de cuivre et aux usines de Shio, où les condi­tions les
plus lamen­tables étaient faites aux ouvriers. Plusieurs
vil­lages voi­sins avaient été rui­nés par les
éma­na­tions délé­tères qui résultaient
de la mau­vaise ins­tal­la­tion des usines. On avait discuté
chau­de­ment à la Chambre, à cette époque, la
ques­tion de savoir si l’on fer­me­rait ou non cette mine.

    Ces deux organisations
ne furent pas seule­ment les pre­miers syn­di­cats révolutionnaires ;
elles eurent encore une impor­tance énorme dans l’his­toire du
mou­ve­ment ouvrier japo­nais et leur rôle est capi­tal pour tout
le mou­ve­ment ouvrier de l’Ex­trême-Orient dans l’avenir.

    Sur ces entre­faites, le
second Congrès natio­nal du Par­ti socia­liste se réunissait
à Tokio, et ce par­ti, dont l’exis­tence avait été
recon­nue par le gou­ver­ne­ment, avait débu­té dans la
pro­pa­gande par un grand jour­nal quo­ti­dien et plu­sieurs journaux
locaux. L’en­thou­siasme régnait chez tout le monde. Le Congrès
dis­cu­ta sur cette pro­po­si­tion : « Fal­lait-il prendre
part à l’ac­tion poli­tique ? Ou ne fal­lait-il s’attacher
seule­ment qu’à l’ac­tion économique ? »

    Au cours des années
pré­cé­dentes, les socia­listes avaient présenté
trois can­di­dats : à Tokio, à Chi­ba et à
Myba­shi. Les résul­tats furent maigres, sauf à Chi­ba, où
le can­di­dat socia­liste ramas­sa un nombre de voix relativement
important. 

    Au contraire, la
crois­sance du mou­ve­ment syn­di­cal révo­lu­tion­naire était
mer­veilleuse. Les syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires organisés
en de nom­breux endroits, deve­naient de plus en plus le centre de tout
mou­ve­ment, condui­sant de mul­tiples grèves et boy­cot­tages. Si
vigou­reux étaient leurs efforts que les travailleurs
obte­naient par­tout de grands avantages.

    Tout le mouvement
éco­no­mique était en train de se régénérer.
Aus­si, très natu­rel­le­ment, le Congrès incli­na-t-il à
aban­don­ner l’ac­tion poli­tique et à concen­trer ses efforts sur
l’ac­tion économique.

    Les mineurs d’Ashio,
chez les­quels « l’As­so­cia­tion fra­ter­nelle des mineurs »
était éta­blie soli­de­ment, décla­rèrent la
grève au mois de février 1907, après avoir
consta­té l’é­chec de leurs ten­ta­tives paci­fiques pour
obte­nir de meilleures condi­tions de vie. Les patrons avaient non
seule­ment reje­té leurs demandes, mais ils avaient encore
rapi­de­ment appe­lé l’ar­mée, dans le but de créer
des conflits qui dis­cré­di­te­raient les gré­vistes et leur
feraient perdre la sym­pa­thie du public.

    L’in­di­gna­tion eut raison
de la patience ; les gré­vistes réso­lurent de
défendre leurs droits et leur liber­té ; tous les
mineurs se sou­le­vèrent. Ils s’emparèrent d’un dépôt
de dyna­mite et de revol­vers. La bataille dura plu­sieurs jours entre
les gré­vistes et l’ar­mée impé­riale. Il y eut de
nom­breux bles­sés et quelques morts ; par­mi ces derniers
se trou­vait le direc­teur de la Com­pa­gnie des mines d’A­shio. Pour la
pre­mière fois le sang rouge des tra­vailleurs était
ver­sé sur la terre du mika­do ! Depuis lors, jusqu’à
aujourd’­hui, ou plu­tôt jus­qu’au jour où la classe
capi­ta­liste nous aura remis l’ou­tillage de la pro­duc­tion et de la
consom­ma­tion, il n’y aura pas un ins­tant de paix entre le prolétariat
et la bour­geoi­sie du Japon. 

    Le dra­peau rouge déployé
sur la mon­tagne est le pré­sage de la vic­toire finale du
pro­lé­ta­riat. Après la bataille, des arres­ta­tions de
mili­tants furent faites. Les cama­rades S. Mina­mi, T. Nagao­ka et
d’autres, accu­sés d’être les ins­ti­ga­teurs du mouvement,
furent main­te­nus un an au péni­ten­cier de Tokio, mais, en fin
de compte, le grand jury fut obli­gé de reconnaître
qu’ils n’é­taient pas coupables.

La situation actuelle

    Il y a aujourd’­hui deux
frac­tions dans le mou­ve­ment ouvrier japo­nais. L’une, représentée
par S. Kataya­ma, cherche des suc­cès poli­tiques par le bulletin
de vote ; l’autre, repré­sen­tée par D. Kata­ku, veut
s’emparer de la terre par l’ac­tion directe du syndicalisme
révo­lu­tion­naire. Mais la véri­té est que
l’ac­ti­vi­té socia­liste est quelque peu entra­vée par le
gou­ver­ne­ment à l’heure actuelle, par suite du manque
d’or­ga­ni­sa­tion sys­té­ma­tique et d’é­du­ca­tion. Le
mou­ve­ment a été gêné, en outre, par ces
dis­cus­sions per­son­nelles et par le sen­ti­men­ta­lisme par­ti­cu­lier aux
Japo­nais. Le gou­ver­ne­ment et la police en ont pro­fi­té pour
infli­ger une défaite à la classe ouvrière
japonaise.

    Aus­si y a‑t-il lieu de
modi­fier le mou­ve­ment ouvrier du Japon. Il ne faut pas d’une tactique
uni­forme. Dans une lutte où les capi­ta­listes usent de toutes
les connais­sances et de toutes les armes pos­sibles pour détruire
ce qui peut nuire à leurs inté­rêts de classe, une
stra­té­gie plus adap­tée aux cir­cons­tances est
nécessaire.

    Loin de se localiser,
l’a­gi­ta­tion syn­di­ca­liste révo­lu­tion­naire doit s’exercer
désor­mais à tra­vers tout le pays. Nous ne permettrons
ni aux capi­ta­listes de s’emparer de la direc­tion du mouvement
ouvrier, ni aux poli­ti­ciens de se ser­vir de ce mou­ve­ment pour leur
ambi­tion per­son­nelle. C’est en orga­ni­sant une armée de
pro­duc­teurs ani­mée seule­ment de la volon­té de défendre
les inté­rêts ouvriers que nous nous diri­ge­rons vers
notre but, « l’a­bo­li­tion du salariat ».

    Le syndicalisme
révo­lu­tion­naire s’est affir­mé déjà une
fois à Ashio par l’ac­tion de « l’Association
fra­ter­nelle des ‘mineurs » et il a rem­por­té la
vic­toire, mal­heu­reu­se­ment, il a dis­pa­ru prématurément.

    Nous devons reprendre ce
tra­vail avec toute la patience et toute l’habileté
néces­saires, et même avec une cer­taine pointe de
timi­di­té, si c’est néces­saire, jus­qu’au jour où
nous aurons acquis une puis­sance suffisante.

    Quel coup ce serait pour
la classe diri­geante si elle appre­nait un jour que chaque salarié
s’est orga­ni­sé dans son inté­rêt propre, et que
notre pro­pa­gande anti­mi­li­ta­riste a vidé les casernes de leurs
régiments !

    Une vigou­reuse agitation
en faveur du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire doit se produire
main­te­nant au Japon, c’est le moment !

T. Taka­ha­shi (Tra­duc­tion
de R. Louzon.)

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