La Presse Anarchiste

Haute école

Pour avoir sui­vi les pré­ceptes reli­gieux et mora­listes qui se condensent en « Crois­sez et mul­ti­pliez », les peuples d’Eu­rope sont par­ve­nus à une com­plète déca­dence dont deux guerres d’en­ver­gure ont été à la fois le signe et l’instrument.

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La science observe les faits qui ont lieu dans la nature, puis elle remonte la chaîne de leurs causes et, consta­tant la constance de celles-ci, elle for­mule les lois natu­relles. Ain­si la science est le miroir de la nature. 

Étant don­né ce pro­ces­sus et ce rôle de la science, on peut conce­voir que, par l’ob­ser­va­tion des faits qui entre­tiennent la paix et de ceux qui conduisent à la guerre, elle for­mule les lois qui pré­sident à ces deux états de l’hu­ma­ni­té, et qu’ain­si l’on abou­tisse à éta­blir une science de la paix, aux ensei­gne­ments de laquelle il suf­fi­rait à l’homme de se confor­mer s’il vou­lait vrai­ment en finir avec la guerre. 

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Bien-être, paix et liber­té sont le résul­tat d’un rap­port opti­mum entre la popu­la­tion et les subsistances.

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La nation nor­male, ou, mieux, ration­nelle, est celle qui a atteint l’op­ti­mum démo­gra­phique. Elle n’a pas besoin de colo­nies. Elle n’a pas besoin d’é­mi­gra­tion. Elle n’a pas besoin de com­merce exté­rieur pour vivre. Elle ne connaît ni le chô­mage, ni la disette, ni l’é­meute. L’homme y vit en liber­té. L’im­pé­ria­lisme d’une nation ration­nelle est une idée absurde, incon­ce­vable. Et si le monde était com­po­sé de telles nations, la guerre serait un sou­ve­nir du passé. 

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En défi­ni­tive, la haine de l’é­tran­ger est le résul­tat d’un sen­ti­ment très ancien éprou­vé jadis par l’in­di­vi­du d’une col­lec­ti­vi­té natio­nale en concur­rence dans la lutte pour l’exis­tence et pas­sé dans le sub­cons­cient. Sans la sur­po­pu­la­tion qui a tou­jours sévi sur la terre, ce sen­ti­ment ancien ne serait pas né ; sans la sur­po­pu­la­tion qui s’y est main­te­nue par l’ap­pé­tit sexuel non gou­ver­né, il se serait peu à peu atté­nué et aurait fini par disparaître. 

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Il faut s’é­le­ver contre cette asser­tion que la guerre serait le cor­rec­tif natu­rel de la sur­po­pu­la­tion. Elle en est sim­ple­ment la consé­quence, et c’est pro­ba­ble­ment la connais­sance de ce fait chez cer­taines per­sonnes qui, dans leur fina­lisme incons­cient, les a ame­nées à cette conclu­sion erro­née que, puisque la guerre est la consé­quence de la sur­po­pu­la­tion, elle doit en être, du même coup, le cor­rec­tif. Pour qu’il en fût ain­si, il fau­drait que la guerre détrui­sit beau­coup plus d’êtres humains qu’elle ne le fait, et cela plus rapi­de­ment, qu’elle en bles­sât beau­coup moins et qu’elle n’a­néan­tit pas tant de ces richesses qui per­mettent aux humains de vivre. 

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Se dres­ser en mora­liste contre la guerre en tolé­rant la sur­po­pu­la­tion est aus­si stu­pide — ou hypo­crite — que de flé­trir le « mar­ché noir » quand on n’as­sure pas l’a­bon­dance des pro­duits. La guerre est un aspect de la lutte pour l’exis­tence comme le mar­ché noir est un aspect de la loi de l’offre et de la demande, — deux prin­cipes natu­rels, bio­lo­giques, issus d’une même souche. 

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L’im­pé­ria­lisme et la sur­po­pu­la­tion sont inti­me­ment liés, soit que l’im­pé­ria­lisme orga­nise la sur­po­pu­la­tion pour la réa­li­sa­tion de ses fins, soit que la sur­po­pu­la­tion engendre l’im­pé­ria­lisme, ce qui est le cas le plus fré­quent. Mais, de quelque manière qu’on envi­sage les faits, c’est tou­jours à la sur­po­pu­la­tion qu’il faut s’at­ta­quer pour assu­rer la paix, pour écar­ter la guerre, puisque : ou l’im­pé­ria­lisme naît de la sur­po­pu­la­tion consi­dé­rée comme sa cause et par suite comme cause de la guerre que ne manque pas de pro­duire l’im­pé­ria­lisme ; ou l’im­pé­ria­lisme la sus­cite comme moyen de se réa­li­ser effec­ti­ve­ment par la guerre. 

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Le mot « impé­ria­lisme » ne serait-il pas encore un mot de com­bat du voca­bu­laire inter­na­tio­nal ? Et ne repré­sen­te­rait-il pas, en somme, tout sim­ple­ment la volon­té des peuples de vivre, et de bien vivre, ce qui est après tout une légi­time aspi­ra­tion de l’être vivant ? 

Mais la guerre est au bout. Et la guerre, ce n’est pas « bien vivre ». 

Bien vivre est incom­pa­tible avec une pro­li­fé­ra­tion excessive. 

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La grande ques­tion, pour les gou­ver­nants, quelque cou­leur qu’ils arborent, c’est de faire vivre leurs peuples pour pou­voir conti­nuer eux-mêmes à vivre sur leurs peuples. 

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En infra­struc­ture des grands faits his­to­riques se trouvent les faits nutri­tion­nels et ceux de la vie sexuelle-géné­sique. Les faits émo­tion­nels et intel­lec­tuels ne s’y trouvent qu’en super­struc­ture, alors qu’aux yeux des esprits super­fi­ciels ils semblent, faute d’exa­men appro­fon­di, avoir déter­mi­né l’his­toire ; ils ne sont qu’un ajou­té ou une traduction. 

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Il n’est pas sans signi­fi­ca­tion que Siva, le troi­sième dieu de la tri­ni­té hin­doue, soit à la fois le Des­truc­teur et le Reproducteur. 

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On consent à étu­dier la réper­cus­sion de la paix et de la guerre sur le chiffre de la popu­la­tion, mais non celle du chiffre de la popu­la­tion sur la paix et la guerre. 

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Par leur refus de s’at­ta­quer au déter­mi­nisme de la guerre dans la cause réelle de cette der­nière, les hommes conver­tissent ce déter­mi­nisme en fatalisme. 

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Le mal de l’homme, ce n’est pas qu’il fasse la guerre sans rai­sons, comme tant de gens l’i­ma­ginent, mais qu’il ne veuille pas écar­ter de sa vie les rai­sons qu’il a de la faire. 

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Il est des nations si férues d’or­ga­ni­sa­tion qu’elles vont jus­qu’à orga­ni­ser la néces­si­té de faire la guerre, — en orga­ni­sant la surpopulation. 

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Une anec­dote, rela­tive aux méfaits du dogme. 

Je tiens de feu Bidault, l’é­di­teur de la Bro­chure men­suelle, la révé­la­tion d’un fait carac­té­ris­tique de la men­ta­li­té catholique. 

On a connu Gus­tave Dupin, alias Erme­non­ville, qui était, en même temps qu’un catho­lique mili­tant, ce que j’ap­pelle un paci­fiste ordi­naire, ou tra­di­tion­nel : celui qui veut la paix sans en recher­cher ou en accep­ter les moyens. Bidault publia quelques-uns de ses écrits paci­fistes dans la col­lec­tion de la Bro­chure men­suelle et chaque fois Erme­non­ville en com­man­dait un cer­tain nombre d’exem­plaires qu’il dis­tri­buait dans son milieu lit­té­raire. D’autre part, lors­qu’il res­tait quelques pages dis­po­nibles à la fin de ses bro­chures, Bidault les fai­sait ser­vir à la publi­ci­té des ouvrages qu’il ven­dait aux abon­nés de son pério­dique. Or, un jour, il se trou­va que dans l’une des bro­chures d’Er­me­non­ville il avait consa­cré une page de publi­ci­té à mon Croître et mul­ti­plier, c’est la guerre ! Cet acte sus­ci­ta la colère du catho­lique d’a­bord, « paci­fiste » ensuite, Erme­non­ville, qui décla­ra qu’à l’a­ve­nir il inter­di­sait à Bidault de faire une réclame, dans aucune de ses bro­chures per­son­nelles, à des ouvrages qui pré­co­ni­saient la limi­ta­tion des naissances. 

J’i­ma­gine le sen­ti­ment d’Er­me­non­ville à l’é­gard de Deval­dès, ce sale type qui s’op­po­sait à l’œuvre de « Dieu ». 

Paix à ta mémoire tout de même, Erme­non­ville, pauvre type.

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Ce n’est que par la limi­ta­tion de la popu­la­tion que l’on peut atteindre à ce plan supé­rieur de vie qu’est la lutte pour l’exis­tence non plus entre humains, mais contre la seule nature extra-humaine, — à l’en­traide au lieu de la concurrence. 

(Mais le théo­ri­cien de l’en­traide, Kro­pot­kine, a été inca­pable d’a­per­ce­voir cela, et en com­bat­tant la limi­ta­tion de la popu­la­tion, il a agi direc­te­ment à l’en­contre de son propos.) 

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Après avoir pro­di­gué, gas­pillé la vie, les humains sont condam­nés à vivre dans l’ob­ses­sion de la mort. 

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Un jour, les peuples paient en guerre le prix de leurs débor­de­ments sexuels-génésiques. 

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Tout ce qui vit sur le nombre vit sur le malheur. 

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Ce pro­lé­taire au sens moderne qui se sent soli­daire de ce pro­lé­taire au sens antique, quelle dupe­rie ! C’est le second qui est le véri­table auteur du sort du pre­mier. C’est lui son maître et son enne­mi. C’est lui la cause de son mal­heur, de sa misère. 

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Expli­quer après coup les causes des évé­ne­ments his­to­riques n’est qu’un passe-temps phi­lo­so­phique si cette expli­ca­tion ne doit pas ser­vir à pré­voir et à pré­ve­nir : à faire, en un mot, que le futur soit dif­fé­rent du pas­sé et plus heu­reux que lui. 

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Il faut être ani­mé de l’es­prit par­ti­san conju­gué avec l’es­prit scientifique. 

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Croire que les « abon­dan­cistes » puissent réus­sir à nous appor­ter l’a­bon­dance dans un monde qui va sans cesse se sur­peu­plant, c’est admettre que le lapin qui sort du cha­peau du pres­ti­di­gi­ta­teur a été tiré du néant. 

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Tous les pays ont un minis­tère de la guerre, mais cite-m’en donc un qui ait un minis­tère de la paix ! 

Manuel Deval­dès

La Presse Anarchiste