La Presse Anarchiste

Pour faire réfléchir

… Vous m’é­cri­vez qu’en sui­vant mon conseil et en vous atta­chant au per­fec­tion­ne­ment de vous-même, vous avez sen­ti que vous cou­riez le grand dan­ger de vivre en égoïste, par suite inuti­le­ment, et que vous avez évi­té ce dan­ger en ces­sant de vous sou­cier de votre per­fec­tion­ne­ment moral, en n’im­po­sant plus à votre conscience l’ex­pli­ca­tion de la véri­té, en ne pliant plus votre vie à cette conscience, et en vous occu­pant du per­fec­tion­ne­ment, de l’ins­truc­tion et de l’a­mé­lio­ra­tion d’autrui. 

Je pense que le dan­ger qui vous a effrayé était ima­gi­naire et qu’en conti­nuant à ana­ly­ser votre conscience, et en y confor­mant votre vie, vous ne ris­quez nul­le­ment de la pas­ser dans l’oi­si­ve­té et inuti­le­ment pour autrui. 

Je pense au contraire, que non seule­ment il n’y a nulle pos­si­bi­li­té d’é­clai­rer et de cor­ri­ger les autres sans s’être éclai­ré et cor­ri­gé soi-même jus­qu’aux der­nières limites du pos­sible, mais même qu’on ne peut s’é­clai­rer et s’a­mé­lio­rer iso­lé­ment ; que chaque fois qu’on s’é­claire et tra­vaille à l’a­mé­lio­ra­tion de soi-même, inévi­ta­ble­ment on éclaire et amé­liore les autres, et que ce moyen est le seul effi­cace pour rendre ser­vice à autrui ; de même que le feu ne peut éclai­rer et chauf­fer uni­que­ment l’ob­jet qui l’a­li­mente, mais inévi­ta­ble­ment éclaire et réchauffe autour de lui et ne pro­duit cet effet que quand il brûle lui-même… 

Léon Tol­stoï

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