La Presse Anarchiste

Veille d’examen

Le soleil darde ses rayons :
toute la nature est en liesse ;
j’é­tale cahiers et crayons
et pousse un soupir de détresse.

Quand tout au repos prédispose,
quel ennui d’é­tudi­er, chagrin,
ce pen­sum sur la saccharose
ou sur l’in­sipi­de latin !

C14 H10 O9
la terre a mis sa belle robe
et le jardin son habit neuf ;
je suis pris­on­nier d’un mur orbe…

Changeons de livre : j’ai la flemme ;
dans l’en­c­los broute un beau cheval…
quelle obses­sion ce théorème
sur le prisme pentagonal !

Les insectes sur tous les modes,
chantent la joie ― ici ― partout…
je potasse les arthropodes,
les éden­tés, et tout et tout !

À la veille de l’examen
je dois révis­er mon histoire :
qu’il eût fait bon dans le chemin
en pas­sant, goûter une poire !

Qu’il eût fait bon sur la rivière !
quel plaisir de courir au jeu !
Mais je lis, la journée entière,
Charles VIII, Anne de Beaujeu.

Ma bicy­clette est dans la cour
et m’incite à la promenade !
Mais Louis XV et la Pompadour
peu­vent-ils demeur­er en rade ?

J’au­rais cueil­li la pâquerette,
apporté de beaux bou­tons d’or…
Louis XVI et Marie-Antoinette
me reti­en­nent cap­tif encor.

Le temps fuit, et je songe au bal.
Il reste la géographie ―
Chan­der­nagor et Karikal,
les Indes, puis l’Océanie !

Les mots sont rich­es de musique :
pour moi c’est un puz­zle, un rébus,
ou quelqu’ar­ma­da fantastique
de trou­peaux d’au­rochs, de zébus !

Alpa­ga, mou­flon ou tapir,
je mélange toute la faune ―
et crois les enten­dre glapir
près du ruis­seau, cachés sous l’aune…

Le gril­lon jette un cri d’opprobre :
pourquoi s’en­têter ? La leçon
irait mieux pour un soir d’octobre…
(le gril­lon n’a-t-il pas raison ?)

L’oise­let dans son habitat,
est heureux plus qu’il ne peut croire :
il n’ap­prend pas le Tribunat
ou l’an III et le Directoire !

Il ignore cône et spirale,
Calvin, Luther, l’An VIII, Delhi,
et la gram­maire et la morale
et les nom­breux « cas­sus belli » !

Je voudrais être passereau…
mais maman me rap­pelle à l’ordre :
le jour baisse… un dimanche à l’eau…
il faut bouquin­er sans démordre !

Les bour­dons rôdent sur la treille…
un papil­lon frôle ma main…
rageur, aux bruits fer­mons l’oreille :
c’est la veille de l’examen !

Ras­co Duanyer


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