Si, en
France, la protestation est noyée dans ses aspects mensongers,
notre attention a pu être retenue par ce qui ressort d’un
mouvement de protestation aux États-Unis, mouvement exacerbé
par des minorités importantes et par des situations vives
(Vietnam…). Le problème social particularisé par la
négritude a donné naissance au mouvement des droits
civiques, au nationalisme noir : une gamme confuse de protestations.
Le problème social particularisé par la condition
étudiante a donné naissance à une autre gamme
confuse de protestations (qui ne se limitent pas aux seules questions
étudiantes) regroupées sous le terme de « Nouvelle
Gauche ».
Le problème
social particularisé par la condition de la jeunesse dans
cette société de consommation a donné naissance
à cette autre révolte qui exprime un désir de
libération, de créativité, de réalisation
de soi, de spontanéité, d’amour. Mais, bien que
certains groupes (comme les Diggers) essaient de donner un contenu à
cette révolte, ce vers quoi en définitive le
« mouvement psychédélique » ainsi
appelé canalise cette révolte, c’est
l’anti-créativité (que caractérisent les
portes de secours comme la religion, le mysticisme, la drogue), c’est
le bourdonnement d’un amour passif et sans expression, c’est le
désengagement.
Le
« dropping out » peut contenir aussi bien
l’idée de refoulement par cette société que
l’idée d’abandon, de désaffection de cette société.
Il se caractérise par un déplacement massif des jeunes
vers des endroits comme San Francisco qui constituent de véritables
camps retranchés et il faut bien remarquer que « beaucoup
de hippies qui arrivent ne sont pas du tout prêts à se
dépatouiller au sein d’une communauté sympathique
mais radicalement inorganisée » et qu’ils « ne
sont pas débarrassés de leurs habitudes d’Américains
moyens » – le « dropping out »
exprime alors davantage le désengagement que la dissociation
exemplaire de l’individu de certains rouages du système
social.
Cependant,
même en complète décomposition, ce « phénomène
hippy » a eu ses répercussions sur le gauchisme
comme sur le radicalisme. Son apport au mouvement pacifiste radical
s’est fait très spontanément.
« La
contribution la plus significative que les hippies aient apportée
au mouvement est d’avoir mis l’accent sur l’amabilité
comme un antidote à la brutalité : Sans s’accrocher à
de longues discussions théoriques sur la violence et la
non-violence, comme le font beaucoup de pacifistes, les hippies nous
apprennent que les problèmes de la guerre vont plus loin que
les explications habituelles sur la politique et l’économie.
Ils disent : “Qu’y a‑t-il dans la vie d’un homme de si
morne, de si étouffant, de si discordant qu’il en vienne à
considérer les années passées à l’armée,
à la guerre, comme la partie la meilleure, la plus excitante
de sa vie ?” Ce qu’ils veulent alors, c’est ouvrir ce pays à
l’amour, c’est montrer aux gens qu’il est possible de jouir de
leur vie tout comme il est possible pour eux de la diriger. »
(Martin Jezer.)
Mais de
quel amour s’agit-il ? Un amour que l’on célèbre,
que l’on chante comme le mot « Dieu » ? Là
sera la différence entre le « mouvement
psychédélique » et les mouvements type
« Yellow Submarine ». Le poète anglais
Adrian Mitchell localisera la nuance (à partir de la célèbre
chanson des Beatles)
« ALL
YOU NEED IS LOVE (tout ce dont vous avez besoin est l’amour), mais
s’agit-il d’un amour qui se disperse comme un gaz avant
d’atteindre un autre être humain ? Le Pouvoir des Fleurs
brille-t-il un peu plus loin que Hyde Park et la King’s Road ?
« ALL
YOU NEED IS LOVE, mais est-ce un amour qui agit si puissamment qu’il
peut mettre à bas les murs d’une prison espagnole ou russe ?
un amour suffisamment éclatant pour illuminer l’Afrique ? un
amour suffisamment sonore pour clamer “SOYEZ LIBRES”
par-dessus l’Amérique latine ?
« ALL
YOU NEED IS LOVE, un AMOUR si explosif qu’il peut éjecter
les bombardiers américains hors du ciel vietnamien, si chaud
qu’il peut fondre les armements avant qu’ils finissent par mettre
le feu à la mer, à la terre, au ciel et aux gens.
« LOVE
IS ALL YOU NEED, peut-être, peut-être, mais pas s’il
s’agit d’un amour en vase clos qui voit la légalité
de la drogue comme la bataille politique finale, cette sorte d’amour
qui n’a pas plus de chance de changer le monde qu’une graine de
pavot dans la salle des machines d’un sous-marin Polaris. Si c’est
un amour qui ne fait rien pour effacer la pauvreté,
l’injustice et la guerre de la planète, cet amour, quelque
bien venu qu’il soit, ne peut être rien de plus que quelque
chose d’amusant mais malade. J’aime ce disque et les fleurs sont
superbes, mais tout dépend de la façon dont vous les
utilisez. » (« Peace News », 11 août
1967.)
La réponse
des radicaux est toute faite. Ils pratiquaient avec continuité
la désobéissance civile. Ils ne sont pas plus proches
du désengagement que des libéraux :
« Les libéraux voient le Vietnam comme une aberration parmi les bonnes intentions américaines, comme un cancer chez un patient par ailleurs en bonne santé ; simplement, une erreur. Les radicaux voient le Vietnam comme le symbole de tout ce qui est mal aux États-Unis. Aussi le Vietnam, en lui-même, n’est pas réellement l’issue. Arrêtez cette guerre, et il y aura encore davantage à poursuivre, en Asie et en Amérique latine. Les radicaux veulent changer la société ; les libéraux veulent seulement exécuter une opération locale mineure, et continuer à vivre et à voter comme toujours. Les radicaux ne sont pas descendus dans la rue aussi longtemps pour assurer la présidence de Bobby Kennedy » (Martin Jezer).
Les hippies n’ont rien changé chez les radicaux ; ce sont les radicaux (avec les hippies liés au mouvement radical) qui ont donné figure active au « Flower Power ».
Il y a ainsi toute une gradation du Flower Power psychédélique au Flower Power radical.