La Presse Anarchiste

Une nouvelle gauche ?

1964 et
1965 furent l’époque dans le milieu uni­ver­si­taire du Free
Speech Move­ment (Mou­ve­ment pour la liber­té d’expression).
Cette révolte contre les études, la condi­tion étudiante
et la hié­rar­chie uni­ver­si­taire s’intégrait au sein
d’une révolte contre tout le sys­tème social (auquel
pro­fitent ces études). Et on pour­rait très bien
carac­té­ri­ser l’esprit de ce mou­ve­ment par ce slo­gan porté
par un étu­diant : « Je suis un être humain,
ne pas plier, ne pas cour­ber, ne pas muti­ler » (for­mules
des cartes per­fo­rées IBM). Cor­po­ra­ti­ve­ment, cela revient à
reven­di­quer de nou­velles ins­ti­tu­tions : un “pou­voir étu­diant”, une auto­ges­tion. Poli­ti­que­ment, la Nou­velle Gauche, que l’on
consi­dère les étu­diants ou les « non-étudiants »,
est actuel­le­ment pola­ri­sée par l’attitude du gouvernement
amé­ri­cain au Viet­nam, en Amé­rique latine, les ghettos
noirs, etc.

L’éclosion
hip­py s’est posée en nou­velle situation.

« La
coa­li­tion crois­sante des acti­vistes de la nou­velle gauche et des
membres des com­mu­nau­tés hip­py est d’un potentiel
signi­fi­ca­tif. La nou­velle gauche à long­temps parlé
d’alternative dans les styles de vie ; et pour la première
fois, les hip­pies four­nissent des exemples effec­tifs. La résistance,
qui est la posi­tion prô­née par la nou­velle gauche, exige
des acti­vistes poli­tiques qu’ils changent leur vie, qu’ils se
mettent eux-mêmes com­plè­te­ment en dehors du système
et qu’ils deviennent des agi­ta­teurs enga­gés à plein
temps.

« Il
n’est pas sur­pre­nant que beau­coup d’activistes étudiants
et non étu­diants, quelques-uns d’entre eux vétérans
du mou­ve­ment, se soient enga­gés dans le monde hip­py sans
quit­ter le mou­ve­ment. En outre des cen­taines d’adolescents, sans
arrière-plan radi­cal, se déplacent vers les enclaves
hip­py car leur alié­na­tion aux valeurs écra­santes de la
classe moyenne amé­ri­caine est main­te­nant si totale qu’ils
doivent bri­ser là pour sur­vivre. La poli­tique, symbolisée
par Lyn­don John­son, est une obs­cé­ni­té à laquelle
ils ne veulent pas avoir affaire. Ce qu’ils quêtent, ce sont
des valeurs huma­nistes significatives.

« De
façon encou­ra­geante, cette plus jeune génération
res­te­ra tota­le­ment le dos tour­né à la guerre, à
la vio­lence et au jeu de la poli­tique. Ou bien alors, tout ceci peut
être une lubie, une phase de révolte qui passe, une
aimable hip­py aujourd’hui étant demain une ménagère
de ban­lieue, des “rats com­mu­nistes” forts en gueule, d’une
nou­velle géné­ra­tion d’activiste » (Mar­tin
Jezer).

Une
confé­rence eut lieu le 16 juin 1967 à Kalamazoo
(Michi­gan) et réunit des anciens mili­tants étudiants
pour dis­cu­ter de la pos­si­bi­li­té de mettre sur pied un centre
pour coor­don­ner les acti­vi­tés des anciens étu­diants de
la Nou­velle Gauche. Des Dig­gers y firent irruption.

Emett
Gro­gan, « dans un coup d’État théâtral
par­fai­te­ment pré­pa­ré, sai­sit le pou­voir, démantela
les pré­ten­tions d’un pou­voir radi­cal struc­tu­ré et eût
pu faire explo­ser quelques cer­velles dans un pro­gramme de
recons­truc­tion de style Dig­ger s’il n’était pas
immé­dia­te­ment repar­ti le matin. Der­rière restèrent
les hip­pies Jim Fou­ratt et Abie Hoff­man, de New York, pour ramasser
les mor­ceaux qui res­taient de ce qui dans l’histoire de la nouvelle
gauche doit pas­ser pour la capi­tu­la­tion la plus brève et la
plus dra­ma­tique qui soit jamais sur­ve­nue à un comité
électoral.

« Sans
trêve dans leur attaque agres­sive et offen­sive, les Dig­gers ne
firent pas de quar­tier à ceux de la nou­velle gauche sur les
posi­tions à mi-che­min et les valeurs de la classe moyenne
amé­ri­caine. Au syn­di­ca­liste qui pas­sait toute sa vie à
tra­vailler au sein d’un syn­di­cat, pour chan­ger ils disaient
sim­ple­ment : ” Laisse tom­ber ! L’usine est un camp de
concen­tra­tion ; la ban­lieue est un camp de concen­tra­tion. Vous ne
pou­vez pas chan­ger les camps de concen­tra­tion par l’intérieur »
(Hamish Sinclair).

« Vous
par­lez de “contre-com­mu­nau­tés” et nous les avons
déjà, disent-ils, fai­sant réfé­rence aux
“com­mu­nau­tés d’amour” qui sur­gissent dans toutes
les par­ties d’Amérique. Vous par­lez de mou­ve­ments de masse
et nous avons des mil­liers de jeunes gens qui quittent tout pour
venir nous rejoindre. Vous par­lez de chan­ge­ment et rien ne change.

« L’ordre
éta­bli se déve­loppe sur votre exis­tence ; votre
poli­tique “radi­cale” légi­time l’ordre établi.
Voyez les pro­tes­ta­tions ; voyez les mani­fes­ta­tions, les maga­zines et
les articles, le désac­cord, voyez le pays libre dans lequel
nous vivons. Tout cela, c’est la rai­son pour laquelle nos garçons
se battent au Viet­nam. La plu­part des poli­ti­ciens ont réagi
comme des libé­raux blancs atta­qués par un Noir en
colère sor­ti d’un ghet­to. Ce n’est pas nous, disent-ils.
Nous n’avons pas fait cela. Nous sommes de bonnes gens.
Quelques-uns de mes meilleurs amis sont hip­pies. Dites-nous ce que
nous devrions faire. Quit­ter tout. Chan­ger vous-mêmes »
(d’après « The Fifth Estate ».

L’analyse
des Dig­gers, pas­sée dans les mains des mili­tants, échoua
alors dans les pro­po­si­tions d’un pro­gramme pour orga­ni­ser un
mou­ve­ment et « pour rendre poli­ti­que­ment valable le
drop­ping out en vue d’un chan­ge­ment social ».

La Nou­velle
Gauche copie­ra-t-elle en défi­ni­tive la gauche traditionnelle
qu’elle rejette ? se limi­te­ra-t-elle à l’activisme d’une
période de ses mili­tants ? ou per­ce­vra-t-elle un horizon
nou­veau, réponse à une cri­tique radi­cale de leur
actualité ?

La Presse Anarchiste